Le Pétangeois Artur Abreu n’a pas été retenu pour le match face au Portugal. Un non-évènement : il ne l’avait jamais été avant. Pourtant, son cas cristallise…
On ne savait pas trop comment appeler ce papier. L’affaire Artur Abreu ? La non-affaire Artur Abreu ? Difficile. Parce qu’on navigue depuis 48 heures (et l’annonce d’une liste des 23 finalement très classique pour les matches contre le Portugal et le Danemark), entre l’agacement concret d’une partie des supporters du pays… et la tempête dans un verre d’eau, un entre-deux qui devient la spécialité des réseaux sociaux.
Pour beaucoup, il fallait appeler Artur Abreu ! Il était temps ! L’un de ses plus grands admirateurs, Marc Thomé, qui l’avait lancé à Differdange il y a quelques années en le décrivant comme un «petit Johan Cruyff», l’avait d’ailleurs redit après Pétange – F91, auquel il avait assisté mercredi dernier : «S’il n’est pas appelé cette fois, je n’y comprends vraiment plus rien.» Une chose est certaine : ce que d’aucuns considèrent avec fatalisme comme un snobisme à l’égard de l’élégant capitaine du Titus Pétange en agace carrément beaucoup d’autres.
Qu’est-ce qui se joue en ce moment, derrière ce choix de Luc Holtz ? Sans doute, en trame de fond, la perte d’influence des clubs au sein des Roud Léiwen. Ils ne seront que trois joueurs de champ, la semaine prochaine, à évoluer en BGL Ligue : Sinani, Skenderovic, Da Mota et les deux premiers cités pourraient rejoindre très vite le monde pro. Quand on pense que Christopher Martins (Young Boys) est blessé, on en conclut assez facilement qu’une sélection «tout professionnel», c’est pour demain et que la DN est exclue de la réflexion. En soi, ce n’est pas plus étonnant que ça, mais attendu que la plupart des acteurs travaillant dans nos clubs estiment qu’il s’agit d’une défiance du sélectionneur envers leur travail (alors que lui jure qu’il ne s’agit que de pure logique), ce moment prend des proportions démesurées.
Il vaudrait quand même plus de 100 000 euros
C’est en effet une petite levée de boucliers à laquelle on assiste depuis mercredi midi et l’officialisation des 23 au CFN de Mondercange puisqu’il s’agit là de l’un des meilleurs joueurs, buteurs et passeurs du championnat, d’un garçon pour lequel, selon nos informations, le Progrès et le F91 (et son grand frère virtonais, du même coup ?) ont proposé cet été plus de 100 000 euros. Même dans un marché luxembourgeois totalement déréglé dès qu’il s’agit de joueurs «première licence», cela reste une offre monumentale.
Aujourd’hui, on croirait revivre à la puissance cinq ce qui s’est passé avec Sébastien Thill, un an et demi avant sa première sélection. L’histoire d’un gamin très doué, à l’étroit dans le championnat local, peut-être un peu sous-dimensionné pour l’international mais qui méritait sa chance. C’est ce que plaident les détracteurs du sélectionneur, qui devait bien s’attendre à ce qu’on lui inflige un jour ce reproche : «En début d’année, il prend son fils Kevin (Etzella), qui le méritait sans doute, s’indigne un entraîneur de DN désireux de rester anonyme. Aujourd’hui, après avoir essayé Olesen le mois dernier, il sélectionne Curci, qui sort de nulle part, qui a 17 ans et n’a rien prouvé. Alors pourquoi pas Abreu ?» Un autre s’étonne aussi de la confiance et de la fidélité «aveugles» accordée à un Dan Da Mota, 33 ans, qui évolue dans le même couloir qu’Abreu, en se disant que le renouvellement passerait justement par ce genre de test.
