Les clubs de Division nationale luxembourgeoise ont repris lundi soir. Dans quel état physique? Le préparateur de la sélection nationale, Claude Origer, pose son regard sur ce retour compliqué aux affaires.
Seize clubs ont retrouvé les terrains, hier soir, après de longues semaines d’une tentative forcément aléatoire de maintenir les organismes à flot, à distance. Que doit-on attendre de ce mois d’entraînement? Comment imaginer la reprise du championnat, le 7 février? Nous sommes allé demander à un homme sans parti pris, Claude Origer, préparateur physique des Roud Léiwen depuis de longues années.
Quel effet cette année chaotique de mises à l’arrêt, de retour à l’entraînement voire à la compétition, d’attente… aura-t-elle sur les organismes en ce début d’année 2021 ?
Claude Origer : (Il éclate de rire) Bonne question, je ne sais pas! Un médecin m’a dit, un jour, „qu’est-ce qui est normal chez l’homme?“. Alors j’espère que les clubs ont bien fait leurs devoirs et que les programmes qu’ils ont fournis à leurs joueurs étaient bons. J’ai aperçu quelques-uns de ces programmes. Certains sont restés dans le travail de base, d’autres sont entrés dans des domaines bien plus spécifiques. Dans ces conditions, il faut travailler autre chose que de la course. Des jeux, des circuits, de la conduite de balle, des choses qui permettent de se rapprocher de ce qu’on fait sur le terrain, des choses qui permettent de travailler la VO2 max. J’imagine que tout le monde n’a pas fait ça de la même façon.
Comment aviez-vous trouvé le niveau général au début du championnat, alors que les joueurs avaient été privés de compétitions pendant de longs mois ?
Je n’ai pas vu énormément de matches. Forcément, les joueurs ne pouvaient pas être à 100 %, mais je m’abstiendrai de juger. Vous savez, quand on compare les données des tests de joueurs en fonction du fait qu’ils jouent en clubs pros ou au Luxembourg, on voit encore des différences conséquentes. Tout le monde au pays ne peut pas travailler comme il faudrait. Il y a une vingtaine d’années déjà, je disais qu’il vaut peut-être mieux avoir 24 joueurs et le matériel qu’il faut pour bien les entraîner, que 30 joueurs sans aucun moyen. Aujourd’hui encore, ils ne peuvent pas tous se permettre, par exemple, un système Polar à 15 000 euros. Il y en a même certains qui en ont en nombre limité et certains joueurs doivent se les échanger. Mais à quoi ça sert? Les données se mélangent et les formules de travail ne peuvent pas être justes. On ne va pas demander à un joueur de faire un exercice à 95 % de sa capacité si on se base sur des données en sachant qu’il a partagé sa montre avec quelqu’un d’autre…
Il suffit d’avoir mis en place un programme équilibré
Cela veut-il dire que les clubs – certains en tout cas – auront du mal à travailler normalement tout ce mois de janvier ?
Ah mais si, tu peux fonctionner normalement, même après cet arrêt, du moment que tu as bien travaillé durant les mesures sanitaires. Il suffit d’avoir mis en place un programme équilibré et pas juste de l’endurance de base couplé avec de la musculation. Si tu as fait deux mois d’endurance de base, que tu as dit à tes joueurs „allez courir en forêt“, alors là oui, vous allez avoir un problème. J’espère pour les gros clubs qu’on verra la différence de moyens avec les petits, cela voudra dire qu’ils ont bien travaillé. En février, on va voir comment les clubs fonctionnent. Mais travailler comme le font certains sans données sur leurs joueurs, sans valeurs, c’est agir en aveugle. Impossible de doser.
Certains clubs ont indiqué avoir constaté, durant l’année 2020, que les corps des joueurs semblent moins prêts à encaisser les chocs, qu’ils se sont fragilisés.
C’est aussi un problème musculaire. Le spécifique, c’est tacler, se relever, changer de direction, accélérer… Tout cela doit trouver sa place dans un programme, il faut trouver des moyens de compenser l’absence de matches. On a un peu le même souci finalement avec un joueur qui revient de blessure. Je me souviens d’une fois où Stefano Bensi s’était blessé avant d’arriver en sélection. Après l’avoir vu, j’ai dit à Luc Holtz qu’il n’était pas apte à faire plus de dix minutes au niveau international. Et puis trois-quatre jours avant, on l’a fait participer à un match amical, c’était contre Charleroi. Il avait fait une très bonne mi-temps et d’un coup, sa capacité s’était étendue à une heure de temps de jeu, juste parce qu’il a eu l’opportunité de s’adapter au niveau mental. L’intensité des courses, des duels, c’est ce qui manque le plus aux joueurs et c’est ce qu’il faut viser ces prochaines semaines, justement pour éviter, plus tard, le risque de blessure. Mais il n’y a pas de formule magique, il n’est pas envisageable de dire qu’il faudrait au moins deux, ou trois, ou quatre matches amicaux. Tout dépend des besoins de vos joueurs. Et pour ceux qui sortent de deux mois dans les bois, la reprise sera risquée.
Vous parliez de mental, l’aspect psychologique ne va-t-il pas quasiment prendre le pas sur le physique ces prochaines semaines ?
Pour moi, les deux sont complémentaires. Aucun n’est plus important que l’autre. Si je n’ai rien fait pendant deux mois et que je cours un 10 kilomètres, je peux, physiquement, me sentir très mal alors que moralement, je me sens bien. Ou très mal (il rit). Mais là, ces derniers temps, le joueur de foot, il a souffert. Il est habitué à travailler en groupe et c’est pour ça qu’il fallait trouver un programme qui le motive. Un jour, un joueur est venu me voir en me disant qu’il était prêt à faire tout ce que je voulais mais que si je lui demandais de faire un programme seul, à la maison, il ne le ferait pas. „Je suis un fainéant“, m’a-t-il dit. Le rôle d’un préparateur physique, c’est aussi de le motiver, de trouver les exercices qui peuvent le motiver. Il faut lui laisser des messages après les séances, lui parler de ses données, lui fournir une évaluation, rectifier les choses. C’est crucial.
Julien Mollereau