Les petits clubs de foot luxembourgeois ont peur. Alors que l’UEFA et la FLF sont préoccupées par l’idée de reprise des championnats, les structures les plus amateures du pays sont au bord du gouffre. Comme Rodange.
Semin Civovic est un président qui oscille entre la peur et la colère. Son club du FC Rodange 91 fait partie de ceux qui ont été contraints, ces dernières années, de suivre l’escalade des moyens pour parvenir à exister dans cette BGL Ligue où pas mal de clubs habitués au top 5 ont recours à des contrats professionnels pour leurs joueurs, surtout les «étrangers». À l’écouter, la situation n’est pas mauvaise, elle est dramatique. Ses joueurs ne seront pas payés en avril et si le championnat doit reprendre, il n’est même pas sûr de pouvoir mener son équipe au bout de la compétition.
Si l’on vous demandait de nous décrire la situation financière actuelle de votre club, quelle serait-elle ?
Semin Civovic : Un copier-coller de ce que vivent tous les autres clubs du pays. Je dis bien TOUS les autres clubs du pays. L’argent, c’est le sponsoring. Or aujourd’hui, on en a perdu environ 30 à 40 %. On a encore un petit budget mais tous les sponsors que nous avons trouvés en cours de saison et qui ont signé des contrats en novembre-décembre n’ont pas envie de payer. On a pu jouer sans difficulté jusqu’en mars mais avec cette crise, la perte de revenus est bien trop importante. On ne peut pas continuer.
Ni la fédération ni le ministère des Sports n’ont pourtant l’air de penser que la situation est dramatique à ce point.
Et pourtant, on n’a plus les moyens de payer. Je crois que ni la FLF ni le ministère des Sports ne se rendent compte qu’on doit investir toujours plus d’argent. Pour tous les petits clubs… c’est fini. Juste pour l’équipe première, si l’on voulait fonctionner comme le ministre des Sports a l’air de le demander, il nous faudrait 1 million d’euros de budget. Je dirais même 1,5 million si l’on voulait bien faire les choses avec nos entraîneurs de jeunes. On ne nous donne pas assez d’argent pour nous encourager à signer des contrats pros. Des contrats « normaux », comme ils disent, nous, on en a trois. Des étrangers qui ne viendraient jamais pour 600 ou 700 euros par mois. Les autres, nos joueurs qui ont des boulots à côté, ils sont payés avec la buvette, les entrées au stade, les sponsors… Je ne sais pas s’ils se rendent compte mais nous, on n’a pas de droits télé hein! RTL vient pourtant filmer chez nous! Ils donnent de l’argent? Si c’est oui, qui le touche? La fédération? Alors nous, on n’en voit même pas les miettes.
Les joueurs comprennent la situation, ils n’ont pas le choix
Au mois d’avril, vos joueurs qui n’ont pas été mis au chômage partiel toucheront-ils de l’argent ?
Non, on ne peut pas les payer. C’est simple : on n’a pas de rentrées d’argent. Où trouverait-on les sous pour les payer ? J’ai parlé avec le président de Mondorf (NDLR : Christian Strasser) récemment, c’est la même chose pour lui.
Qu’ont dit les joueurs ?
Ils comprennent la situation. Pas le choix. On les a informés, ils ne sont pas contents mais ils sont intelligents. Ils savent très bien qu’il n’y a pas que chez nous que c’est ainsi. Même les grands d’Europe se pètent la gueule, alors Rodange…
Cela en met-il certains en position financière délicate ?
Je crois savoir que tous, à peu près, travaillent à côté. Enfin… J’espère qu’ils ont tous des revenus annexes. Qu’il y a de la famille autour. Je sais que certains sont étudiants, que d’autres vivent encore chez leurs parents mais je ne connais pas leur situation financière à tous, ce n’est pas notre rôle. Mais voilà, nous, on n’a plus les moyens de les payer.
Dans ces conditions, comment fera Rodange si le championnat est amené à se poursuivre jusqu’à fin juin, fin juillet, voire fin août ?
Mais qui va payer les joueurs jusqu’à fin juin ? Alors fin juillet, imaginez ! Déjà, à la base, c’est faux de partir de ce principe. La meilleure chose, c’est d’arrêter et de nous laisser une chance de nous réorganiser, de tenter de revoir nos sponsors, de les récupérer, de préparer une équipe pour la saison prochaine. Parce que oui, tiens, comment on recrute ? C’est du grand n’importe quoi d’essayer de finir ce championnat, ça n’a pas de sens, ça nous met en danger. Tout ça, ça n’arrange que l’UEFA !
Mais… si la FLF dit qu’on termine ce championnat et si la majeure partie des clubs suivent le mouvement ?
Ah mais le pire, c’est effectivement pour les petits clubs comme nous ! Les grands ont moins de soucis étant donné qu’actuellement, c’est l’État qui paye leurs joueurs ! Les clubs de la Ligue ont dit qu’ils souhaitent arrêter, alors j’espère qu’on va quand même se mettre à table. Si on en arrive là, on leur demandera comment on doit faire et on va peut-être décider de ne plus jouer parce qu’on n’en a plus les moyens, financièrement parlant. J’espère que tout le monde sera intelligent et se rendra compte que ce championnat n’a aucune chance de continuer. Et ce n’est pas seulement Rodange qui arrive à cours de moyens. On aurait déjà du mal à finir fin mai, alors si on nous demande de boucler en été…
Entretien avec Julien Mollereau