On a assisté à une passation des pouvoirs, samedi au Regio Meeting, où Claude Godart a pu défier celui qu’il appelle son héritier : François Grailet.
Le Regio Meeting 4, samedi à la Coque, a été historique à plus d’un titre. Non seulement, on a assisté à une pluie de records nationaux. Mais la manifestation a également marqué la rencontre, sur la piste, de François Grailet, nouveau patron des haies luxembourgeoises, et de Claude Godart, son illustre aîné, qu’il a dépossédé de ses records à la fois en plein air et en salle.
De l’autre côté de la barrière
Les deux hommes se respectent et s’apprécient. Et pour l’un comme pour l’autre, il était important de se rencontrer sur la piste. Les deux hurdleurs auraient dû se défier il y a plusieurs mois de cela, lors de la Coupe du Prince. Mais une blessure – encore une – du quadra du CSL avait empêché cette passation des pouvoirs sur le tartan. Ce n’était que partie remise et c’est donc samedi que l’événement a eu lieu. Évidemment, il n’y a pas eu de suspense entre l’athlète en pleine force de l’âge de 27 ans et son glorieux aîné, qui affiche 41 ans au compteur. Le premier a amélioré à deux reprises sa marque nationale pour la porter à 7″75, à seulement trois centièmes des minima pour les Mondiaux de Belgrade.
De son côté, Claude Godart bouclait sa ligne droite en troisième position, avec un temps de 8″92 : «J’ai trop regardé François et un Belge qui était devant moi et je ne me suis pas assez concentré sur ma course. Je fais moins de 9 secondes, mais je suis quand même déçu. J’espérais ne pas être à plus d’une seconde de François, c’est raté. Une seconde, c’est presque dix mètres. Bon, maintenant, je sais ce que ça fait d’être de l’autre côté de la barrière», sourit l’architecte. Et d’ajouter : «J’ai des copains qui ont filmé la course. Ça me fera de bons souvenirs. Et puis, j’aurais participé sportivement à cet événement pour François.»
La tradition, ça a du bon
Longtemps, effectivement, Claude Godart était du bon côté de la barrière. Celui du vainqueur. Qui domine ses adversaires. Du modèle qu’on veut égaler. Voire dépasser. Lui a déjà été dans la situation de celui qu’il appelle son «héritier». Son Claude Godart à lui était Thierry Eischen, qui dominait les haies hautes au Grand-Duché : «J’avais quelque chose comme 17 ans quand il a battu le record. J’ai eu par la suite l’occasion de courir contre lui. J’étais très fier.» Et ce qui devait arriver arriva : en 2003, Godart améliorait le record du 60 m haies (8« 09 contre 8“16). Il butera longtemps sur les 14« 10 d’Eischen sur le 110 m haies, avant d’abaisser enfin cette marque en 2007, pour la porter à 13« 95. Une progression qui n’a pas échappé à son prédécesseur, qui a tenu à le féliciter d’une manière élégante : «Quand j’ai battu son record, il m’a invité au restaurant. Je me suis dit que si quelqu’un battait le mien, je ferais de même. Bon, j’espérais que ça arriverait plus tard, mais une quinzaine d’années, c’est déjà pas mal», sourit Claude Godart, qui a donc invité son successeur il y a quelques mois : «On s’est retrouvés place d’Armes. On a mangé mexicain et, ensuite, on est allé ailleurs pour boire un coup. C’était très sympa.»
«Claude, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Quand je me suis spécialisé sur les haies et que j’ai commencé à descendre les chronos, je me disais que j’étais très loin de ses 13« 95. On a commencé à s’envoyer des messages, il se tenait au courant de mes temps. Et quand j’ai battu son record, il m’a expliqué que la tradition voulait qu’il m’invite au restau. J’ai trouvé cela hyper fair-play. Et si jamais mon record est battu, je ferai pareil», confie François Grailet.
