Le sprinter luxembourgeois a multiplié les places d’honneur lors des arrivées groupées. Le tout, sans bénéficier d’une grande assistance de ses coéquipiers.
Au départ de la Vuelta, qui vient de s’achever dimanche à la tombée de la nuit madrilène, l’équipe BMC ne s’était pas présentée avec l’intention de figurer dans les rares sprints massifs offerts aux purs finisseurs.
Logique, avec deux leaders comme Tejay Van Garderen et Samuel Sanchez, la formation américaine avait de solides arguments pour le classement général. Voilà pour la théorie. En pratique, les leaders, entre chute et blessure, ont disparu en cours de route. Restera le gain de la première étape, un contre-la-montre par équipes purement anecdotique et le succès en solitaire d’Alexandre De Marchi dans la 14e étape. Et bien entendu les places d’honneur de Jempy Drucker dans les arrivées au sprint.
Le coureur luxembourgeois n’a pas ménagé sa peine. Il ne lui a sans doute pas manqué grand-chose pour s’imposer. Mais à chaque fois qu’il s’est frotté aux meilleurs sprinters présents, il est apparu qu’il lui manquait deux ou trois coureurs pour soutenir la comparaison des Sagan, Ewan, Van Poppel et Degenkolb, souvent placés dans de meilleures conditions. «C’était flagrant, dimanche, lors de la dernière étape. Les efforts qu’il a faits pour se replacer aux deux kilomètres lui ont sûrement fait défaut dans les derniers mètres. Il n’a pourtant pas manqué grand-chose à Jempy, mais sur ce sprint, Degenkolb m’a semblé imbattable.
C’est Van Poppel que Jempy aurait pu passer pour prendre la deuxième place. Dans sa position, ce n’est pas simple de se retrouver dans le sillage des trains des autres sprinters. Mais au moins, il peut bénéficier de l’aspiration pour tenter de sortir. Justement, lorsqu’on vient de multiplier les efforts pour boucher les trous et changer de trajectoire, ce n’est pas simple du tout. Et dans ce registre, Jempy se débrouille plutôt très bien», analyse l’ancien professionnel Tom Flammang, aujourd’hui consultant pour RTL télévision.
Eugène Urbany est du même avis. Le 24 juillet 1983, celui qui depuis la fin de sa carrière s’est reconverti en marchand de cycles (à Kayl), terminait troisième sur les Champs Elysées de la dernière étape du Tour de France, battu par l’Irlandais Sean Kelly et le Suisse Gilbert Glaus. Jamais plus depuis dimanche, un coureur luxembourgeois n’avait obtenu une si bonne place sur un grand tour, dans un sprint massif, entendons-nous bien.
«J’apprécie la façon dont Jempy se débrouille, explique Eugène Urbany. Car il a la vision qu’il faut avoir en pareil cas, il sent la course. Donc il se place très bien. Bien sûr, face aux autres sprinters qui disposent d’un train, ce n’est pas simple. On n’imagine pas l’énergie qu’on laisse à partir de la pancarte des cinq kilomètres lorsqu’on est esseulé…»
Si dans les années 80, la mode n’était pas aux trains chez les sprinters, aucun grand nom de l’époque ne pouvait néanmoins se débrouiller seul. Eugène Urbany explique: «Chaque coureur capable de l’emporter avait quand même deux ou trois coureurs pour l’emmener, mais tout se débloquait plus loin, à l’approche de la ligne. Aujourd’hui, la manœuvre des équipes commence de loin.»
Juste avant la Vuelta, sur les routes de l’Eneco Tour, Jempy Drucker bénéficiait sur le final des étapes (il avait signé une troisième et une quatrième place) de l’abattage de Manuel Quinziato. Ce qui n’était pas le cas sur les étapes du Tour d’Espagne, pour les raisons que l’on sait, la BMC n’étant pas spécialement composée pour les arrivées groupées…
Mais justement, Jempy Drucker est-il ce coureur idoine pour bénéficier d’un train? «Ce qui est sûr, s’amuse Tom Flammang, c’est que si on plaçait un sprinter comme André Greipel dans les mêmes conditions que Jempy, alors, il ne serait jamais placé à l’arrivée. On le verrait se relever aux 500 mètres, la mine défaite.»
D’accord, mais imaginons un instant Jempy Drucker emmené dans de bonnes conditions… «Il ferait forcément encore mieux», estime Eugène Urbany. Pour le coup, Tom Flammang est un peu plus mesuré : «Certes, l’équipe Giant n’est pas l’équipe BMC. Ce n’est pas dans la culture de BMC d’emmener les sprints, car son registre est différent. Et ce n’est pas la même chose de devoir improviser comme le fait très bien Jempy, que d’être emmené. Mais je ne pense pas que, pour le moment, il ait « l’explosivité » finale d’un Greipel, d’un Cavendish. En général tout se joue dans les cinquante derniers mètres.Peut-être qu’en poursuivant un travail spécifique, il pourrait franchir un nouveau palier.»
Mais selon le marchand de cycles bertrangeois, ce n’est pas forcément dans les sprints qu’il faut attendre le meilleur à venir de Jempy Drucker. «Bien sûr, poursuit-il, on l’a vu à son aise sur les sprints de la Vuelta, mais justement, je pense qu’avec cette forme, il peut réaliser de très bons Mondiaux. Car il a très bien fini cette Vuelta. Ce qu’il a fait dans le final de la dernière étape ne trompe pas, notamment lors de sa relance dans le dernier virage à 180 degrés. Et puis par après, il va progresser encore dans les classiques de printemps, j’en suis persuadé. Après son succès à Londres je lui avais dit que cette victoire le débloquerait. Il n’a plus gagné depuis, mais on le sent encore bien plus costaud.»
Bref, du haut de ses 29 ans, Jempy Drucker n’a sans doute pas fini d’épater la galerie. Avec ou sans train…
Jempy Drucker