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Youth for Climate Luxembourg : «Les adultes doivent aussi faire partie de la solution»


Selma Vincent décrypte l'enracinement du mouvement Youth for Climate au Grand-Duché. (Photo : Didier Sylvestre)

Vendredi, élèves et société civile vont ensemble faire grève pour le climat. La mise en garde de Youth for Climate est claire : sans mesures rapides et radicales, la population mondiale sera confrontée à une «catastrophe absolue».

Vendredi, la grève des lycéens a réuni quelque 1 200 jeunes. En mars, vous étiez encore près de 15 000 à défiler à Luxembourg. Êtes-vous malgré tout satisfaite de cette troisième manifestation pour le climat ?

Selma Vincent : Avec le retour après les vacances, il était plutôt compliqué de mobiliser les élèves en à peine deux jours. Et puis, toute l’interaction du gouvernement au sujet des absences non excusées n’a également pas facilité les choses. Mais en fin de compte, ce sont les lycéens les plus engagés qui sont venus défiler, ceux qui ont eu le moins peur et le moins froid aux yeux.

Selma Vincent est l'une des figures de Youth for climate Luxembourg, ce mouvement mondial de la jeunesse en lutte contre le réchauffement climatique (Photo : Didier Sylvestre).

Selma Vincent est l’une des figures de Youth for climate Luxembourg, ce mouvement mondial de la jeunesse en lutte contre le réchauffement climatique (Photo : Didier Sylvestre).

Malgré tout, la volte-face du ministre de l’Éducation nationale vous laisse un goût amer ?
Personne ne savait vraiment à quoi s’en tenir. On pense même que c’était une tactique du ministre Claude Meisch pour nuire à notre mobilisation. Nous ne sommes pas contents, même si on s’attendait à ce que la mobilisation soit moins importante qu’au printemps. Mais ce n’était qu’un début. On a encore toute une semaine d’actions qui nous attend. Chaque jour, on va mobiliser plus de personnes et donc générer plus d’attention pour la grande manifestation de vendredi prochain (27 septembre).

Faisons un saut en arrière. La grève scolaire pour le climat, lancée en août dernier par Greta Thunberg, a eu quel effet parmi les jeunes du Luxembourg ?
Au départ, on était motivés, tout le monde a vu l’urgence d’agir. Mais dès le moment où Greta a commencé à se manifester, je pense qu’on s’est tous remis dans le bain pour former une plus grande plateforme réunissant l’ensemble des écoles. Les réunions se sont enchaînées depuis le début de cette année et c’est là qu’on a lancé les préparatifs pour la première grande manifestation.

On avait l’impression qu’au Luxembourg il y a pas mal de climato-sceptiques

La manifestation de vendredi n'a pas connu le succès des journées de l'année scolaire passée... simple tour de chauffe ? (Photo : Editpress).

La manifestation de vendredi n’a pas connu le succès des journées de l’année scolaire passée… simple tour de chauffe ? (Photo : Editpress).

En amont de la première grève du 15 mars, auriez-vous pensé déclencher un tel mouvement et une telle mobilisation ?
À vrai dire, on n’avait aucune idée du succès que cela allait avoir. En réalité, on avait l’impression qu’au Luxembourg il y a pas mal de climato-sceptiques. Et encore aujourd’hui, il y a pas mal de personnes de différentes générations qui disent que ce que l’on fait est inutile ou qu’on cherche juste à ne pas devoir aller en cours. Mais ce n’est absolument pas le cas. Et avec Greta, qui a attiré l’attention mondiale, on s’est rendu compte qu’au Luxembourg nous avions aussi une voix très importante à porter.

Six mois et un blocage du pont rouge plus tard, qu’a réussi à atteindre Youth for Climate Luxembourg ?
Je pense qu’on a réveillé quelque chose auprès des jeunes qui n’a encore jamais été réveillé auparavant. On a réveillé cette conscience pour le climat, qui en fait était présente chez tout le monde, mais on ne savait pas vraiment comment la matérialiser ou l’utiliser pour le bien collectif du Grand-Duché et du monde entier. En créant cette plateforme, on a réellement donné du pouvoir à pas mal d’écoliers, qui avaient la rage en eux de ne pas avoir de voix. Leur avoir donné cette voix est une de nos plus grandes réussites.

