Avant de défier le leader hesperangeois avec le RFCU pour le choc de la 17e journée de BGL Ligue, Samy Kehli revient sur ces trois années où, trahi par son dos, il s’est battu dans l’ombre pour redevenir footballeur.
La question peut paraître un peu bateau, mais : comment ça va ?
Par rapport à quand je me suis arrêté, à la fin de mon contrat à Louvain (NDLR : en juin 2021), mieux ! Cette saison-là (2020/21), j’ai énormément travaillé, mais je ne jouais pas et m’entraînais peu avec le groupe. Dès que je revenais, quelque chose me bloquait… C’était d’autant plus dur que le coach appréciait mon profil, mon style de jeu. J’aurais pu faire beaucoup de matches. C’est décevant, mais je n’ai pas eu d’autre choix que d’arrêter.
Mais qu’avais-tu exactement ?
Personne ne le sait vraiment. Lors d’un match, en novembre 2019, je saute à la tête et en retombant, j’entends un « clac » dans mon dos. On pensait que ce n’était pas grand-chose, que c’était un truc qui était bloqué mais deux mois après, j’avais toujours mal. Un disque (intervertébral) du dos avait en fait explosé sous la pression du corps, à la réception du saut. Puis, il y a eu le covid : j’ai essayé de travailler à la maison, de courir mais… c’était horrible. J’ai passé quatre mois terribles. Je ne pouvais pas m’asseoir, seulement rester allongé. J’avais cette sciatique qui m’empêchait de faire des mouvements corrects et les muscles presque tous contractés. Après le confinement, j’ai tenté de reprendre avec Louvain, mais ç’a été trois semaines de souffrance, avec cachets… Après un match amical contre Bruges, j’ai dit : « Ce n’est plus possible ». Je me suis fait opérer de mon hernie, puis j’ai entamé ma rééducation.
La douleur est-elle toujours présente ?
Elle est là, je la sens tous les jours mais elle est beaucoup moins forte qu’avant. Je joue toujours avec la douleur : il faut bien s’échauffer car ça assouplit le nerf, il « glisse » plus facilement. Je fais aussi des étirements plusieurs fois par semaine, chose que je ne faisais pas plus jeune, pour détendre les muscles. Ça ne peut pas s’opérer : je suis encore allé voir des spécialistes à Metz récemment, j’ai fait des tests, mais ils ne savent pas trop ce que j’ai ni d’où ça vient.
Tu es donc condamné à vivre avec cette gêne toute ta vie ?
Je me suis mis en tête que j’allais vivre avec ça toute ma vie. Parfois, je prends un petit coup de jus mais ce n’est rien par rapport à ce que j’ai vécu avant. Quand j’ai quitté Louvain (en juin 2021), je me suis laissé sept mois de « repos » : plus d’impacts sur le dos, plus de mouvements brusques. J’allais quand même à la salle de musculation trois à quatre fois par semaine pour me renforcer, mais je n’ai pas touché le ballon. Les pieds ne servaient plus à rien ! Depuis l’âge de 19 ans, j’ai toujours eu des contrats, ce n’était pas évident mais avec un ami, on s’est mis au boulot. Et l’été dernier, je me suis dit : « C’est maintenant ». J’ai fait une préparation de trois-quatre semaines avec un ancien coach. C’était la prépa de la dernière chance : si la douleur était encore là, je stoppais, mais elle n’était plus si forte.
As-tu l’impression d’être un joueur différent de celui que tu étais en 2019 ?
J’ai eu 32 ans, j’ai peut-être moins de vivacité, mais mon style de jeu ne change pas. Je suis quelqu’un qui joue assez simple, dans le bon tempo, ça ne se perd pas. C’est sûr que je vais moins vite qu’avant, mais je compense par l’intelligence de jeu que j’ai toujours eue. Et puis le ballon, je n’ai pas de problème avec, ça revient assez facilement.
Si tu devais employer un adjectif pour qualifier ton retour sur les terrains, ce serait…
Je dirais « incroyable », car je pars de très loin. Entre ma dernière année à Louvain sans jouer, plus l’année et demie sans toucher le ballon, beaucoup de joueurs auraient arrêté le foot.
Pour toi, la question ne s’est jamais posée ?
Dans ma tête, parfois, si. Mais c’était plus la douleur qui faisait ça. L’amour du foot, je l’aurai toujours, mais c’était une réaction de fatigue. Quatre ou cinq mois après l’opération, je ne voyais pas d’énorme différence. La douleur était juste un peu moins forte. Je n’arrivais toujours pas à bouger, à tendre les jambes à cause de la sciatique. Je n’avais pas mal au dos, mais j’avais mal des fessiers jusqu’aux genoux. Mais aujourd’hui, au bout de 15 minutes, quand je suis chaud, les contrôles en porte-manteau, ça va (il rit) !
Dans les moments de doute, t’es-tu déjà demandé ce que tu allais faire de ta vie ?
Oui. Au début, je n’en savais rien mais depuis quelques mois, j’ai pour projet d’ouvrir une micro-crèche avec des amis. Il y a de la demande. Le sport ? Je resterai dedans, mais plutôt auprès des jeunes. Le haut niveau, c’est incroyable à vivre mais c’est un milieu très compliqué.
Après l’élimination précoce de l’Allemagne, Joshua Kimmich a révélé que ses enfants lui avaient évité une dépression post-Mondial. Les tiens t’ont-ils aussi aidé ?
Ça aide énormément. Comme je m’entraînais moins, je m’occupais plus de mes deux enfants (âgés de 8 et 5 ans). Je les conduisais et allais les voir au foot, je passais plus de temps avec eux… Je ne juge pas les personnes seules, mais avoir une famille, une situation stable est toujours plus simple dans ces moments-là que d’être seul.
Comme joueur, as-tu le sentiment d’avoir été privé de tes meilleures années ?
Niveau maturité, oui : quand on est plus jeune, on veut toujours prouver, en faire trop. À 28-29 ans, on est plus en forme, on réfléchit plus. J’ai perdu deux bonnes années au haut niveau. Mais il y a des choses plus graves dans la vie.