Denis Pfeiffer, l’entraîneur adjoint du Victoria Rosport, nous a quittés mardi des suites du cancer contre lequel il se battait depuis des mois. Son grand ami, Marc Thomé, nous l’a raconté malgré la tristesse.
La maladie a fini par emporter Denis Pfeiffer, qui se battait avec courage depuis des mois. Il était un temps revenu diriger quelques séances physiques en fin d’année, mais a vu sa situation se dégrader récemment. Cet éternel adjoint de Marc Thomé, à Grevenmacher, puis à Differdange, la Jeunesse Esch et aujourd’hui à Rosport, d’une bonne humeur et d’une gentillesse jamais prises en défaut pendant une décennie au plus haut niveau, a laissé la Division nationale à sa tristesse. La cérémonie en la mémoire de ce bon vivant de 64 ans aura lieu ce samedi… au moment où le Victoria disputera sa rencontre de la 20e journée de BGL Ligue, contre le F91 Dudelange et où l’émotion risque d’être insoutenable pour les joueurs. En novembre dernier, ce petit bonhomme jovial aux fines lunettes et à la barbe grisonnante nous avait avoué son amour des hommes en général et des joueurs en particulier : «Il y a une sacrée affection qui naît entre les hommes dès qu’on est depuis un petit bout de temps dans un club. C’est normal, on veut essayer de tout optimiser, donc on passe énormément de temps à s’intéresser à la vie les uns des autres, à se connaître intimement. Oui, ils m’ont manqué.» Désormais, c’est lui qui nous manquera. Et à une personne plus que toute autre, Marc Thomé, qu’il connaît depuis le début du siècle et qu’il ne quitte littéralement plus depuis dix ans.
La question est sans doute d’une platitude extrême, mais comment allez-vous?
Marc Thomé (Il soupire) : Ça va. Il faut. On s’y était préparés depuis quelques semaines. Lundi, en allant à l’entraînement, j’ai essayé d’appeler son épouse pour prendre des nouvelles mais son téléphone était sur répondeur. Au retour, elle m’avait laissé un message pour me dire de la rappeler dès que j’étais rentré à la maison. J’avais compris. Il est mort le mardi à 15 h.
Comment l’avez-vous annoncé aux joueurs?
Hier. C’était vraiment pénible. Ils n’étaient pas au courant. Traditionnellement, on a vingt chaises pour faire le débriefing du match mais là, je leur ai dit que j’avais une mauvaise nouvelle et que maintenant, j’allais leur raconter la vie de Denis Pfeiffer. À la fin, il y avait beaucoup de larmes, c’était terrible. Mais après, nous sommes allés faire notre séance, c’est ce que Denis aurait voulu.
À défaut de nous dire ce que vous avez dit à vos joueurs, et qui vous appartient, on peut vous demander de nous raconter votre histoire commune?
Je leur ai dit comment nous nous sommes rencontrés, à notre premier cours d’entraîneur, en 2002. Il y avait là Roland Schaack, Carlo Weis, Luc Holtz, Dan Theis, Angelo Fiorucci… On était une trentaine. Nous avions cours les samedis matin, dès 8 h. Un jour, voilà Denis qui arrive avec trente croissants. Dan Theis se moque et lui dit « c’est gentil Denis mais moi je n’aime pas les croissants, j’aime les huit ». La semaine d’après, Denis est revenu avec vingt-neuf croissants et un « huit » pour le Dan! C’était totalement Denis, ça… Et un jour, il vient me voir en me disant qu’il est marié avec ma petite cousine. Et moi, je ne savais même pas que j’avais une petite cousine! J’ai demandé à ma mère, elle m’a dit qu’il avait raison.
On était une trentaine. Nous avions cours les samedis matin, dès 8 h. Un jour, voilà Denis qui arrive avec trente croissants
Et quelques années plus tard, en 2010, vous débarquez au CS Grevenmacher.
