Deuxième de l’édition 2007, Andy Schleck ouvre l’armoire à souvenirs et évoque avec passion et enthousiasme la situation de Bob Jungels, qu’il voit même atteindre le podium.
Avec son magasin de cycles, ses missions pour les cyclosportives lointaines d’ASO, et son rôle de président délégué du Skoda Tour de Luxembourg, Andy Schleck vit à pleins poumons sa deuxième carrière. Mais il n’oublie pas que sa deuxième place dans le Giro-2007, à seulement 21 ans, fut son premier coup d’éclat…
Voici dix ans, vous terminiez deuxième du Giro derrière Danilo Di Luca. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Andy Schleck : Oui ça va faire dix ans, mais j’avoue que je n’y pense pas vraiment. C’est pourtant là que tout a commencé pour moi. Aujourd’hui, même si je ne suis plus sur un vélo, je profite toujours de cette sorte d’élan, puisque cette course m’a permis de prendre confiance en moi, un élan dont je profite encore aujourd’hui dans un tout autre domaine. Malgré le temps qui passe. Dix ans, oui c’est ça, ça passe vite…
Cette année-là vous terminiez deuxième derrière Danilo Di Luca, qui vous a battu pour un peu moins de deux minutes à Milan (NDLR : 1’55). Cela vous a-t-il laissé des regrets ?
Sur la route, non aucun regret. Après j’ai eu des regrets lorsque j’ai appris ce qu’il a écrit dans son livre où il admettait s’être dopé. C’est ça qui m’embête et maintenant que je ne suis plus coureur, je peux le dire en toute liberté, j’ai le sentiment qu’il m’a volé.
Pourtant on se souvient qu’il ne paraissait pas imbattable et que de votre côté, votre équipe était faible numériquement avec de multiples abandons…
D’accord mais cela m’a permis d’aborder la course avec zéro pression. J’avais toute la liberté permise, donc je n’ai au final aucun regret de ce point de vue. C’est avec cette deuxième place dans le Giro-2007 que le public du vélo m’a découvert, que j’ai fait mon premier bond. Le parcours était raide et me convenait. D’ailleurs, j’avais très bien fini puisque j’avais fait un bon chrono (NDLR : il avait terminé sixième du dernier chrono de Vérone, long de 43 kilomètres, à la veille de l’arrivée à Milan). Mais Di Luca avait aussi eu la chance d’appartenir à l’équipe Liquigas qui était très forte. Souvent elle imposait un tempo très élevé. C’est pourquoi je n’ai pas de regret, il n’y avait rien à faire de mieux. C’était très difficile. Je pense que j’avais raté le coup dans l’étape des Trois Cimes de Lavaredo dans les Dolomites (NDLR : dans la brume et le froid, Andy Schleck avait terminé neuvième d’une étape remportée par Riccardo Ricco, alors que Di Luca prenait la 6e place, confortant son maillot rose). Si je n’avais pas perdu ce temps, alors j’aurais, peut-être, pu me sublimer sur le Zoncolan, deux jours plus tard (NDLR : Andy Schleck termina troisième, juste devant Di Luca d’une étape remportée par Gilberto Simoni devant son coéquipier de Saunier Duval, Leonardo Piepoli). Qui sait ?
Cette participation au Giro restera unique. Ne le regrettez-vous pas aujourd’hui ?
Non, car j’étais très content de faire le Tour de France qui reste, chacun le sait, la plus grande course du monde. Et moi, honnêtement, je ne pouvais pas enchaîner deux grands tours la même année. Ce n’était pas pour moi…
Mais le parcours d’un Giro n’était pas davantage dans vos cordes ?
Peut-être, mais j’avais fait mon choix. C’est vrai que le Tour n’est pas la course la plus dure du monde en ce qui concerne les profils, mais en ce qui concerne la course en elle-même, il n’y a pas photo. Au Giro, ça roule tranquille au départ de l’étape, jamais ce n’est le cas sur le Tour. Le Giro reste moins médiatisé que le Tour. La pression est énorme sur le Tour en juillet, alors qu’en mai, sur le Tour d’Italie, cela reste très respirable. C’est le peloton qui décide toujours de la dureté d’une course et le Tour est, et restera, la course la plus dure du monde.
Cela ne vous avait pas plu ce classement spécial pour les meilleurs descendeurs, d’ailleurs finalement retiré avant sa mise en place…
Cela m’avait sidéré, mais d’un autre côté, seuls les organisateurs du Tour d’Italie pouvaient se permettre ça. Ils ont fait passer des étapes sur des chemins de terre en montagne, tenté des pourcentages impossibles… Moi j’ai cru franchement à une blague. Non, c’est un sport déjà assez dangereux comme cela, pas besoin d’en rajouter encore et encore. C’est beaucoup mieux de travailler à une meilleure sécurité des coureurs.
Finalement, vous êtes resté un peu coureur…
Honnêtement, oui, c’est comme ça que je le vis à mon poste de coorganisateur du Skoda Tour de Luxembourg. Il faut penser aux coureurs, c’est la priorité. C’est un sport dangereux. Sur un vélo, tu dois toujours te méfier. La mort de Scarponi m’a encore fait pleurer…
Vous roulez encore ?
Pas comme Frank (NDLR : son grand frère) qui roule presque autant que lorsqu’il était pro. Mais je roule à une fréquence de trois fois par semaine et je fais beaucoup de VTT. Je teste les vélos pour mon magasin. La page est tournée, mais je prends quand même plaisir à monter sur le vélo.
Et ce Giro-2017, vous l’imaginez comment ?
Pour une fois, au moins dix coureurs peuvent l’emporter. Ce sera sans doute très intéressant. Quintana, Nibali, Pinot, Thomas, Kruijswijk, Dumoulin, c’est pas mal comme plateau. Et il y a Bob également !
Quel regard portez-vous sur lui ?
C’est l’un de mes favoris pour le podium. Comme je l’ai vu à la Flèche Wallonne, je n’ai pas de doutes là-dessus, il est prêt. Certes il était en deçà dans le chrono du Tour de Romandie, mais c’était encore loin de son pic de forme. Je lui parle assez souvent au téléphone et il m’a confirmé qu’il ne s’est jamais senti dans une telle forme. J’espère qu’il fera un très bon Giro et je le pense.
Il part pour effectuer une course défensive. Vous approuvez ?
Oui, c’est le mieux à faire pour quelqu’un qui pourra récupérer du temps dans les chronos. Je pense qu’il pourra passer avec les meilleurs les cols. Il le sait, il ne pourra multiplier les accélérations face aux purs grimpeurs. Il montera au train et s’efforcera de limiter la casse. Il y parviendra. Et en moyenne montagne, il lui faudra saisir toutes les occasions. Ce n’est pas en haute montagne, malgré ses progrès, qu’il fera la différence. Je le vois évoluer dans un style comme Geraint Thomas. Mais dès la deuxième étape, il pourra trouver un terrain favorable.
Avec environ 70 kilos, il a quelques kilos de plus que les purs grimpeurs. Est-ce handicapant ?
Non, je ne le pense pas, vu les watts qu’il développe. Disons qu’il sera diesel en montagne et ne pourra pas suivre Quintana à chacune de ses multiples accélérations. Mais il jouera sur un autre registre. Je confirme que pour lui le podium est accessible.
Entretien avec Denis Bastien