Par les sanctions infligées à la Russie, le sport international est sorti de son habituelle réserve.
Le sport international a fait de la neutralité politique et géopolitique un de ses principes fondamentaux que la guerre en Ukraine a balayé en quelques jours, avec des sanctions extrêmement dures contre la Russie, mais aussi contre ses sportifs.
Avec en arrière-plan le risque de créer des «précédents» qui seront invoqués pour d’autres conflits à venir dans le monde.
Fin de la neutralité du sport ?
En recommandant de mettre au ban la Russie et le Bélarus et leurs sportifs, le Comité international olympique (CIO) s’est engagé lundi dans une voie inédite dans laquelle se sont immédiatement engouffrées les instances du football, sport global.
L’UEFA et la FIFA ont été bientôt suivies par de nombreuses autres, dont l’athlétisme, sport roi de l’olympisme, et le patinage sur glace, spécialité russe.
Les fédérations internationales sont «le fruit de la mondialisation et sont traversées par de très nombreuses tensions politiques, religieuses. Elles vont toujours s’aligner sur le dénominateur le plus faible», décrypte Pim Verschuuren, chercheur en géopolitique du sport à l’université de Rennes.
Derrière la révolution de lundi se profile la crainte d’un «deux poids deux mesures» face à un autre conflit où les droits internationaux sont violés. «La politique d’apolitisme, c’est pour éviter d’être instrumentalisé dans des conflits», explique-t-il. Mais pour Jean-Loup Chappelet, spécialiste de l’olympisme à l’université de Lausanne, «la pression était trop forte» compte tenu de l’émotion des opinions publiques occidentales.
Les fédérations, avec au sommet le CIO, «sont beaucoup plus sous l’œil de l’opinion publique qu’autrefois», avec une suspicion née notamment de «décisions de type Coupe du monde au Qatar», explique-t-il.
Sur le papier, qui aurait pu imaginer une telle rupture il y a encore une semaine ? D’autant que la Russie a permis ces dernières années, avec la Chine, de «combler un manque de candidatures» pour organiser de grands événements sportifs.
Le principe de neutralité est régulièrement rappelé : «Nous ne pouvons accomplir notre mission d’unification du monde que si les JO transcendent toutes les différences politiques. Pour parvenir à cette solidarité mondiale et à une véritable universalité, le CIO et les JO doivent être neutres sur le plan politique», déclarait le président du CIO, Thomas Bach, en 2020.
Il y a le marteau de la pression politique et la faucille du juridique
Obstacles juridiques ?
S’offusquant de mesures discriminatoires, la Russie a laissé entendre qu’elle pourrait attaquer les décisions d’exclusion. En coulisses, certaines fédérations s’interrogent sur la base légale de la décision du CIO, craignant d’être ensuite désavouées par ricochet, en cas de recours, par le Tribunal arbitral du sport (TAS). «Il y a le marteau de la pression politique et la faucille du juridique», résume Pim Verschuuren.
Pour certains, les statuts de la Fifa ne permettent pas de suspendre la Russie. Et, raconte Loïc Trégourès, auteur du livre Le Football dans le chaos yougoslave, quand certains ont demandé d’exclure la République fédérale de Yougoslavie du Mondial de foot de 1998 «en raison de ce que le régime de Milosevic faisait au Kosovo», la FIFA a répondu : «Tant que l’ONU n’a pas pris une décision en ce sens, nous, on ne bouge pas.»
S’agissant de la FIFA, «on peut trouver des bases légales» dans ses statuts sur «le respect des droits humains», explique Tatiana Vassine, avocate spécialisée en droit du sport. «Néanmoins il y a le principe d’indépendance et de neutralité politique» dans ces mêmes statuts, explique-t-elle.
Deux objectifs «à concilier». Sans compter, explique-t-elle, que les associations nationales des fédérations sportives sont «censées être indépendantes», au sens juridique. En clair, la Fédération russe de football n’est pas comptable des décisions du président russe.
Le risque des «précédents»
La FIFA sait que «chaque action politique qu’elle prend contre la Russie pourrait se retourner contre elle plus tard», explique Pim Verschuuren, notamment lorsqu’elle défend la neutralité, qui jusqu’ici a été «crédible» car «dans l’histoire elle a été plus prudente».
Les décisions prises «feront précédents et histoire». «Quand c’est l’Occident qui est attaqué dans ses valeurs les plus profondes, les fédérations comme la FIFA ou le CIO sont beaucoup plus mises sous pression que lorsque c’est d’autres pays éloignés», ajoute-t-il. «On pense au Moyen-Orient ou au Proche-Orient où il y a des situations similaires», explique-t-il.