Et qu’en est-il des adultes ?
Forcément, les élèves ont des parents. Les parents se parlent entre eux et donc cela a un impact plus global sur la société luxembourgeoise. Mais on a aussi pu parler directement à des politiciens tels que le Premier ministre, Xavier Bettel, ou la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg. Sur quelques points, on garde des avis divergents, c’est normal. Mais le seul fait d’avoir pu ouvrir un tel dialogue a été une grande réussite pour des élèves de 15, 16 ou 17 ans.

On sent que la ministre de l’Environnement est freinée par le reste du gouvernement

Quelle réelle marge de manœuvre pour l'environnement et son ministère au Grand-Duché ? La jeunesse s'interroge (Photo : Fabrizio Pizzolante).

Quelle réelle marge de manœuvre pour l’environnement et son ministère au Grand-Duché ? La jeunesse s’interroge (Photo : Fabrizio Pizzolante).

Or ces différences de vues, notamment en ce qui concerne l’envergure des mesures contre le réchauffement climatique et la vitesse de leur mise en place, restent importantes.
Aussi bien M. Bettel que Mme Dieschbourg sont des personnes très respectables. Mais d’un autre côté, on ressent vraiment que la ministre de l’Environnement est freinée par le reste du gouvernement dans ce qu’elle peut faire. C’est pourquoi nous continuons à faire pression sur trois points concrets. Le Luxembourg doit afficher une neutralité carbone dès 2030 et produire 100 % d’énergies renouvelables en 2040. Ensuite, le pays n’est pas trop petit pour lutter activement contre l’évasion fiscale pratiquée par ceux qui investissent dans le pétrole. Cette pratique doit absolument être anéantie. Et finalement, on demande une justice climatique au niveau international.

Vous évoquiez des chiffres. Le gouvernement vise la neutralité carbone pour 2050 et une réduction de 50 à 55 % des émissions de gaz à effet de serre seulement pour 2030. Ces objectifs vous inspirent quoi ?
Ce n’est vraiment pas assez. Des objectifs sont fixés, mais si on n’est pas capables de les réaliser dans un proche avenir, on sait pertinemment bien qu’ils ne seront également pas atteints en 2050. D’ailleurs, 2050, c’est bien trop tard pour toutes les limites qu’on se fixe. On entre dans la décennie la plus décisive de l’histoire de l’humanité, qui va assurer notre survie future ou pas. Si on ne réduit pas nos émissions de carbone vers une neutralité d’ici dix ans, on court sincèrement vers une crise climatique sans égale.

Conséquence de la politique grand-ducale sur les carburants : la plus grande station-service Shell du monde est au Luxembourg, à Berschem (Photo : Editpress).

Conséquence de la politique grand-ducale agressive sur les prix bas du carburant : la plus grande station-service Shell du monde est au Luxembourg, à Berchem (Photo : Editpress).

Essence ? Si on veut changer les choses, il faut introduire une taxe bien supérieure

Le gouvernement a décidé au printemps d’augmenter les accises sur l’essence et le diesel de 1 et 2 centimes par litre. S’agit-il vraiment d’une piste pour réduire l’empreinte écologique du Luxembourg ?
Un ou deux centimes, c’est bien trop peu. Si on veut vraiment changer les choses, il faut introduire une taxe bien supérieure à ce que l’on a considéré jusqu’à présent comme normal. Nous on propose que la taxation de l’énergie fossile suive l’exemple de l’importante taxation appliquée sur le tabac. En même temps, il faut œuvrer contre les industries les plus polluantes, rendre plus durable l’industrie du textile, mais aussi agir sur l’agroalimentaire et plus particulièrement l’exploitation des animaux. Il y a mille et une façons de réduire notre empreinte et mille et une raisons pour qu’on le fasse.

Au Luxembourg, on mise beaucoup sur les mesures à prendre dans le domaine des transports pour réduire les émissions de CO2. Dans ce contexte, l’électromobilité est vue comme une solution majeure. Pouvez-vous suivre ce raisonnement ?
Le Luxembourg est un des pays les plus riches au monde. Il a réellement les moyens de mettre en place des infrastructures qui ne constituent pas simplement une sorte de fausse transition écologique. On pourrait réellement mettre en place une vraie transition qui ait un réel impact. Passer du pétrole à l’électricité est certes un grand pas en avant, mais il faut que ce soit encore plus radical, qu’on aille encore plus loin et qu’on avance encore plus vite.

