Bob Jungels explique pourquoi il a décidé de rejoindre l’équipe AG2R-Citroën Team pour deux ans à partir de 2021. C’est le remodelage complet de la formation française et un projet à construire qui a séduit le champion national, désireux de revoir son périmètre d’action et de se reconcentrer sur les courses par étapes.
«Bob Jungels fera partie des leaders de notre équipe, sur les classiques, mais également sur les courses par étapes. Bob a déjà terminé à deux reprises dans le top 10 du Tour d’Italie (6e et 8e en 2016 et 2017), on va lui apporter notre expérience dans ce domaine et il sera épaulé par des jeunes grimpeurs», a expliqué Vincent Lavenu, le directeur de l’équipe AG2R-Citroën Team qui comptera donc deux coureurs luxembourgeois dans ses rangs puisque Ben Gastauer a rempilé pour un an.
«Mes premiers contacts avec Vincent Lavenu datent d’avant le début de ma carrière chez les professionnels. Avec des coureurs comme Oliver Naesen ou encore Greg Van Avermaet, l’équipe va être très ambitieuse sur les classiques, c’est très motivant de faire partie de ce groupe», a glissé de son côté le champion national. À qui nous avons demandé d’aller plus loin…
Expliquez-nous comment s’est opéré votre choix ?
Bob Jungels : Ce n’est jamais simple de quitter une équipe à laquelle on appartient depuis cinq ans. J’estime que je me trouvais dans une position confortable, presque de luxe. Même pendant la période de confinement, j’avais des contacts avec des équipes qui m’ont approché. À la fin du compte, j’ai ressenti beaucoup d’émotion par rapport à mon équipe actuelle, mais si on regarde de façon rationnelle, avec AG2R je vais avoir assez de liberté dans les courses que je veux viser. Et AG2R va bientôt annoncer un gros projet majeur qui va se développer pour les prochaines années.
Cette décision de rejoindre AG2R a-t-elle mûri au fil des semaines, ou s’agit-il d’un choix récent ?
La décision finale a été prise récemment, il y a deux semaines, il y avait encore quatre équipes dans le jeu. La crise sanitaire a affecté beaucoup d’entreprises et voir une grande marque (Citroën) devenir sponsor avec AG2R, une autre grande marque… (Il réfléchit) Leurs engagements interviennent dans ces temps difficiles et c’est important, cela donne de la confiance. Au stade où je me trouve, à 27, 28 ans, c’était important de prendre une bonne décision pour ces prochaines années. C’était important que je sois libre dans ma tête, uniquement concentré sur mes courses et mon entraînement. Je trouverai ça dans l’équipe de Vincent Lavenu.
L’important est de me concentrer sur cette orientation et je veux également retravailler les chronos
On imagine que vous avez évoqué votre programme de courses…
Oui bien sûr, j’avais beaucoup de questions. D’abord, je tiens à préciser que chez Deceuninck-Quick Step j’étais toujours content, je me sentais vraiment très bien dans cette équipe à laquelle je dois beaucoup. La seule question que je me suis posé était la suivante : « Qu’est-ce que je pouvais faire pour progresser encore… » La réponse était de changer quelques chose, soit le changement de couleurs, donc d’équipe, d’entraîneur, d’environnement. Et je pense que la mentalité française peut m’apporter. Ce sera différent, je serai plus focalisé sur certaines courses et pour le reste, je ne serai pas dans un train de sprinteurs par exemple. On a parlé des courses.
Une chose très importante était que je puisse revenir sur des courses par étapes, notamment comme Paris-Nice, un Dauphiné, un Tour de Suisse. Après, les grands tours, c’est encore une autre histoire. L’important est de me concentrer sur cette orientation et je veux également retravailler les chronos pour être compétitif dans ces classements généraux des courses par étapes. Les courses d’un jour, c’est quelque chose que j’ai dans le sang. Mais les courses par étapes, c’est quelque chose de différent. AG2R a l’habitude de ça, ils ont travaillé en ce sens avec Romain Bardet depuis dix ans. Il y a une certaine expérience qui va pouvoir m’aider.
Je vais me retrouver avec moins de concurrence dans certaines courses et plus de liberté
Du coup, ce n’est pas sûr de vous revoir en 2021 sur les courses de pavés ?
On doit encore regarder tout ça, mais c’est clair que ce sont des courses spécifiques et qui me plaisent. Je n’étais pas loin de briller l’an passé. Je vais les refaire en fin de saison après le Tour. On va regarder tout ça après cette saison. Il faudra voir comment on va construire le programme 2021, est-ce que le Tour de France sera au programme, on verra bien… il y aura aussi les Jeux olympiques. On va en discuter plus tard et voir comment les choses évoluent.
Puisque les courses par étapes seront importantes, il serait plus logique de vous revoir sur les classiques ardennaises du printemps…
Au niveau de la préparation, oui, sans doute.
Vous avez discuté de votre future équipe avec Ben Gastauer ?
Oui, j’en ai discuté avec lui tout au début des tractations. Je lui ai demandé s’il me voyait dans l’équipe et si ça pouvait me convenir. Après, je connais un peu Oliver Naesen et je lui en ai parlé aussi. J’avais évoqué le sujet également avec l’Américain Larry Warbasse. C’était important d’avoir l’opinion de coureurs non français. La mentalité de l’équipe sera sans doute différente de mon équipe actuelle, toutes les équipes sont différentes. Et ce qui m’a plu, c’est qu’il y aura beaucoup de changements dans l’équipe AG2R pour ces prochaines années. C’est un projet très intéressant. Je rejoins une équipe en mouvement.
