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[Tour de France] Andy Schleck : «Les coureurs sont morts»


«La plus grande différence de ces cinq dernières années, il me semble que c'est la nutrition», explique Andy Schleck. (Photo Anouk Flesch)

L’ancien vainqueur du Tour de France 2010, ambassadeur Skoda sur le Tour, porte un regard éminemment éclairé sur cette édition particulière de la Grande Boucle.

Au stand Skoda du village, Andy Schleck (38 ans) est chaque jour grandement sollicité par la presse au fil des rebondissements. Au fil des étapes, le Mondorfois, vainqueur du Tour de France 2010, renouvelle son regard éclairé sur la course, les tactiques et tout ce qui fait le sel de cette Grande Boucle qui ne ressemble pas aux autres. Et c’est assez passionnant…

Comment avez-vous vécu les deux dernières étapes alpestres de ce Tour, le chrono de Combloux, mardi, et cette terrible ascension du col de la Loze, mercredi, avec la grande défaillance de Tadej Pogacar?

Andy Schleck : Pour le chrono, tout le monde était choqué, tout le monde était ému. Moi, pas. (Tadej) Pogacar a fait un bon chrono. Et (Jonas) Vingegaard a été exceptionnel. Il faut voir comment il a préparé ce Tour et surtout ce jour. Il pouvait rouler presque à l’aveugle. Chaque changement de vitesse était prévu en fonction de la pente. C’était un moment de grâce. Il était parfaitement préparé. Certes, il gagne avec une minute, trente-huit secondes d’avance, c’est assez étonnant, mais après analyse, on voit que les deux sont de grands coureurs avec des qualités énormes. Pour Vingegaard, il n’y a que le Tour de France qui compte. Pogacar, il se fait plaisir à Milan – Sanremo et remporte le Tour de France. Il n’est pas focalisé à 100 % sur le Tour. Il est là pour le gagner et c’est un coureur d’un talent énorme. Même aujourd’hui, je pense que Pogacar est le meilleur coureur des deux, mais il ne va pas gagner le Tour. Et j’espère qu’il va finir ce Tour.

Pour remporter un troisième Tour et espérer battre Jonas Vingegaard, il va devoir changer quoi?

Pour moi, il lui faut arrêter de faire trop de courses avant le Tour. Les temps ont changé. Nous, il y a dix ans, on avait besoin de courir des kilomètres en courses pour obtenir la dernière forme. C’est différent aujourd’hui. Je pense aussi que son équipe UAE Emirates n’est pas parfaitement organisée. O.k., ils sont bien, ils auront deux mecs sur le podium, ce sont deux coureurs forts. Mais la façon dont ils abordent les étapes, ce n’est pas comme la Jumbo. Il y a un monde entre les deux, je trouve.

Ça fait toujours mal de voir un grand coureur essuyer une défaillance et perdre définitivement le Tour

Lorsque vous avez assisté à la défaillance de Pogacar sur le col de la Loze, qu’avez-vous ressenti?

Ça fait toujours mal de voir un grand coureur essuyer une défaillance et perdre définitivement le Tour. Mais ce n’est pas une grande surprise. Je pensais que Vingegaard le décrocherait dans les trois derniers kilomètres du col de la Loze. On a vu quand même une flamme qui s’est éteinte.

De votre point de vue, qu’est-ce que Vingegaard a en plus?

C’est un meilleur grimpeur que Pogacar. Et en deux ans, c’est devenu un coureur complet. Quand il a terminé deuxième derrière Pogacar en 2021, on se disait qu’il y avait un monde entre les deux. Et l’an passé, il passe devant. Il a fait des progrès énormes. Maintenant, je ne vois pas où il peut encore progresser. Il a atteint un tel niveau. Cela sera même difficile pour lui de revenir l’an prochain sur ce même niveau.

Ce duel Pogacar-Vingegaard va-t-il encore durer ces prochaines années?

Des coureurs comme Geraint Thomas et Primoz Roglic ne viennent plus sur le Tour, car ils n’ont plus de chances. Ils savent que s’ils viennent, c’est pour la troisième place. Je n’espère pas que cela se reproduise dans le futur. L’an prochain, j’espère que Remco (Evenepoel) va venir sur le Tour. On a des jeunes comme (Juan) Ayuso, (Carlos) Rodriguez. Il leur faut encore faire des progrès.

On a vu la vidéo de Tadej Pogacar en train de plonger dans la piscine de son hôtel à la veille du chrono. Est-ce le genre de chose qu’il doit arrêter?