À la vérité, il y a là un gros malentendu auquel le petit Luxembourg ne peut pas être habitué. Un sélectionneur ne sélectionne pas forcément les meilleurs joueurs du pays. Il devrait. Il ne le fait pas. C’est valable pour Holtz comme pour tous ses homologues partout dans le monde. La vérité, c’est que constituer un groupe de 20 à 25 garçons relève de plusieurs logiques auxquelles il faut rester sensible pour ne pas rompre l’équilibre. On se souvient ainsi d’un aparté avec Holtz, en 2018, au sujet, justement, de l’évolution tactique de son groupe. Il y expliquait manquer notamment d’un profil, celui d’un joueur rapide capable de prendre la profondeur : «Il faut des courses dans le dos de la défense, c’est ainsi que va le football moderne», nous disait-il alors. Or cela, Artur Abreu ne peut pas l’apporter malgré toutes ses énormes qualités.
Revient aussi en tête cette phrase, prononcée par le même Luc Holtz, interrogé au moment du départ de l’ailier pour Guimarães, il y a deux ans : «C’est bien. Il faut qu’il travaille. Mais je ne peux pas non plus faire une équipe avec onze techniciens.» Aujourd’hui, dans ce rayon, les Roud Léiwen possèdent déjà dans le secteur offensif un Vincent Thill, un Danel Sinani et, couloir gauche… un Gerson Rodrigues.
«Carlos adore ses joueurs, il les protège»
Alors quoi ? On est aveugle quand on aime ? Pas forcément. Puisque Sébastien Thill, puisqu’on parlait de lui, avait justement fini par avoir sa chance sans même avoir à partir s’exiler à l’international. Pour Artur Abreu, on commence à douter qu’il puisse en être de même. Jeudi, Carlos Fangueiro, son coach, s’est fendu d’un long et vibrant plaidoyer. «J’aurais parié ma vie sur ta sélection en équipe nationale cette fois», écrivait-il sur son compte Facebook. Avant de poursuivre, dans le désordre : «Ton rêve aurait dû devenir réalité ! Tu peux lever la tête bien haut et te dire qu’ils se trompent à chaque sélection.»
Une sortie que son club a pris pour une déclaration d’amour salutaire mais à laquelle il se refuse à s’associer en ces termes, comme l’a signalé son directeur sportif, Yassine Benajiba : «Carlos adore ses joueurs, il les protège et il le fait bien. C’était un message personnel, émotionnel. Mais le club et Carlos respectent bien évidemment les décisions et choix du sélectionneur ! On reste persuadés que si Artur continue de travailler de la sorte, il sera forcément repris un jour.»
L’actuel leader-surprise de BGL Ligue y tient forcément. Lui qui a façonné ces derniers temps des Aldin Skenderovic, des Dirk Carlson, lui qui accueille un Tun Held, estime désormais avoir vocation à être l’un des fournisseurs officiels de la FLF.
L’histoire personnelle d’Abreu avec les sélections doit, à ce titre, forcément le chatouiller un peu. Blessé après quelques entraînements avec les U21 de Cardoni il y a quelques années et repris entretemps par la limite d’âge, appelé une fois en stage par Holtz qui ne l’a pas conservé pour aller défier les Pays-Bas à Rotterdam, en juin 2017, l’attaquant semble rater avec une régularité désarmante tous les rendez-vous de l’histoire avec sa sélection nationale. Le déplacement à Lisbonne pour aller défier le Portugal, son pays d’origine, est depuis mercredi l’une de ces nombreuses occasions manquées. C’est ce qui doit désespérer pas mal de ceux qui considèrent, au pays, qu’il pourrait faire de grandes choses pour la FLF.
Finalement, c’est encore Emmanuel Cabral, Luxembourgeois d’origine portugaise ayant courageusement accepté de sortir de son devoir de réserve alors qu’il vient lui d’être rappelé, qui en a parlé le mieux, jeudi : «C’est le choix du sélectionneur. On n’a rien à voir là-dedans, il doit avoir ses raisons. On ne va pas se mentir : c’est un super joueur, qui sort des performances consistantes, mais il y a beaucoup de monde à son poste. Dommage pour lui.» Comme quoi, même la langue de bois peut accoucher d’une forme de vérité. Encore faut-il qu’elle convienne à tout le monde.
Julien Mollereau