Alors que le Tour vient de s’achever, retrouvez le commentaire de notre journaliste Denis Bastien.
Voilà, c’est fait. Au terme d’une saison déjà époustouflante qui l’aura vu satisfaire son appétit de glouton, car il est bon de rappeler que s’il ne termina que (!) troisième de Milan-San Remo, Tadej Pogacar a déjà avalé d’une bouchée depuis février les Strade Bianche, le Tour de Catalogne, Liège-Bastogne-Liège et le Giro, presque des bagatelles au vu de l’importance toujours plus grande prise par le Tour, le Slovène vient de s’offrir, avec la socquette légère et un sourire fendu jusqu’aux oreilles, sa troisième Grande Boucle.
Après deux années consécutives à bouffer du regard la roue arrière de Jonas Vingegaard, son meilleur ennemi, qui a donc cette fois plié les ailes un poil plus tôt que prévu, «Pogi», est revenu dans le «game».
Au détour d’une accumulation de succès, le Danois, lourdement pénalisé, il est vrai, par sa chute printanière dans le Tour du Pays basque et l’hospitalisation qui en découla, ouvre à son tour le grand livre des défaites. Même s’il convient ici de relativiser. Car à y regarder de plus près, vu les circonstances, cette deuxième place peut aussi se lire comme un succès. La supériorité manifeste de son rival historique, même si les deux protagonistes sont encore loin de la trentaine, l’a amené à abandonner ses feintes de mauvais poker, et c’est assurément bien mieux ainsi.
Et maintenant ? À peine le Tour de France bouclé que nous voilà donc plongés sans transition dans l’édition suivante. Avec cette même question lancinante qui fera le gros des discussions des douze prochains mois. Prendra-t-il sa revanche ? Et Remco Evenepoel, invité pour son premier Tour sur le podium, pourra-t-il grimper d’une ou deux marches et augmenter son niveau de jeu ? De son côté, et pour en revenir à Tadej Pogacar, à sa façon peu académique, pas toujours économe, mais terriblement efficace, de courir, le Slovène a balayé les questions dont il était l’objet depuis déjà deux ans. Sa réponse a fusé tout au long de ces trois semaines intenses.
Le coureur slovène semble avoir repris en main son destin si peu banal. Et ne veut déroger en rien à sa ligne de conduite. Il gagne tout ce qu’il peut gagner, car pour lui il n’y a manifestement pas de petites étapes, et il s’amuse, conscient que sa prise de risque immodérée peut lui jouer de sales tours. Mais il s’en fout et ça plaît au public du Tour, généralement peu amène avec les vainqueurs puissants.
Sur ce Tour, il a pu ajouter de jolis clins d’œil à son album personnel, déjà bien garni. Pas inutile pour sa popularité croissante.
Voilà pour l’essentiel. Reste que ce Tour de France mené tambour battant a continué d’alimenter du même coup l’indémodable et incontournable machine à rumeurs. Comme ce n’est pas aux vainqueurs d’exposer leurs recettes, le passé, comme une fatalité, ne cesse en juillet de revenir hanter les lieux. Sans autre certitude que le niveau ne cesse, encore, d’augmenter, à l’instar de tant d’autres sports sans qu’on s’en émeuve pour autant.
Cette édition aura surtout mis en lumière le fossé qui sépare les plus grosses formations du reste du peloton, qui se concentre désormais, avec plus ou moins de succès, sur le seul gain des étapes et classements annexes, pas accessoires. Ce qui était autrefois marginal et l’apanage des seules petites équipes s’est étendu à plus des trois quarts du peloton.
Concentration des talents dans les équipes les plus huppées, au plus gros budget, disposant, par voie de conséquence directe, du meilleur matériel, des meilleurs nutritionnistes, un domaine particulièrement en pointe aujourd’hui en ce qui concerne la performance sportive, et des meilleurs préparateurs : tout cela accélère la sélection. La sélection par l’argent, comme ailleurs, fait son œuvre. On se demande d’ailleurs comment cela finira, puisque, à force de se contenter de miettes, la question de la rentabilité finira bien par se poser pour les plus modestes, c’est-à-dire la majorité du peloton. Mais évidemment, cela ne fait pas tout non plus.
CÔTÉ LUXEMBOURGEOIS
Pas moches…
Ils n’auront pas été moches, loin de là. Une fois les ambitions de leurs deux leaders respectifs, à savoir Primoz Roglic pour Bob Jungels et David Gaudu pour Kevin Geniets, réduites à néant pour cause de chute et de méforme persistante, ils ont mené leur vie, tentant et retentant des échappées.
Armés de cette ferme volonté de ne jamais rien céder, l’un et l’autre y sont parvenus. Mais à chaque fois, le retour du peloton maillot jaune, signe des temps, est venu mettre un nœud sur leurs saines ambitions de viser l’une et l’autre étape. Au lieu de ça, ils repartent avec deux tops 20 (17e de la 17e étape pour Bob Jungels et 19e de la 20e étape pour Kevin Geniets).
Les deux se sont retrouvés par deux fois engagés dans de très belles, mais vaines échappées. L’un et l’autre n’ont pas démérité. Seulement voilà, les ogres du Tour ont pris aujourd’hui tellement de place qu’ils éclipsent tous ceux qui ne viennent pas jouer le classement général pour peu que le suspense demeure comme ce fut le cas dans le cas présent jusqu’à samedi… On y revient !