Il n’a pas non plus fait deux heures de toboggan. Quelqu’un a fait cette vidéo et c’est tout. Tout le monde est différent sur les jours de repos. Mais c’est clair que la Jumbo, c’est une armée, ils ne font pas d’erreurs à gauche et à droite. Et en plus, Pogacar est peut-être un peu plus compliqué à gérer. Si quelqu’un lui dit : « Tu ne vas pas dans la piscine », lui, il dit : « Je vais dans la piscine ».

Du coup, Pogacar, c’est un peu Andy Schleck?

(Il rit) Oui, peut-être un peu, oui. C’est toujours l’un des meilleurs coureurs du peloton, je pense, le meilleur coureur. Mercredi, quand je l’ai vu au bus, je pensais qu’il ne prendrait pas le départ hier. Ce qui aurait été dommage pour son image et celle du Tour de France. Et puis terminer deuxième, c’est terminer deuxième. Je peux vous raconter des histoires sur les deuxièmes places… (Andy Schleck avait terminé deuxième du Giro 2007, puis deuxième du Tour 2009 et 2011). On se bat pour ça.

J’ai vu Jasper Philipsen arriver au bus mercredi et j’étais à deux doigts de lui dire : « Allez, on va t’emmener au lit, hein »

Est-ce que l’évolution du matériel peut, selon vous, expliquer également les moyennes et le niveau qui augmentent?

Je ne pense pas que l’évolution du niveau soit due au matériel. Voici peu, avec l’équipe Sky, on parlait de gains marginaux. La plus grande différence de ces cinq dernières années, il me semble que c’est la nutrition. Les coureurs boivent ce qu’ils doivent boire au centilitre, mangent ce qu’ils doivent manger au gramme près. Pas seulement en course, mais toute l’année. Et je pense que cela fait la différence. Voilà pourquoi on fait des exploits extraordinaires. Je ne veux pas donner de noms, mais du temps de l’EPO, les coureurs mangeaient quand même des steaks frites le soir (il rit). Maintenant, l’alimentation est devenue la clé. Aujourd’hui, les vélos sont à 6,8 kilos. À notre époque, ils étaient aussi à 6,8 kilos. Ça n’a pas changé. Les descentes se font plus rapidement à cause des freins à disques qui permettent de freiner plus tard. Aujourd’hui, la position des bras sur le cintre est interdite. Bien sûr, le matériel s’est amélioré, mais pas dans de grandes proportions. Tout est contrôlé.

Quel regard portez-vous sur les soupçons qui sont arrivés après l’exploit de Jonas Vingegaard?

Je n’y crois pas et je suis à 99 % sûr que notre sport est propre aujourd’hui. Les visages des coureurs sont très fatigués. J’ai vu Jasper Philipsen arriver au bus mercredi et j’étais à deux doigts de lui dire : « Allez, on va t’emmener au lit, hein. » Les coureurs sont morts. C’est le Tour le plus dur que j’ai vu dans ma carrière. Une étape comme celle de mercredi, je ne suis pas sûr qu’on ait besoin de ça. Il y a la chaleur, les difficultés. Mais d’un autre côté, ce sont les coureurs qui font la course. Ils connaissent aussi le profil. S’ils montent le premier deuxième catégorie à 500 watts de moyenne, on sait que cela être une longue journée.

Parlons de cet imbroglio entre vous et Jonas Vingegaard. Dans un article paru dans le quotidien sportif français L’Équipe, vous disiez à propos de Jonas Vingegaard qu’il était timide et que, par conséquent, il renvoyait l’image d’un coureur arrogant. Ce qui a été mal traduit par un journaliste qui a rapporté au Danois que vous le trouviez arrogant. Ce que l’intéressé a mal pris. Cela s’est-il arrangé?

Oui, pour moi, c’est l’un des coureurs les plus gentils du peloton. J’ai parlé avec lui, il n’y a pas de souci.

Que pensez-vous de vos compatriotes?

Kevin (Geniets) fait un très bon travail pour David Gaudu. Il est venu peut-être un peu trop tard en forme sur ce Tour. J’étais avec lui sur le col de Joux Plane, il rigolait dans la descente, on voyait qu’il se faisait plaisir. Alex (Kirsch) fait du bon boulot pour Mads Pedersen. Il reste de bons sprints. Bob (Jungels) aussi fait son boulot, mais la grande question, c’est toujours qu’il n’est pas au niveau auquel il voudrait être, je ne comprends pas qu’il se batte pour une 25e place en montagne. Je préférerais le voir prochainement dans une échappée en fin de semaine. Il est là pour essayer de gagner une étape. Pour le moment, ça ne suffit pas. Les trois seront à Paris et c’est bien. Mission accomplie.