Le sport féminin français, qui évolue dans l’entre-deux du semi-professionnalisme, risque de pâtir encore plus de la crise sanitaire, après une percée ces dernières années sur les terrains et sur les écrans.
« Le sport féminin était déjà vulnérable avant, alors avec la crise sanitaire il l’est encore plus », explique Béatrice Barbusse, secrétaire générale de la Fédération française de handball. La présidente de la Ligue féminine de hand, Nodjialem Myaro, était d’ailleurs présente la semaine dernière lors du grand raout entre Emmanuel Macron et le monde du sport.
Selon les chiffres de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep, dépendant du ministère de l’Éducation), près de 39 % des quelque 18 millions de licenciés étaient des femmes en 2019.
Pour l’instant, difficile d’estimer dans quelle proportion trinque le sport féminin, mais ses meilleurs défenseurs s’inquiètent.
« Plan de sauvegarde »
C’est justement pour « évaluer plus précisément les pertes des sports collectifs féminins » qu’un groupe de travail spécifique se met en place cette semaine au sein du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), explique Brigitte Henriques, vice-présidente de la Fédération française de football (FFF). L’idée est aussi de travailler pour qu’au sein des deux premières divisions « tout le monde soit sous contrat fédéral » d’ici 2024, mais aussi de phosphorer sur « un plan de sauvegarde » du sport féminin, détaille Brigitte Henriques.
Car le sport féminin navigue entre deux eaux, en matière de statut. Exemple, la D2 de hand : « 52% des joueuses sont salariées, on est dans un semi-professionnalisme, des clubs ont 20 % de pro et d’autres 80 %, la situation est très hétérogène », explique ainsi Béatrice Barbusse. Dans les championnats d’élite du basket, du hand et du volley, les joueuses sont salariées, mais c’est relativement récent. Au rugby, un peu moins d’une trentaine de joueuses sont sous contrat, à mi-temps, avec la fédération.
Le salariat a permis de freiner « l’amateurisme marron », consistant à rémunérer des joueuses via des indemnités de transports ou autres, explique Béatrice Barbusse, qui fut présidente d’un club professionnel masculin (US Ivry, 2008-2012). « Ce sont les sections masculines qui financent, à partir du moment où il y a des pertes économiques chez les garçons, cela a un retentissement sur les sections féminines », ajoute Brigitte Henriques, qui met de côté sa paroisse, le foot, le moins mal loti de tous.
Du fait d’une politique volontariste, le foot féminin est passé de 50 000 à 200 000 licenciées depuis 2011. Malgré une baisse de 3 % de licenciés au total (garçons et filles confondus), 5 000 filles supplémentaires sont venues s’inscrire à la rentrée.
Manque de médiatisation
Cyrille Rougier, sociologue au Centre du droit et d’économie du sport (CDES), anticipe aussi des « choix stratégiques qui risquent de se faire un peu au détriment d’un sport féminin qui rapporte peu de revenus ». Craignant pour les finances de son club de basket féminin, le président de Montpellier (BLMA), Franck Manna, a pris la « sage décision » avant l’été de ne pas participer à l’Euroligue. Si les subventions publiques restent identiques, il enregistre « un recul de 25 à 30 % des partenaires », explique cet entrepreneur. « Je crains toujours pour le club, on a des modèles fragilisés par l’absence de droits télé », ajoute-t-il.
La championne de boxe Sarah Ourahmoune redoute aussi que le sport féminin ne soit qu’une « variable d’ajustement ». Elle regrette actuellement « le très peu de médiatisation », le manque « de portraits » ou « de reportages », qui « donnent aux petites filles l’envie, derrière, de s’inscrire dans un club ».
Pourtant depuis quelques années, la médiatisation du sport féminin progresse, mais par à-coups. Certains sports féminins non diffusés ont trouvé refuge auprès de « Sport en France », la chaîne du CNOSF.
Pendant le confinement, lorsque les chaînes ont repassé d’anciens matches, « on a vu beaucoup de sport masculin, mais la Coupe du monde de foot féminin qui avait fait un gros carton, aucune chaîne ne l’a retransmise ! », s’exclame Aurélie Bresson, fondatrice du magazine Les Sportives et présidente de la fondation Alice Milliat, du nom de cette pionnière du sport féminin.
« Pour que le sport au féminin soit réfléchi, il faut qu’il y ait des femmes autour de la table », plaide Sarah Ourahmoune, alors qu’il y a très peu de dirigeantes, notamment dans les fédérations. « On n’en est qu’au début du taf ! », renchérit Béatrice Barbusse.
AFP/LQ