Une carrière brutalement interrompue
Ce dernier a bien failli ne jamais avoir l’opportunité de se mesurer à Claude Godart. En effet, la carrière, déjà très avancée, de ce dernier, a subi un coup d’arrêt, qu’on pouvait craindre définitif, en 2016 : «On était aux championnats d’Europe des Masters à Ancône, en Italie. J’étais en finale avec le quatrième temps. Il y avait deux Anglais très forts et un Espagnol, plus de mon niveau, qui était couloir 3 alors que j’étais au 6. Je me suis dit que je devais faire ma meilleure course pour aller chercher une médaille. J’ai été à fond, à fond, à fond, très agressif et au-dessus de la dernière haie, je me fais un claquage énorme. Je termine malgré tout la course en 8« 30, mon meilleur temps de la saison, en m’écroulant sur la ligne. Je suis quatrième, mais je n’ai plus aucune stabilité. Je m’étais déchiré deux des trois muscles aux ischios et je me suis fait opérer.» À 35 ans, cette très grave blessure sonnait certainement le glas du parcours d’un athlète qui a compensé son manque de physique par une technique sans faille.
Chassez le naturel, le compétiteur revient au galop
Mais c’était mal connaître l’oiseau. Au début, effectivement, il reste à la maison, s’occupe de sa famille qui s’agrandit (il a désormais 3 garçons et 1 fille) et part au boulot normalement. Cependant, ce n’est pas la manière dont Claude Godart voulait dire stop : «Ce n’est pas moi qui ai décidé d’arrêter. D’ailleurs, quand on m’a proposé de m’honorer pour ma carrière, j’ai refusé !» Il recouvre tout ou partie de ses moyens sans apparaître dans les stades pour autant – «Ça me faisait trop mal de voir les autres courir» – et en 2020, il recommence doucement à courir un peu. Pour le plaisir. Il obtient de sa femme le droit de se mettre à 80 % pour pouvoir s’entraîner les mardis et jeudis après-midi : «J’ai retrouvé le plaisir. Au début, c’était très dur, j’avais encore mal. La première année, je n’ai pas fait de haies. Mais même si je n’ai plus la vitesse, j’ai encore la technique.» Et il va le prouver en décrochant un nouveau titre national, fin juin. «Et pourtant, en mai, pour ma première course, c’était une catastrophe», se remémore-t-il.
Un corps qu’il faut apprendre à écouter
Claude Godart est de retour… mais à son propre rythme : «J’ai toujours la blessure en tête. Je dois écouter mon corps. Mes mollets sont parfois durs. J’ai besoin de plus de temps pour récupérer.» Et c’est en toute conscience qu’il se projette (un peu) vers de nouveaux championnats Masters : «La question se pose. Je n’ai pas un trop mauvais temps. Et je sais que je peux encore m’améliorer. Je veux courir en moins de 16 secondes, mais j’ai 15″50 en tête. Maintenant, il y a toujours le risque de se blesser, d’autant plus que les haies sont plus basses en Masters.»
La relève est assurée
Mais qu’on le retrouve ou pas lors des prochaines échéances internationales des Masters, le nom de Godart n’a certainement pas fini de résonner dans le monde des haies luxembourgeoises. En effet, son fils de neuf ans a d’ores et déjà promis de venger papa : «Quand François a battu mon record, Mast m’a demandé pourquoi j’étais triste. Et il m’a dit que quand il serait grand, il reprendrait ce record!» Et de préciser : «Pour le moment, il fait du tennis et de l’athlétisme. Mais en cours, il commence à dire qu’il fait des haies, comme papa.»
La relève est donc assurée. Et en attendant, on devrait retrouver les deux adversaires d’ici un mois, lors des championnats nationaux : «En été, on s’était donné rendez-vous pour les championnats indoor. Finalement, on s’est affrontés un mois plus tôt», constate le plus ancien. «Je lui avais dit que je ne lui donnerais pas le titre gratuitement. Mais après la leçon de samedi, je dois bien reconnaître que ce sera compliqué», rigole-t-il. Et de conclure, à propos de son jeune adversaire : «François est un héritier sympa, motivé et costaud, digne et très sympathique. Dès son arrivée en équipe nationale, il s’est bien intégré. Il veut défendre les couleurs du Luxembourg. Je lui souhaite de se qualifier pour les championnats du monde !» Voilà un bel adoubement!