Le moment est venu de tirer les conclusions d’une drôle de saison de cyclisme, surtout marquée par un vent de jeunisme. Mais saison il y a eu !
La saison qui vient de se terminer tardivement dimanche avec le Tour d’Espagne remporté par Primoz Roglic s’est déroulée à cent à l’heure à compter de la reprise de la compétition fin juillet-début août. À ce moment-là, personne ne croyait possible que les trois grands tours, déplacés en septembre, octobre et novembre puissent réellement se dérouler sans encombre. Finalement, cela s’est fait sans heurt, certes sans public, mais en respectant le principe de bulles sanitaires. Bulles qui ont confirmé leur efficacité, même si plusieurs épreuves ont été annulées (Amstel Gold Race, Paris-Roubaix).
Les quatre mois qui viennent donc de s’écouler sont donc une réelle victoire du cyclisme, de sa fédération internationale (UCI), des grands organisateurs et des acteurs eux-mêmes qui ont bien fait d’insister, le jeu en valait la chandelle, même si on devine qu’il ne faudrait pas non plus que la situation perdure plusieurs années de suite.
Toujours est-il qu’un bilan international s’impose après ces mois de course sans grand répit.
LES RENVERSANTS
Tadej Pogacar et Tao Geoghegan Hart sont jeunes. Vingt-deux ans pour le premier. Trois de plus pour le deuxième. Personne n’aurait pu prédire leur sacre sur le Tour de France et le Tour de l’Italie avant la course. Pogacar, dont l’équipe UAE-Team Emirates n’avait a priori pas le calibre pour encadrer un maillot jaune, a donc attendu l’avant-dernière étape, dans le chrono de la Planche des Belles Filles, pour réaliser le plus gros coup de la saison et faire trébucher un Primoz Roglic qu’on croyait bien installé. Quand on y repense…
Pour Tao Geoghegan Hart (Ineos), ce sont surtout les circonstances de course qui lui ont permis d’arracher le maillot rose le dernier jour à Milan, là aussi après un ultime chrono. Certes il a détrôné pour 39 secondes un Jai Hindley, lui aussi un jeunot (24 ans), que le grand public ne connaissait sans doute pas, mais si le Giro souffrait d’une relative faiblesse de son plateau en comparaison avec le Tour de France, des coureurs comme Jakob Fuglsang (le Danois se consolera cette saison avec le Tour de Lombardie) et Vincenzo Nibali n’ont pu faire mieux que sixième et septième. Pour Tao Geoghegan Hart, c’est surtout l’abandon de son leader, diminué sur chute, Geraint Thomas, qui lui a ouvert des perspectives et donc la voie du succès.
LE PERSÉVÉRANT
Primoz Roglic, venu tard au cyclisme, aura donc vécu lui aussi une saison renversante. Sa terrible désillusion survenue à la veille de l’arrivée du Tour, lors du contre-la-montre de la Planche des Belles Filles, là même où son compatriote slovène Tadej Pogacar l’a dépossédé du maillot jaune – sans conteste le jour le plus fou de la saison, le plus intense – aurait pu être le terminal pour 2020.
Mais Roglic, dont l’histoire personnelle n’est faite que de persévérance, s’est accroché pour finalement arracher un succès improbable sur Liège-Bastogne-Liège, alors que le succès semblait acquis pour Julian Alaphilippe. C’est ce même Roglic qui a su se battre et conjurer le sort pour surmonter la dernière attaque de l’Équatorien Richard Carapaz, dans la dernière étape de montagne du Tour d’Espagne, et ainsi ramener son deuxième maillot rouge à Madrid. Il fallait pouvoir le faire.
LES CONQUÉRANTS
Julian Alaphilippe avait, en cette saison remodelée, le principal objectif de remporter le championnat du monde, déplacé de Martigny à Imola. Il l’a fait avec tant de brio qu’il s’agissait d’une course totale où le plus fort s’est logiquement imposé devant deux jeunes et grands coureurs, le Belge Wout Van Aert et le Suisse Marc Hirschi, brillantissimes chasseurs d’étapes sur le Tour de France.
Le Français, victorieux à Nice de la deuxième étape du Tour et bref porteur du maillot jaune, aura finalement connu une saison agitée. Il rêvait de lever les bras à Liège avec son maillot arc-en-ciel. Il l’a fait. Mais il a été surpris sur la ligne par Primoz Roglic. Puis déclassé pour avoir quitté sa ligne et gêné Marc Hirschi. Enfin, on retiendra sa chute spectaculaire sur le final du Tour des Flandres où il s’était propulsé dans une échappée royale, avec Wout Van Aert et Mathieu Van der Poel.
On retiendra l’impeccable saison du Belge de l’équipe Jumbo-Visma. Lauréat des Strade Bianche mais surtout de Milan-San Remo, son premier monument, il fut aussi cet énorme travailleur au service de Roglic sur le Tour. Sur le Tour des Flandres, il fut battu d’un cheveu par son éternel rival, le Néerlandais Mathieu Van der Poel, qui décrocha là lui aussi son premier monument. À chacun sa parcelle de gloire. Ces deux-là sont là pour longtemps.
LES PERDANTS (SUR CHUTE)
On attendait tant de Remco Evenepoel sur le Giro qu’on pensait que le Tour de Lombardie ne serait finalement qu’une simple formalité. Le jeune Belge de 20 ans seulement, lauréat avant le confinement du Tour de San Luis et du Tour de l’Algarve, puis après le confinement du Tour de Burgos, avec la même maîtrise et surtout la même supériorité déconcertante sur les purs grimpeurs, visait lui aussi son premier monument en Lombardie lorsqu’une terrible chute survint dans la descente du vachard Sormano. On connaît la suite. Cela a tourné au cauchemar. Il fut finalement évacué avec une fracture du bassin et une contusion au poumon droit.
L’autre grosse chute de la saison concerne un autre coureur de l’équipe Deceuninck. Cette fois, un de ses concurrents en est à l’origine. Le 6 août, à l’arrivée de la deuxième étape du Tour de Pologne, Dylan Groenewegen (Jumbo-Visma) envoie littéralement valser son compatriote Fabio Jakobsen, qui sur le coup manque de perdre la vie. Plongé dans le coma artificiel, le Néerlandais de 24 ans a ensuite été longuement opéré à la tête, recevant pas moins de 130 points de suture. Il sera prochainement de retour lui aussi à l’entraînement.
LES VIEILLISSANTS
Dans un sport comme le cyclisme, il convient de faire attention avec cette notion. Mais cette année, plusieurs coureurs sont apparus un peu vieillissants. On songe aux sprinteurs Mark Cavendish (Bahrain-McLaren), André Greipel (Israel Start Up Nation) et même Elia Viviani (Cofidis) qui n’a pourtant que 31 ans. Vincenzo Nibali (Trek-Segafredo), sans être indigne de son rang, a pour sa part rappelé à tous qu’il aura prochainement 36 ans.
Sur la dernière Vuelta, Alejandro Valverde (Movistar) ne faisait toujours pas ses 40 ans, mais il ne peut plus peser sur la course comme avant. De son côté, Chris Froome, qui roulera pour Israel Start Up Nation en 2021, a rappelé que sa lourde blessure survenue sur le Dauphiné 2019 avait interrompu durablement le fil de sa carrière. Reviendra-t-il à son meilleur niveau? Dans un moment où les jeunes gravissent à la vitesse grand V toutes les marches des podiums, le doute est quand même permis…
Denis Bastien