Arno Bonvini est encore le coach de Mondorf pour un petit mois. Il était l’entraîneur en poste le plus ancien de DN.
Arrivé il y a six ans, le technicien mondorfois s’en va parce que construire sans arrêt, encore et encore, une équipe qui ne parvient pas à passer un vrai cap menaçait de le lasser. Il nous a expliqué la vie ordinaire d’un coach de club «moyen» qui sait d’avance qu’il devra tout reconstruire chaque été.
C’est un bon job, coach de DN ?
Arno Bonvini : Oui, c’est très excitant. Quand j’ai atterri à Mondorf, grâce au secrétaire du club, c’était en tant qu’adjoint d’Henri Bossi, que je ne connaissais pas du tout. J’avais 35 ans, je venais de Weiler-la-Tour, où j’engueulais mon adjoint quand il ne venait pas me filer un coup de main le samedi matin, pour la quatrième séance de la semaine, alors que le pauvre avait une heure de route. Déjà à l’époque, mon souci, en Division 2, c’était de faire le boulot le plus sérieusement possible, quel que soit le niveau.
C’est ce qui vous a permis de durer six ans dans un club de ce niveau ?
Déjà, j’ai eu la chance d’avoir un directeur sportif, Patrick Kugener, et un président, Christian Strasser, qui n’ont quasiment jamais paniqué, malgré quelques moments de doute. Ensuite, c’est important d’avoir des guerriers qui servent de relais sur le terrain. Des Nabli, des May, des Benhemine, des Worré… Sans guerriers, on n’avance pas.
Vous avez dit vouloir arrêter par « usure », par « fatigue ». Concrètement, vous les ressentez comment ?
J’avais dit à mes dirigeants au début des négociations, avant même de me demander si je ne devais pas arrêter, que ce groupe pouvait encore progresser, mais qu’il fallait à tout prix conserver l’axe May-Sinani. Et le fait de ne pas avoir réussi à conserver Sinani m’a fait réfléchir. Vous savez, quand vous disputez, en six ans, votre première saison durant laquelle vous arrivez à produire du jeu, à faire face à certaines grosses équipes, à voir votre équipe évoluer, vous vous dites une chose simple : « Si on arrive à garder May et Sinani, on envoie un signal à tous les jeunes du pays et ça peut enfin enclencher quelque chose. » Et puis Sinani décide de signer au Fola et là, vous vous demandez : « Est-ce que j’ai la force pour recréer encore une équipe, pour supporter encore un nouveau cycle ? »
En vous écoutant, on a l’impression que cela va bien au-delà. Que ça va jusqu’à la crainte que le fait de jouer le ventre mou s’éternise…
Bon, Mondorf est déjà la preuve qu’on peut faire de belles choses sans dépenser des fortunes et les résultats ne donnent pas forcément tort à nos dirigeants. Mais il nous manque les moyens pour garder un Sinani. Il y a de plus en plus d’argent en DN et c’est de plus en plus difficile de se maintenir. À la longue, l’argent fera la différence. Tu peux faire face quelques années, comme nous sommes en train de le faire, mais je me dois de me poser des questions : « Peut-on faire mieux ? Puis-je, moi, faire mieux ? Est-ce qu’un autre, à ma place, peut faire mieux ? Aujourd’hui, Mondorf peut-il espérer mieux que de jouer bien et parfois prendre quelques points contre les grosses équipes ? Peut-il espérer mieux qu’une 5e ou 6e place ? »
Ça ronge, ce genre de questionnements, quand on n’aspire forcément qu’à progresser ?
Ce qu’il y a d’usant, c’est de sortir d’une belle saison, au cours de laquelle tu as réalisé de belles choses, et de savoir que tu vas devoir de toute façon tout rebâtir. Où vais-je retrouver un joueur luxembourgeois comme Sinani à douze passes décisives ? Il n’y en a qu’un : Thill, et il est au Progrès. Les grands clubs, eux, ils peuvent garder leur effectif. Donc voilà, là, c’est Sinani. La saison passée, c’était Worré (NDLR : parti à Differdange). Et on a eu la chance de réussir à bien le remplacer. Et puis on a Natami aussi, qui est en train d’exploser. Il y a trois mois, personne ne le connaissait et maintenant, il met la misère à toutes les défenses de DN. Mais il appartient toujours au F91 et moi, j’ai toujours cette peur, cette angoisse, de perdre ces joueurs. À la limite, ça ne me dérange pas quand c’est pour aller plus haut. Mais quand c’est pour rejoindre un club d’un niveau équivalent au nôtre…
C’est ce qui vous agace dans ce boulot ?
Ce qui m’agace le plus, c’est la malhonnêteté. On rencontre en DN des tas de gens qui ne vous veulent pas du bien. Même entre coaches, il n’y a pas assez de cohésion alors qu’on est tous pareils : on n’est jamais à l’abri de nos joueurs, de se faire virer…
Doit-on comprendre que vous n’avez pas beaucoup d’amis dans le milieu ?
Je suis dans le foot comme je suis dans la vie : très droit. Et un gars qui n’accepte pas l’abandon. Alors avec des joueurs qui ont ma mentalité, oui, j’ai pu nouer des affinités, mais malheureusement, il y en a de moins en moins. Quant aux coaches… ce n’est pas mon intention de me faire des amis. Disons que je m’entends bien, je crois, avec Patrick Grettnich, Pascal Carzaniga. Et j’ai eu aussi un bon rapport avec Carlo Weis…
Pourtant, vous avez dû passer plus de temps avec tous ces gens qu’avec votre propre famille en six ans.
Mon boulot d’instituteur, qui me prend de 23 à 25 heures par semaine, fait que ça a été possible. Je n’ai jamais calculé combien d’heures par semaine je faisais pour le foot, mais c’est plus.
La rémunération horaire doit être moins avantageuse, non ?
C’est vrai que par rapport à l’investissement que cela représente… oui ! Mais je me suis toujours dit que cet investissement serait payé différemment. Et bien mieux que 300 euros de plus par mois. Alors oui, je gagne plus qu’en 2012, quand j’ai commencé, mais je suis tellement honoré que Mondorf m’ait donné cette opportunité alors que je venais de D1 et que je n’avais rien prouvé, que je suis toujours resté hyper-raisonnable. Même si mon « salaire » est monté au fur et à mesure.
Vous êtes entré là par effraction et vous êtes resté en poste plus que quiconque en DN à l’heure actuelle. Que valez-vous, maintenant, aux yeux des autres clubs ?
Aux clubs de décider. À eux de dire si le petit coach de Mondorf peut gérer une autre équipe et de quelle taille. Je fais juste mon boulot sérieusement. On va voir aussi qui va me succéder. Vous savez, il faudra trouver le bon parce qu’être coach à Mondorf, ce n’est pas forcément le job dont rêvent tous les entraîneurs du monde…
Entretien avec Julien Mollereau