Inédite en temps de paix, une annulation des Jeux olympiques de Tokyo en raison de la crise sanitaire serait un séisme pour le monde sportif, aux conséquences financières difficiles à évaluer.
Qui prendrait la décision ?
Formellement, le contrat de ville-hôte signé par les organisateurs japonais réserve cette responsabilité au seul Comité international olympique (CIO), en cas de « guerre », « désordre civil », ou s’il estime la sécurité des participants « sérieusement menacée » par une « raison quelconque ».
Or le CIO n’a aucune intention d’annuler, parce qu’il est convaincu de pouvoir organiser des Jeux « sûrs » et porte les espoirs des 11 000 sportifs qualifiés. A l’inverse, les appels à jeter l’éponge se multiplient au Japon, où la population est majoritairement hostile aux JO, la vaccination très lente et des élections nationale et locale se profilent.
« Plus on approche des Jeux et moins le CIO a la main : il veut maintenir la fiction selon laquelle c’est lui le patron, mais il n’imposera pas les Jeux aux autorités japonaises », décrypte Jean-Loup Chappelet, professeur émérite à l’Université de Lausanne et spécialiste de l’olympisme. Entièrement « politique », la décision dépend donc à la fois de l’État japonais et de la métropole de Tokyo, quitte à ce que toutes les parties conviennent « d’une annonce conjointe avec le CIO, comme pour le report décidé en mars 2020 », ajoute l’universitaire.
Quelles conséquences pour le Japon ?
Une grande partie du budget de l’événement a déjà été engagée: réévaluées fin 2020 à 15,4 milliards de dollars (13 milliards d’euros), ces dépenses sont composées pour plus de la moitié d’investissements publics dans des sites permanents, censés redessiner dans la durée le visage de Tokyo.
L’annulation réduirait à la marge les coûts de fonctionnement liés aux Jeux eux-mêmes – restauration, transports, énergie, remise en état du village olympique avant sa livraison en appartements -, mais amputerait surtout ses recettes.
Le Japon avait déjà quasiment tiré un trait sur les 800 millions de dollars (673 millions d’euros) attendus de la billetterie en envisageant le huis clos. Mais il lui faudrait aussi rembourser en partie les sponsors locaux (3,3 milliards de dollars, soit 2,7 milliards d’euros) et probablement renoncer à la contribution du CIO (1,3 milliard de dollars, soit 1,1 milliard d’euros).
Que coûterait l’annulation au monde olympique ?
Le CIO n’a jamais communiqué les recettes attendues spécifiquement des Jeux de Tokyo, puisqu’il ne publie ses revenus que par cycle de quatre ans: ceux de l’Olympiade 2013-2016, couvrant les JO-2014 de Sotchi et les JO-2016 de Rio, avaient atteint 5,7 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros).
Les trois quarts viennent des droits de diffusion, estimés par les spécialistes à au moins 1,5 milliard de dollars (1,23 milliard d’euros) pour Tokyo, et qu’il faudrait donc rembourser. Le reste est issu du programme de sponsoring international TOP et impliquerait là encore des négociations avec chaque partenaire.
La disparition de cette manne ne mettrait pas en péril le CIO, qui n’en conserve que 10% et dispose de réserves dépassant le milliard de dollars. En revanche elle assècherait tout le mouvement sportif, puisqu’elle finance à la fois les comités nationaux olympiques et les fédérations internationales, déjà fragilisées par la pandémie.
Que couvriraient les assurances ?
C’est le principal mystère : depuis les JO-2006 de Turin, le CIO est assuré contre le risque d’annulation, « mais on ne sait pas si sa police est restée au montant d’origine, d’environ 900 millions de dollars (737 millions d’euros), ou a été abaissée » à mesure que les réserves de l’instance gonflaient, explique Patrick Vajda, l’un des pionniers de l’assurance des évènements sportifs, président de XAW Sports.
Dans tous les cas, l’indemnisation ne couvrirait qu’une partie de ses pertes, et rien ne dit que les organisateurs japonais récupéreraient quoi que ce soit de leur côté: ils n’ont jamais confirmé s’être couverts contre une annulation. Enfin, selon Patrick Vajda, certains diffuseurs dont l’américain NBC sont assurés, à des hauteurs inconnues, et certaines fédérations internationales « ont pu adhérer à la police annulation du CIO ».
LQ/AFP