Le lancement d’un projet de Super Ligue privée jette l’UEFA et les douze clubs de foot frondeurs dans une bataille à la fois juridique et politique, lourde d’implications pour le sport européen. Qui va saisir les tribunaux ? Avec quels arguments et quelles chances d’aboutir ?
Où en est-on ?
Pour Antoine Duval, spécialiste du droit européen du sport à l’institut Asser de La Haye, «on entre dans une « drôle de guerre », où les deux camps creusent leurs tranchées et se préparent aux attaques juridiques à venir». Dans un courrier envoyé dimanche à la FIFA et l’UEFA, les promoteurs de la Super Ligue affirment avoir déjà lancé «une procédure devant les juridictions compétentes, pour assurer l’instauration et le fonctionnement sans accroc de la compétition». L’idée est de saper par avance les représailles des deux instances, qui menaçaient dès janvier d’exclure les dissidents de leurs compétitions, privant par exemple d’Euro et de Coupe du Monde les joueurs impliqués dans ce tournoi privé. Mais la Super Ligue ne précise pas quel juge national ou européen elle aurait saisi : elle se contente d’affirmer que les menaces de l’UEFA et de la FIFA sont «illégales» et lui causeraient un «préjudice irréparable».
Cette dernière formule, critère clé des procédures d’urgence, semble compatible avec «une demande d’injonction, qui viserait à obtenir d’une cour nationale un blocage provisoire des sanctions de l’UEFA», explique Antoine Duval.
Menacer les clubs frondeurs est-il légal ?
Dans son offensive, la Super Ligue peut s’appuyer sur l’arrêt rendu en décembre 2020 par la Cour de justice de l’Union européenne concernant la Fédération internationale de patinage (ISU), qui encadre les actions des instances sportives pour préserver leur monopole. Pourtant, la jurisprudence ISU «permet aussi à l’UEFA de défendre ses compétitions» en invoquant deux «objectifs légitimes», analyse Antoine Duval : la «protection de son calendrier», frontalement concurrencé par la Super Ligue, et la «préservation de son modèle redistributif».
Anticipant ces arguments, la Super Ligue assure qu’elle «ne vise pas à remplacer la Ligue des champions ou la Ligue Europa» et promet «des paiements de solidarité» – deux points qui devraient être âprement débattus.
Même si la riposte de l’UEFA ou des ligues domestiques est jugée légitime, il faudra encore qu’elle soit «proportionnée aux objectifs», souligne de son côté Katarina Pijetlovic, chercheuse en droit à l’Université de Manchester. «Si les sanctions contre les clubs (par exemple une exclusion des ligues domestiques) sont suffisantes pour écarter la menace, alors punir les joueurs ne serait pas nécessaire», explique-t-elle.
L’UEFA peut-elle aussi attaquer en justice ?
L’instance européenne, qui consultera mardi ses conseillers juridiques, dispose elle aussi d’une arme : elle peut attaquer les clubs frondeurs pour «entente illégale», sur le terrain des lois anticartel, via une plainte auprès de la Commission européenne ou un recours en indemnisation auprès d’un tribunal national.
«La Super Ligue vise à distribuer des revenus à ses membres et exclure de cette opportunité commerciale d’autres participants potentiels – donc oui, c’est potentiellement une entente contraire au droit de la concurrence», confirme Antoine Duval, prédisant «un casse-tête important à la Commission européenne dans les mois qui viennent».
La partie va-t-elle basculer sur le terrain politique ?
Dès lundi soir, le ministre britannique des Sports a promis de faire «tout son possible» pour bloquer la Super Ligue, y compris via la législation sur la concurrence ou en réformant la gouvernance des clubs. Plus largement, «un des effets secondaires» de l’implosion du foot européen «pourrait être de repenser totalement sa régulation, en remettant les États dans le jeu», estime Antoine Duval. Paris ou Berlin – dont les clubs restent pour l’heure à l’écart du projet -, voire Londres pourraient par exemple demander l’avis des gendarmes nationaux de la concurrence, ou chercher des pistes européennes pour conforter le monopole de l’UEFA.
LQ/AFP