Des centres commerciaux bondés, mais des cafés et restaurants vides, des aides de l’État, mais des appels au secours des entreprises : ce que pense Lex Delles.
Lex Delles, le ministre des Classes moyennes et du Tourisme, veut assurer commerçants et professionnels du secteur de l’Horeca du soutien de l’État, mais leur demande aussi de se réinventer.
Les commerçants sont plutôt heureux, mais les restaurateurs et cafetiers sont très en colère quand ils voient les images de cohue dans les centres commerciaux. Ils n’ont pas tout à fait tort, non?
Lex Delles : Toute fermeture administrative entrave la liberté d’exercer, mais nous avons choisi un chemin adapté à la situation luxembourgeoise. Contrairement aux pays voisins, nous avons décidé de laisser le secteur de l’Horeca ouvert aussi longtemps que possible. Avec le couvre-feu imposé à 23 h, le nombre d’infections a baissé, mais pas assez, donc il fallait prendre des mesures supplémentaires. Nous avons choisi de fermer les lieux où les gens ne portent pas de masque. Je comprends la colère de l’Horeca quand on voit les photos prises dans certaines galeries marchandes où les gens s’engouffrent. La loi Covid limite la présence du public à une personne par dix mètres carrés dans les magasins d’une surface supérieure à 400 mètres carrés, mais cela ne permet pas d’éviter des rassemblements. J’ai téléphoné à toutes les galeries marchandes pour leur demander de bien vouloir mettre en place un système de gestion des flux avec des endroits spécifiques pour s’asseoir, des files d’attente mieux tracées, etc. Certains ont arrêté de vendre des cafés et des glaces à emporter dès cette semaine.
Les chiffres des infections ne sont toujours pas bons, faut-il néanmoins continuer à responsabiliser la population sans passer par un confinement plus dur?
Il faut éviter un lockdown complet qui serait catastrophique pour l’économie comme pour le bien-être des gens. Oui, c’est de la responsabilité de chacun d’éviter d’aller se promener dans une galerie marchande si aucune course n’est nécessaire.
Le secteur de l’Horeca s’est-il rendu coupable de trop d’abus?
On ne peut pas généraliser, car beaucoup ont investi pour respecter les mesures sanitaires. Il y a eu des abus, c’est sûr, mais pas plus qu’ailleurs. Ce qui a guidé notre choix, c’est vraiment la problématique du port du masque qu’il est impossible de porter quand on consomme à table.
Comment vont-ils s’en sortir? Le gouvernement parviendra-t-il à limiter la casse?
On a démarré avec des aides très larges au printemps, avec une aide forfaitaire de 5 000 euros pour ceux qui ont dû fermer. On a ajouté ensuite une aide complémentaire non remboursable pour les petites entreprises ainsi qu’une indemnité forfaitaire pour les entreprises occupant entre 10 et 20 salariés. Nous avons mis en place en outre deux aides non remboursables pour les indépendants. À cela s’ajoute l’avance remboursable. Ensuite, on a ciblé de nouvelles aides avec le fonds de relance de juin à novembre. Maintenant, on lance l’aide-coût, on prolonge et on élargit le fonds de relance. On adapte les aides en permanence et au maximum de ce que nous permet la Commission européenne. Nous avons fait un projet de loi qui prend en considération les coûts non couverts pour tous les secteurs qui bénéficiaient du fonds de relance auparavant, auxquels nous avons ajouté les centres de formation. Ils reçoivent une aide qui correspond à 75 % des frais fixes (salaires, loyers, électricité, etc.), dont on déduit le chiffre d’affaires du mois et les autres aides étatiques reçues comme le chômage partiel. L’État peut participer à 90 % du montant restant pour les petites entreprises et à 70 % pour les plus grandes. La notion de fermeture administrative inscrite dans le projet de loi nous autorise à prendre en considération 100 % des frais fixes dans le calcul. Je voudrais rappeler que le ministère des Classes moyennes a versé des aides pour un montant total de 230 millions depuis le début de la pandémie, dont 130 millions non remboursables. Les aides du ministère représentent en temps normal quelque 17 millions par an.
L’Horesca en réclame davantage…
L’Horesca exprime des revendications qui se situent à différents niveaux. Il y a la question des cotisations sociales que la profession doit maintenant payer après le délai qui lui avait été accordé au printemps. L’Horesca a un rendez-vous prévu avec le ministre Romain Schneider sur ce point précis. Puis il y a la question de la TVA qu’elle veut ramener de 17 % à 3 %, mais le gouvernement s’est prononcé contre cette mesure parce que cela ne changera rien aux prix que pratiquent les professionnels du secteur, comme on a pu le constater en Allemagne par exemple. Personnellement, je suis d’avis que les aides que nous accordons à l’Horeca sont plus efficaces. L’État soutient le secteur, mais les restaurateurs doivent également se réinventer pendant cette période avec des formules à emporter. Et j’invite d’ailleurs les clients à soutenir aussi le secteur en commandant de temps en temps des plats à emporter.
Les hôtels, pourtant ouverts, ne sont pas à la fête non plus. Quelle est leur situation actuellement?
Nous avons eu une saison passable pendant l’été et 90 000 bons utilisés à ce jour. Les hôtels en milieu rural s’en sortent mieux qu’à Luxembourg. La situation reste très difficile pour l’hôtellerie. Avant le mois de mars, le tourisme d’affaires a considérablement baissé et pendant l’été ce sont les régions rurales qui ont attiré les touristes.
Allez-vous prolonger l’utilisation des bons au-delà du 31 décembre, comme le demande l’Horesca?
Nous allons analyser cette question. Personnellement, je préfère ne pas prendre de décision maintenant, car ceux qui ont réservé pour les fêtes de fin d’année risquent d’annuler pour reporter leur séjour.
