Les fins de match houleuses se multiplient depuis deux semaines. La fatigue? L’usure mentale? Le stress du résultat face à l’incertitude d’un arrêt ?
Le vide intersidéral (relatif) dans les stades fait qu’on entend tout. Et depuis deux semaines, il suffit d’avoir le droit d’entrer sur un stade (une carte de presse, ça peut aider) pour se rendre compte que les arbitres en prennent plein la figure. Dans un climat exécrable – qui va de l’usure physique de trois semaines anglaises à l’usure mentale de se demander si chaque match peut être le dernier et finir par une saison blanche ou un gel des positions –, chaque erreur (ou décision perçue comme une erreur) prend des proportions… normales, mais ressenties comme anormales, explique Charles Schaack, le patron de l’arbitrage au pays : «Sans spectateurs, tout le monde entend les joueurs, coaches et dirigeants crier. Ce sont eux qui mettent l’ambiance, mais cela fait surtout monter la tension.»
Deux matches particulièrement, cristallisent ce potentiel de dérapage qu’a la DN à l’heure actuelle : Progrès – Differdange, où Franck Bourgnon a été «accusé» de trois erreurs d’arbitrage par les deux camps et d’avoir envenimé la situation en mettant trop de temps à siffler à chaque faute. Il y a eu aussi Jeunesse – Progrès, où les dirigeants de la Vieille Dame reprochent des prises de décision hors de propos du quatrième arbitre et deux décisions litigieuses à M. Torres. Dans les deux cas, la fin de rencontre a été exécrable. Et pour l’exemple le plus récent, Panos Katsaitis, le vice-président de la Vieille Dame, tenait à s’expliquer : «Tout le monde peut passer une mauvaise journée de travail et commettre des erreurs, c’est humain. Mais samedi, on nous annule un but parfaitement valable juste avant la pause et en plus, l’arbitre arrête le match au moment où Einsiedler, en bonne position, va frapper. C’est la première fois dans une carrière de trente ans, que je vois ça. Et puis il y a ce quatrième arbitre qui expulse l’un de nos délégués. Selon ma connaissance des règles du jeu, il n’a pas le droit de le faire. Juste d’en référer à l’arbitre du centre, qui, lui, prend la décision. Ce quatrième arbitre n’était pas celui qui était inscrit au BIO et d’ailleurs, son nom n’apparaît pas sur la feuille de match. Nous avons transmis une note à la fédération. Les arbitres doivent nous respecter comme on les respecte!» Lors du derby differdangeois aussi, on s’est ému. Notamment de ce que Franck Bourgnon soit souvent nommé pour le même match.
Dans l’autre sens, le principe du rapport n’est pas aussi automatique. Charles Schaack constate qu’il n’y en a «pas plus que d’habitude», mais c’est juste que «comme il y a deux journées par semaine, on en parle plus». Comme ce clash Brouard-Fangueiro, en marge de RFCU – F91, qui a valu trois matches de suspension, dont un avec sursis, aux deux coaches, celui de Dudelange exigeant pourtant jusque longtemps après le coup de sifflet final de savoir ce qui lui avait valu son carton rouge.
La multiplication des caméras,
facteur aggravant
Les arbitres luxembourgeois, restés eux aussi longtemps à l’arrêt, et qui enchaînent depuis les rencontres, ont-ils du mal à s’y remettre? La question mérite d’être posée. Elle revient à demander si les rapports des examinateurs pointent un peu plus de défaillances que d’habitude. Charles Schaack y répond. De manière détournée parce qu’il n’évoque pas directement ces trois premières semaines de compétition, mais il y répond. «Quand on compare le niveau de nos arbitres à ceux d’autres pays européens, il suffit de regarder les premiers tours des Coupes d’Europe pour se rendre compte que l’on trouve bien moins bon, en termes de notes, que les Luxembourgeois. D’ailleurs, quand on observe les arbitres qui ont arbitré les Roud Léiwen, on se rend compte qu’on n’a vraiment pas à se cacher.» Ce n’est pas Luc Holtz qui le contredira, mais il n’empêche. D’aucuns au pays, et encore plus fort en cette période où les effectifs prouvent qu’ils ont plus de richesse qu’on ne soupçonnait, au fil du turnover imposé, continuent de dire tout haut que le corps arbitral n’évolue pas aussi vite que le niveau de jeu.
C’est peut-être aussi qu’on le remarque plus. Logique : maintenant, presque tous les clubs ont leurs caméras HD en attendant que celles de RTL se mettent enfin à fonctionner. Et ils diffusent. Et ne se privent pas de faire des montages pour appuyer leurs récriminations quand ils estiment être victimes d’une erreur d’appréciation. Samedi, plus de 10 000 personnes ont suivi Jeunesse – Progrès et le club eschois a rediffusé les séquences gênantes le lendemain. «Ils ont pu tirer leurs propres conclusions», assène Panos Katsaitis. Charles Schaack comprend, mais assure que cela n’aide effectivement pas ses hommes en noir : «Même quand vous avez la VAR, certaines décisions ne sont pas claires. Mais chez nous, il faut accepter de vivre avec l’erreur humaine. C’est gênant, le lendemain, de constater qu’on s’est trompé. Il en faut, du caractère pour admettre qu’on s’est trompé!» En attendant, joueurs, coaches, dirigeants ne semblent pas avoir besoin d’attendre de voir le ralenti pour se laisser emporter dans l’instant par la passion. Et le patron de l’arbitrage estime que c’est bien là tout l’intérêt du 4e arbitre, qui existe presque partout en Europe en permanence, mais que le Grand-Duché ne peut pas se permettre en temps normal par manque d’effectifs. «Ils doivent anéantir pas mal de montées en tension», explique Schaack. Les clubs assurent en ce moment que l’effet est inverse, que leur présence, souvent, les exacerbent. En espérant que ce retour des relations conflictuelles très traditionnelles n’aboutisse pas à un dérapage ces prochains jours…
Julien Mollereau