Les associations espèrent que la légalisation du cannabis va lancer le débat autour de la prise en charge des femmes enceintes toxicomanes. Les consommateurs ne semblent pas prendre la mesure du danger.
Il ne s’agit pas de juger ou de punir le parent consommateur de drogues, mais de l’aider, de l’accompagner et le sensibiliser. Depuis de nombreuses années, l’association Jugend- an Drogenhëllef vient en aide aux familles qui connaissent des difficultés avec ce fléau. Le projet de légalisation du cannabis ouvre une réflexion parmi les spécialistes.
«L’an dernier, nous avons eu dix-sept grossesses qui connaissaient des problèmes d’addiction», indique Robert Lamborelle, psychologue et chef du service parentalité pour Jugend- an Drogenhëllef. Désormais, «dans les maternités, on prend davantage conscience des problèmes suscités par une consommation excessive de drogues. Alors que le grand public n’est pas encore tout à fait informé des conséquences que cela peut avoir sur la grossesse.»
Et la nouvelle loi qui autorise la consommation de cannabis vient un peu embrouiller les esprits. «Certaines mamans me disent : je prends du cannabis parce que ça me calme. En plus, c’est bon contre les nausées», explique le psychologue. Par ailleurs, le cannabis est une herbe, qui va être légalisée et on parle de cannabis médical. Une partie de la population, mal informée, pense donc que c’est un produit naturel et inoffensif. Alors que le cannabis contient au moins 400 substances qui peuvent avoir des effets, on le sait, au niveau du cerveau. Dans les services psychiatriques au Luxembourg, on trouve pas mal de jeunes chez qui le cannabis aurait déclenché des épisodes psychotiques.»
«La loi seule, c’est un bout de papier»
Si le psychologue ne désapprouve pas cette légalisation, il s’inquiète en regardant ce qui se passe au Canada. «J’ai lu des statistiques qui indiquaient que 8% à 10% des femmes consommaient du cannabis pendant la grossesse dans ce pays (NDLR : où le cannabis est légalisé depuis octobre 2018). Le pays met actuellement des choses en place, car il y a une banalisation ou minimisation de l’effet du cannabis sur le développement du bébé.»
Il existe plusieurs moyens de lutter contre cette pratique et cela «commence par la prévention, la sensibilisation et l’information le plus tôt possible, c’est-à-dire pendant l’enfance et l’adolescence», souligne Robert Lamborelle.
Pour lui et le Dr Roland Seligmann, pédiatre au CHL et président de l’ASBL Alupse (Association luxembourgeoise de pédiatrie sociale), pas question de critiquer la loi. Ils saisissent au contraire l’occasion d’avancer sur ce problème qui détruit des vies : «Peut-être que le bénéfice de cette loi c’est de lancer le débat sur le cannabis entre les professionnels pour identifier les besoins et savoir ce qu’il faut mettre en place. Et c’est ça qui doit obligatoirement accompagner cette loi, espère le Dr Roland Seligmann. «La loi seule, c’est un bout de papier.»
Les mélanges augmentent les risques
Mais pour le pédiatre, il ne faut pas non plus se focaliser sur cette seule substance. «Il y a l’alcool, il y a le tabac et même tous les perturbateurs endocriniens. Pour cette dernière substance, on n’est pas dans l’addiction, mais dans les substances toxiques pour le futur bébé. Le bébé in utero n’est pas protégé de façon efficace contre le monde extérieur. Ces dernières années, nous nous sommes rendu compte que notre monde moderne fait beaucoup de choses qui peuvent être nocives pour le bébé, mais d’un point de vue scientifique, c’est souvent très difficile de pointer un produit comme le produit le plus dangereux. Surtout lorsqu’il y a des mélanges, par exemple avec la nicotine. Les différentes substances commencent alors à produire des interactions entre elles qui peuvent être aggravantes. Dans ces cas-là, on joue vraiment avec le feu.»
«Chaque cigarette en moins est une victoire»
Dès que les membres de l’Alupse entrent en contact avec une femme enceinte qui connaît un problème d’addiction, leur premier objectif est de mettre le paquet sur l’information en parlant immédiatement de l’effet des substances sur la grossesse et le bébé. «Chaque substance qu’une mère addict va cesser de prendre est importante pour le bébé, insiste le président de l’association. Qu’on arrête l’alcool à n’importe quelle date, ce sera bénéfique. Il ne faut pas se dire : ‘cela fait déjà trois mois que j’en prends, les dégâts sont faits, cela ne changera plus rien’. C’est faux.»
Un point que défend également le psychologue de l’association Jugend- an Drogenhëllef : «C’est d’ailleurs la philosophie de Jugend- an Drogenhëllef : on peut toujours réduire les risques. Si c’est une femme qui fume beaucoup, chaque cigarette en moins est déjà une victoire. Mais il y aura tout de même un risque, et l’idéal, c’est d’arriver à zéro substance nocive pour le bébé. Le plus important est d’essayer de diminuer le risque, mais si la maman ne parvient pas à arrêter, on sera là pour elle. Par exemple, pour le cannabis, aujourd’hui il y a des inhalateurs, des vaporisateurs, on peut le manger, ce qui enlève déjà le risque de la fumée, même s’il y aura toujours des molécules chimiques qui peuvent agir sur le développement du bébé.»
«Une démarche pour sortir du malheur»
«Il faut que l’on puisse emmener les gens dans une démarche où ils vont entrevoir un meilleur futur», explique le Dr Roland Seligmann. «Quand on commence à dire aux mères ce qu’on peut faire et à les faire participer à une prise en charge dans laquelle elles seront actrices, cela devient une démarche pour sortir du malheur. Et quand elles sont dans cette situation sans avoir entendu ce discours, elles pensent être dans une impasse. Je me souviens d’une patiente qui, quand j’ai commencé à lui parler, semblait absente, et après 30 minutes elle est sortie avec le sourire et elle a bien évolué dans un premier temps avant de replonger après la naissance. La visite, c’est essayer de voir, quelle que soit la situation, quel chemin emprunter pour aller vers le mieux.»
Audrey Libiez