Et vous aurez un rôle de leader…
Oui, je vais me retrouver avec moins de concurrence dans certaines courses et plus de liberté. Cela dépendra de mes performances. Là, je suis très motivé pour commencer ce nouveau challenge. La confiance et la sécurité que j’ai ressenties avec Vincent (Lavenu), m’ont convaincu, c’était toujours très rassurant. Voilà, on a quand même une équipe expérimentée et renforcée avec toutes les arrivées (NDLR : Greg Van Avermaet, Michael Schär, Lilian Calmejane, Marc Sarreau, Damien Touzé, Stan Dewulf et Gijs Van Hoecke).
Je disputerai un Tour de France qui s’annonce très, très dur
On imagine également que vous aimeriez finir en beauté avec Deceuninck-Quick Step ?
C’est ça, oui. Pour moi, le plus dur c’était de quitter cette équipe. Au niveau émotionnel, c’était difficile de dire à tout le monde que je partais. Mais cela s’est passé très amicalement. J’ai parlé avec Patrick (Lefevere) et il a compris mon choix. Ce n’était pas évident car j’étais content là-bas. C’est aussi grâce à cette équipe, aux coureurs, au staff, que je suis là où je suis maintenant. C’est grâce au travail de cette équipe et c’est quelque chose que je n’oublierai pas.
Vous participerez demain au championnat national de contre-la-montre. La suite de votre programme sera-t-il comme prévu le Tour de France, puis les classiques reprogrammées à l’automne ?
Oui, après le championnat national qui sera une belle reprise pour beaucoup de coureurs, je disputerai un Tour de France qui s’annonce très, très dur. Puis après une pause, ce sera la période des classiques. Et même si les championnats du monde ont lieu, c’est sûr et certain que je n’y participerai pas. Je suis très motivé également pour bien terminer avec Deceuninck-Quick Step.
On peut imaginer qu’il sera difficile pour vos concurrents d’aller chercher votre maillot de champion ?
(Il rit) Au niveau visibilité, c’est toujours la meilleure chose qu’on peut faire pour les sponsors.
Vous avez bien récupéré du Dauphiné qui était très dur ?
Je suis toujours en train de récupérer. Je suis revenu à la maison après 50 jours de déplacement. J’avais pris ma voiture pour rejoindre le stage d’entraînement à Val di Fassa. Après, à cause de la situation, et des zones, je ne pouvais plus revenir. Donc je suis resté à San Pellegrino. J’ai enchaîné avec la Toscane et les Strade Bianche, puis Milan-San Remo. Donc, j’ai besoin de ces quelques jours pour être tranquille après un Dauphiné très dur par le profil mais aussi avec le niveau incroyablement élevé. Je me suis cru en début de saison ordinaire où on remarque de très grandes différences entre les coureurs.
C’est un peu le même sentiment que lorsqu’on regarde les premières courses de l’année en Australie. Personnellement, je vois une bonne évolution. Au niveau de l’entraînement, je suis là où je dois être. C’est clairement le rythme de course qui m’a manqué pour un meilleur résultat dans le Dauphiné. Mais je ne m’inquiète pas trop, je pense que beaucoup seront fatigués après deux semaines de Tour de France.
Les organisateurs prennent la direction de toujours vouloir plus de spectacle, mais ce n’est pas la bonne
Un Tour de France où vous viserez des étapes ?
Oui, c’est ça, je ne vise pas le classement général. Je ne vais pas prendre le départ en pensant à ça. Après, on ne sait jamais ce qui se passe mais a priori, ce sera pour des étapes.
Changeons de sujet pour finir. Deux de vos actuels coéquipiers, Fabio Jakobsen sur le Tour de Pologne, et Remco Evenepoel sur le Tour de Lombardie, ont lourdement chuté. Plus généralement on a vu beaucoup de chutes ce dernier week-end. Quel regard portez-vous sur cette tendance particulièrement traumatisante ?
C’est une combinaison de certaines choses. Je remarque qu’il y a moins de respect entre coureurs et moins de vigilance. On a toujours le sentiment d’une pression accrue dans le peloton et cette pression mène aux chutes. Ce qui me semble inconcevable, ce sont les descentes et les routes que nous devons emprunter. Au Dauphiné, on s’est arrêtés en début d’étape pour faire remarquer que le peloton ne voulait pas laisser tout faire. Ce qu’on voit partout, au Dauphiné le week-end dernier, en Wallonie aussi et ailleurs, c’est un nombre incroyable de chutes graves.
Il faut aussi empêcher les organisateurs de tenter d’augmenter toujours le spectacle en incluant par exemple des sections de gravel dans leurs courses. Il y a du cyclo-cross, des courses de gravel. Nous, on fait du cyclisme sur route. Même dans le Tour de France, les derniers kilomètres du col de la Loze se feront sur une piste cyclable. Ce n’est pas une question de sécurité ici, mais ce n’est pas du vélo. Les organisateurs prennent la direction de toujours vouloir plus de spectacle, mais ce n’est pas la bonne direction.
Dans cette étape, on va monter la Madeleine par un côté étroit et en mauvais état. On l’a fait au Dauphiné. Et après, on a ce col de la Loze avec des pourcentages à 28 %. Si des coureurs professionnels doivent changer leurs développements habituels pour rester sur le vélo, cela n’est plus normal. C’est mon opinion. De l’autre côté, il faut garder l’esprit des courses sur route. Il n’est pas interdit de faire du cyclo-cross l’hiver.
Et on n’a pas besoin de rajouter du gravel à un Grand Prix de Plouay par exemple. Il y a quelques années de cela, on discutait de la nécessité de placer des pavés dans une étape du Tour. Mais là, on n’en est plus là. On a franchi d’autres barrières.
Entretien avec Denis Bastien