Au repos forcé à cause du coronavirus, le football craint une crise financière majeure pour ses clubs, soudain privés de leurs confortables rentrées d’argent. Mais cette césure pourrait aussi permettre une remise en cause salutaire des dérives du sport-business, espèrent certaines figures du jeu.
« Nous vivons tous une vie à laquelle nous n’étions pas habitués et qui nous changera profondément », a prophétisé samedi l’entraîneur italien Carlo Ancelotti dans un entretien au Corriere dello Sport. En dehors des périodes de guerres mondiales, jamais le football européen n’avait ainsi été mis à l’arrêt total sur tout le continent. Cette interruption brutale, à laquelle personne n’était préparé, a exposé les failles d’un système grisé par les sommes faramineuses qu’il brassait mais bien plus fragile qu’attendu.
À court terme, une cure d’amaigrissement paraît inévitable : « Les droits TV vont baisser, les joueurs et les entraîneurs gagneront moins », a asséné Ancelotti, actuel entraîneur d’Everton. « Il faudra vivre avec une autre économie et un autre foot. Peut-être meilleur. »
Comme lui, d’autres voient dans cette crise une opportunité : « La situation actuelle est un danger, mais c’est aussi une chance, de voir les paramètres changer un peu », fait valoir Uli Hoeness. Pour l’ancien président du Bayern Munich, le marché des transferts – qui concentrait le gros des critiques par ses transactions souvent aussi folles qu’opaques – sera le premier visé. « Les montants des transferts vont retomber, les sommes ne pourront pas rester au niveau actuel dans les deux ou trois prochaines années, parce que tous les pays sont touchés. Un monde du football nouveau va vraisemblablement émerger », a espéré l’ancien dirigeant.
« Un bon moment pour chercher du sens »
S’engouffrant dans la brèche des possibles, certains ont ranimé le serpent de mer d’un plafond salarial, comme le président d’Amiens, Bernard Joannin. « 70% de nos charges sont constituées par notre masse salariale et nos efforts de réforme doivent légitimement être axés sur ce secteur en s’inspirant de la NBA » ou des championnats de rugby français et anglais par exemple, a-t-il avancé dans le quotidien le Courrier Picard.
Une piste toutefois hasardeuse, selon Jorge Ibarrola, avocat espagnol spécialisé dans la représentation et le conseil juridique de clientèle sportive. « C’est la Fifa qui devrait se charger de réguler le marché, de fixer des plafonds. Et il faudrait voir si ces mesures sont conformes avec la réglementation européenne sur la liberté économique et la libre circulation des joueurs », a-t-il averti.
S’ils veulent tirer tous les enseignements du choc provoqué par la pandémie, les clubs devront aussi réfléchir à l’utilisation des droits TV et leur répartition. En Allemagne, la constitution d’un fonds de secours abondé en partie par les centaines de millions d’euros versés chaque année par les diffuseurs fait son chemin. « Le système actuel est de plus en plus remis en cause, parce que le décalage financier, et par suite sportif, entre les grands et les petits clubs devient de plus en plus grand. Peut-être que cette crise peut être un catalyseur pour une nouvelle solidarité », a estimé Jan Lehmann, responsable commercial du club de Mayence.
« Le coronavirus peut aérer le football. C’est un bon moment pour chercher du sens, pour mettre de l’ordre », a renchéri José Antonio Martin Otin, dit « Peton », ex-footballeur, journaliste, qui ajoute qu’une solidarité accrue renforcerait l’intérêt des compétitions.
Faire « un pas en arrière »
Autre aspect clé d’une moralisation du football : la question du calendrier, avec un empilement de compétitions à l’intérêt discutable et au gigantisme critiqué. « La bulle enfle à mesure que la demande augmente, et le foot a tué la poule aux œufs d’or, avec tous ces matches », a rappelé Carles Murillo, président de la Société espagnole de l’économie du sport, dans les colonnes du quotidien madrilène As.
Et les instances du football elles-mêmes commencent à envisager « un pas en arrière », comme l’a évoqué le président de la Fifa Gianni Infantino dans La Gazzetta Dello Sport. Principal promoteur d’une Coupe du monde à 48 sélections et d’un Mondial des clubs élargi à 24 équipes, le patron du foot mondial a reconnu la nécessite dé « tournois plus réduits, (avec) peut-être moins d’équipes (…). Moins de matches pour protéger la santé des joueurs ».
Reste à savoir si ces belles intentions résisteront aux appétits financiers dévorants quand le ballon roulera à nouveau…
LQ/AFP