L’OGBL a eu une entrevue avec le ministre du Travail, Dan Kersch. Il semblait d’accord avec certaines revendications du syndicat concernant la flexibilité des heures d’ouverture des commerces et la nécessité d’instaurer une convention collective sectorielle. Qu’en pensez-vous?
Nous avons un accord de coalition et le gouvernement s’est engagé à défendre clairement la flexibilité des heures d’ouverture des commerces et c’est sur cette ligne que le gouvernement travaille. L’OGBL a une panoplie de revendications comme le moratoire sur la construction des grandes surfaces et une convention collective sectorielle. J’ai reçu un courrier et nous allons nous rencontrer avec l’OGBL, mais je ne vois pas de possibilité de créer une convention collective sectorielle alors que le commerce est tellement différencié et individuel. Cette proposition ne figure d’ailleurs pas dans l’accord de coalition.
Les artisans souffrent aussi. Beaucoup de communes vont mettre un frein à leurs investissements et c’est l’économie locale qui en pâtira. Encouragez-vous les communes à s’endetter comme le fait l’État?
Le gouvernement a pris la décision de garder les investissements à un niveau élevé et les communes peuvent en faire autant. Faire des dettes, ce n’est pas forcément un drame. Mais je constate quand même que les projets d’envergure des communes sont des soumissions qui ont déjà été signées, donc je ne vois pas de problème pour 2021. Mais pour les deux années suivantes, les communes devront décider de ce qu’elles veulent faire.
Le patronat agite beaucoup le spectre des faillites. Quelle est la situation actuelle?
Nous sommes en contact étroit avec le ministère de la Justice sur cette question et nous ne voyons aucune augmentation des faillites pour l’instant, ce qui montre que les aides ont fonctionné et ont aidé les secteurs les plus touchés. Je me souviens d’analyses de la Confédération luxembourgeoise du commerce et de l’Horesca qui, dès les mois d’avril-mai, annonçaient x pour cent de faillites, et heureusement cela n’a pas été le cas. Personne ne savait comment la pandémie allait évoluer et aujourd’hui encore je ne saurais pas dire quelle sera la situation en avril ou mai prochain. C’est toujours une bonne chose de faire des analyses, mais ils se sont peut-être montrés trop pessimistes. D’un autre côté, il y a les autorisations d’établissement que nous traitons ici au ministère et nous sommes au même niveau que 2019. Nous avons eu une baisse considérable au printemps pendant le confinement et une forte reprise en été, tous secteurs confondus. Il est vrai aussi que le deuxième lockdown est plus grave que le premier.
Pour quelles raisons?
Au cours du premier confinement, les entreprises avaient encore quelques liquidités pour s’en sortir, mais aujourd’hui on sait que la situation est très différente. Des établissements du secteur de l’Horeca sont parvenus à renflouer les caisses pendant l’été, mais pas toutes. C’est aussi la raison pour laquelle le gouvernement a augmenté ses aides.
L’augmentation du salaire social minimum a été très mal accueillie par le patronat, surtout par les PME déjà fragilisées. Vous avez dû être inondé d’appels…
Oui, effectivement! Je comprends la peur, les questions que se posent les entreprises, mais il y a l’article 222 du code du travail qui date des années 80 et qui prévoit tous les deux ans une analyse de l’augmentation des salaires moyens qui se répercute sur le salaire social minimum. Il n’y a jamais eu d’exception à la règle. Je pense que l’idée du législateur était d’établir un système solidaire garant de la paix sociale. Je comprends tout à fait que la période était peut-être mal choisie, mais le gouvernement a déposé un projet de loi pour apporter une aide spécifique de 500 euros par salarié pour les secteurs les plus touchés. Il y a une augmentation de 2,8 % qui représente quelque 65 euros par mois pour les non-qualifiés et 80 euros pour les qualifiés. Ces 500 euros représentent donc 6 à 7 mois de prise en charge de cette augmentation par le gouvernement.
Les commerces s’en sortent-ils mieux aujourd’hui avec le développement de la plateforme letzshop.lu?
Nous améliorons chaque jour la plateforme. Nous avons trois personnes qui travaillent pour le GIE (NDLR : groupement d’intérêt économique Luxembourg for Shopping, qui pilote letzshop.lu) et qui assurent le suivi des commerçants. L’idée initiale était la digitalisation nécessaire du commerce et d’avoir une plateforme qui réunisse toutes les enseignes. Nous avons de suite décidé de la gratuité du site pour l’année 2020, c’est-à-dire d’annuler la cotisation annuelle de 500 euros que les commerçants doivent verser. Le GIE, composé de la Chambre de commerce, de la Ville de Luxembourg, des 18 communes participantes, de la CLC et du ministère, analyse la situation et va envisager des actions à mener pour 2021. On voit qu’il y a plus de 200 commerces supplémentaires en 2020 pour un total de 500 commerces en trois ans. J’ai rencontré une dame qui vend du thé et elle m’a dit que letzshop lui a permis de sauver son magasin. Depuis une semaine, nous avons les bons cadeaux sur la plateforme et beaucoup de sociétés en profitent pour acheter les cadeaux de fin d’année à leur personnel. On génère ainsi beaucoup de bons utilisés par les salariés sur la plateforme letzshop. De l’autre côté, nous travaillons avec l’Horesca sur la possibilité d’avoir un bon « hébergement et restauration » sur la plateforme afin de continuer à profiter du système mis en place pour les bons d’hébergement de 50 euros offerts par le gouvernement qui ont transité par la plateforme. C’est la période de Noël, on voit au nombre important de colis qui arrivent encore de l’étranger que la plateforme letzshop est un outil encore plus indispensable pendant cette période de pandémie.
Entretien avec Geneviève Montaigu