Emmanuel Cabral, le portier du Fola Esch, tire un trait sur l’Europe pour mieux rebasculer sur la DN, dès samedi, avec un match phare contre le Progrès.
Qu’a fait le Fola, ces dix derniers jours?
Emmanuel Cabral : On a eu l’occasion de se reposer un peu, de régénérer le moteur. Puis de travailler de nouveau l’endurance et les automatismes. Ce dernier travail reste important parce qu’il y a eu beaucoup de changements cet été. Même si notre campagne européenne, avec beaucoup de matches gagnés contre des clubs aux moyens largement supérieurs aux nôtres, prouve qu’on est déjà solide offensivement et défensivement, malgré ce nouvel ADN.
Comme beaucoup de clubs du pays auteurs de belles épopées européennes, vous revenez à l’ordinaire en accusant un petit retard en championnat puisque vous êtes actuellement onzième, avec certes un match de retard. Absolument pas inquiétant?
Si je ne me trompe pas, à l’exception du Progrès, tous les « premiers« (sic) ont déjà perdu des plumes. Non, ce championnat va rester très ouvert et il reste plus qu’assez de matches. Nous, c’était normal : pendant tout le mois d’août, on a mis le focus sur l’Europe. C’était important au niveau financier et au final, l’opération est bonne. On sait tous la masse d’argent qu’il y a là-derrière. Si on veut rester compétitifs mais aussi être payés, on se devait de faire tout notre possible, nous, les joueurs, pour passer des tours. Les clubs du pays restent des ASBL et on sait très bien comment cela se passe si les sponsors ne peuvent plus mettre autant d’argent en temps de crise. Et là, je m’exprime au nom de toute l’équipe, j’estime que nous avons largement rempli notre part du contrat. Première fois qu’un club gagne quatre matches consécutifs en Coupe d’Europe, première fois qu’un club va aux barrages de la Conference League… Ça en fait des premières fois pour un seul club.
Si on veut rester compétitifs mais aussi être payés, on se devait de faire tout notre possible, nous, les joueurs, pour passer des tours
Cette campagne a tout de même eu un mauvais aspect : elle vous a coûté la blessure de Stefano Bensi.
C’est un petit drame. Sans manquer de respect à mes coéquipiers, Stefano c’est un des meilleurs du pays si ce n’est le meilleur. Il nous faisait des différences à lui tout seul grâce à l’expérience qu’il amenait sur le terrain. Alors les jeunes vont faire leur part du contrat pour compenser mais j’espère qu’il nous reviendra vite tel qu’il était début août, plein de jus. J’avais l’impression de retrouver le Stefano Bensi qui avait 25 ans.
Il y en a un autre pour qui cela a dû être difficile : Diogo Pimentel, appelé en équipe nationale et qui doit passer son tour à cause du coronavirus…
Non mais Diogo, c’est impossible de l’abattre! Il est enfin appelé et il ne peut pas y aller à cause de ce covid de m…? Eh bien il va continuer à travailler et il ira quand même parce que vu ses qualités, vu ses caractéristiques, c’est impossible de ne pas l’appeler.
Parlons de vous. On a l’impression que votre défense doit composer, en ce début de saison, avec un stress nouveau : une attaque qui tient un peu moins le ballon et donc des vagues qui reviennent plus vite, quitte à faire reculer le bloc.
Je crois que ce n’est qu’une impression née de ce qu’on nous a surtout vu jouer en Coupe d’Europe.On évoluait plus compacts, plus groupés et quand on décidait de sortir, de piquer l’adversaire, on le faisait à cinq ou six. À deux, ça n’aurait eu aucun sens. Et donc à la perte de balle, faites le calcul, il pouvait ne rester que la moitié de l’équipe seulement.
Contre le Kairat Almaty, Sébastien Grandjean vous a reproché de ne pas pousser assez vos défenseurs à remonter.
Je pense qu’il y avait, à ce moment-là, de la frustration et chez lui et chez moi. Les consignes, c’était de jouer haut contre Almaty, de ne pas les laisser rentrer dans les seize mètres. Si on écoute la bande-son de ce match, on ne m’entend pratiquement dire que ça à mes défenseurs, de remonter. Mais quand on prend vague sur vague, ce que je leur demandais devenait impossible à appliquer. Mais je comprends le point de vue du coach, parce que le foot qu’on pratique est un foot offensif dans lequel la défense et le gardien doivent participer. On n’est plus en 1950, il y a des risques qu’il nous faut assumer. Jouer comme ça, cela fonctionnera quarante-neuf fois sur cinquante et c’est un bon ratio, je trouve, mais la cinquantième, l’adversaire nous fera souffrir et là… eh bien juste chapeau à lui.
Vagner Love a la chance de vivre de son sport alors que moi, le lendemain, je retourne travailler à la banque
D’un point de vue mental, perdre contre le Kairat et Vagner Love, c’était moins douloureux que cela l’aurait été contre un autre adversaire?
Ah mais on n’était pas content d’être battus par le Kairat Almaty, hein! Moi je lui mets deux tartes à celui qui vous dit qu’il était content. Non, c’était juste que cela ne servait à rien de pleurer après une défaite contre une équipe qui a 22 millions d’euros de valeur marchande alors que nous c’est moins de 1. On était tristes mais fiers de ce qu’on a fait. Quant à Vagner Love… le mec a 37 ans et il fait la musique… À la fin, je lui ai demandé son maillot pour mon père, qui est brésilien. Il me l’a donné et on a discuté. Il voulait savoir comment cela se passait au Grand-Duché parce que je l’avais chambré pendant le match, alors qu’il demandait un penalty. Je lui ai dit de se lever, qu’il avait de la chance de vivre de son sport alors que moi, le lendemain, je devais retourner travailler à la banque.
Il va falloir repasser à l’ordinaire dès ce week-end.Et l’ordinaire prend la forme du leader, le Progrès Niederkorn… qui ne vous a plus battu depuis cinq rencontres.
Il n’y a jamais de favori dans ces matches-là. Le Progrès, c’est une superbe équipe, un club bien géré. On pourra se regarder les yeux dans les yeux, samedi. C’est un match au sommet et j’ai l’impression qu’on sera très proches toute la saison.
En mai, vous nous aviez dit que vous aviez l’impression qu’on continuait de sous-estimer le Fola, et manifestement, cela vous énervait profondément. Avez-vous l’impression que c’est toujours le cas?
Je ne vais plus trop m’étendre sur le sujet. Je vais laisser les journalistes faire leur travail et les gens parler. Mais je vais vous dire ceci : il faut se méfier de toutes les équipes, aujourd’hui, même celles qui, il y a trois ans, ne battaient absolument personne.
Entretien réalisé par Julien Mollereau