Mon adjoint, c’était Claude Campos. Qui est parti en cours de saison. On n’avait pas de sous alors j’ai dit aux dirigeants « tant pis, je ferai ça seul ». Denis est alors venu m’aider gratuitement, sans rien demander. Pendant trois ou quatre mois, il n’a pas touché un sou. C’est après que le comité s’est dit qu’il fallait quand même commencer à lui donner quelque chose au vu de son investissement. Finalement, c’est la seule chose que j’aie jamais faite pour lui alors que lui en a tellement fait pour moi. Il me dégageait de tout, du moindre souci lié aux joueurs. C’est avec lui qu’ils téléphonaient pour tout régler, tout le temps. Il m’enlevait tout le poids des épaules.
Il m’a répondu « eh oh, je ne suis pas encore mort ! »
Vous ne vous étiez plus quittés depuis.
Jamais. À Differdange, Emilio Lobo était là depuis dix ans, en tant qu’adjoint. J’ai dit que je venais avec Denis, ou pas du tout. Pareil à la Jeunesse, où Greg Molitor était encore là après le départ de Carlo Weis. Le président Cazzaro m’a dit « mais on paye encore Greg! ». Je lui ai dit que ça m’était égal et on a déduit de mon salaire pour pouvoir le payer. À Rosport, il était encore moins bien vu parce qu’il était un ancien joueur du Daring Echternach, l’ennemi. Et ils en étaient tellement contents finalement. C’était un homme d’une loyauté totale. En fait, c’était bien plus qu’un adjoint pour moi, c’était un ami comme je n’en ai que deux ou trois. Il faisait même partie de la famille. Ma grande fille vit en Suisse. Rendez-vous compte, il est venu trois fois avec moi là-bas pour faire ses déménagements. La dernière fois, il nous manquait des vis pour les meubles IKEA. Il m’a envoyé les rechercher avec elle et quand on était revenus, il avait tout monté. La troisième fois, il était déjà touché par son cancer. Je lui ai dit « non, tu ne vas pas venir avec moi cette fois! ». Il m’a répondu « eh oh, je ne suis pas encore mort! ». Et il est venu.
Comment allez-vous continuer sans lui?
Ça va être dur. Il me manque. Pendant dix ans, on s’est téléphoné tous les jours plusieurs fois par jour. Je le voyais tous les jours pour l’entraînement mais je devais encore l’énerver avec des détails. Même ces trois ou quatre dernières semaines, après que je suis allé le voir une toute dernière fois à l’hôpital, je l’appelais pour prendre des nouvelles mais il ne mangeait plus, ne buvait plus et n’avait plus envie de parler. Après deux minutes, lui qui adorait discuter, tout le temps, il était prêt à raccrocher et c’était terrible. Je lui disais « parle-moi, je veux juste des nouvelles » et il y avait un vide. Même s’il ne souffrait pas, il est mieux là où il est. Il était tellement humain… Mais j’ai de la chance : cette saison, je bossais avec Denis et Sergio, le père de Kevin Marques. Ils avaient grandi ensemble et ce sont les deux mêmes. J’ai vraiment de la chance.
Denis laisse l’impression de quelqu’un qui était très apprécié dans le milieu, effectivement…
J’ai déjà eu un appel de Milos Todorovic (NDLR : le capitaine de la Vieille Dame), qui m’a dit que les joueurs de la Jeunesse qu’il a connus voulaient tous venir, samedi après-midi, quand on dispersera ses cendres en forêt. Je ne sais pas, avec le coronavirus, s’ils le peuvent, mais ils le veulent. Tous les joueurs iront. Nous, à Rosport, on devra jouer, mais on ira sur place tous ensemble après. Denis, il était aimé partout. Il aimait la vie, il aimait les gens. Il a été meubler l’appartement de Jordy Soladio, il emmenait Daito Terauchi manger au restaurant japonais. Pour me moquer de lui, je lui disais qu’il finirait bien par parler japonais. Il était gentil Denis. Trop, même, avec les joueurs. Mais il était comme ça.
Entretien avec Julien Mollereau