Vous militez pour un changement de système sociétal et économique si la politique n’assume pas ses responsabilités. En quoi pourrait consister ce changement ?
Pour changer de système, il faut prendre des mesures radicales comme on peut en prendre en temps de guerre. Il s’agit de faire la même chose pour contrer l’attaque sur notre climat. Par exemple, il faut accorder une plus grande importance aux jeunes. Ils sont les premiers concernés par cette crise. On pense aussi à des assemblées citoyennes ayant un véritable poids. Et puis, il est temps de déclarer dès maintenant l’état d’urgence climatique, à l’image de l’état d’urgence décrété après les attaques terroristes.

Depuis cet été, vous bénéficiez du soutien de plus de 30 ONG et syndicats. Comment s’est faite cette ouverture et quel est l’apport que vous espérez de la création du nouveau collectif United for Climate Justice, présenté mardi dernier ?
On a mis une part de la responsabilité sur ce qui nous arrive aujourd’hui sur la génération passée, soit les adultes, nos parents et grands-parents. Ils n’ont pas fait preuve de suffisamment de conscience climatique. Mais désormais, on se rend compte qu’il y a une réelle volonté de solidarité avec les jeunes. Les adultes sont une partie du problème, mais ils doivent aussi faire partie de la solution. C’est pour ça qu’on les invite à s’unir et former une seule voix forte.

Le nouveau collectif met la justice climatique en avant. S’agit-il aussi d’un objectif pour vous ou est-ce que l’urgence de lutter plus concrètement contre le réchauffement reste plus importante ?
On n’aura pas la justice climatique sans cocher d’autres cases urgentes dans notre société, telles que l’inégalité, la pauvreté ou la solidarité Nord-Sud. Une grande part de la justice climatique correspond donc aussi à une plus grande justice sociale. Cette solidarité est vraiment indispensable pour remplir nos objectifs. Le GIEC (NDLR : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a relevé que 10 % de la population la plus riche crée le plus d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Ce sont donc les plus riches qui provoquent le plus de pollution, de déforestation et de restrictions qui impactent les plus pauvres de plein fouet. Il faut lutter contre ce phénomène.

(Photo : AFP)

(Photo : AFP)

Greta est une personne que j’admire

Quelles sont vos attentes par rapport au sommet de l’ONU sur le climat, qui s’ouvre aujourd’hui à New York, et la conférence mondiale sur le climat COP25, prévue en décembre au Chili ?
On espère qu’au vu des millions de jeunes qui se sont mobilisés vendredi à travers le monde, les responsables politiques se sont mis à réfléchir sur la portée de la crise. Avec la présence de Greta Thunberg à New York, mais aussi à la COP25, nous nous attendons vraiment à ce que le camp politique se rende enfin compte de la catastrophe absolue qui nous attend s’il n’agit pas. Jusqu’à preuve du contraire, cela n’a pas vraiment été dans leurs objectifs de faire des changements radicaux.

Les reproches selon lesquels Greta Thunberg serait guidée par des acteurs tiers pour gagner de l’argent sont-ils justifiés ou exagérés ?
Il est malheureux qu’une fille de 16 ans doive attirer l’attention sur la responsabilité que nous avons pour sauver la planète. Greta est une personne que j’admire, encore plus depuis que j’ai eu l’occasion de la rencontrer au printemps à Paris. Les reproches qu’elle soit une marionnette sont futiles. Il s’agit d’une tentative pour attirer l’attention là où elle ne devrait pas être. Elle devrait bien plus être portée sur son message. Mais néanmoins, Greta est quelqu’un qui fait visiblement peur aux politiciens. Des adultes ont donc peur d’une fillette de 16 ans. Je trouve ça assez génial que rien qu’avec sa voix et son mouvement, il y ait autant de révolte dans le monde. Cela montre pourquoi nos manifestations sont essentielles.

Un maintien du collectif United for Climate Justice est-il prévu? Et est-ce que vous envisagez déjà d’autres actions majeures ?
Une réflexion sur la poursuite du collectif n’est pas encore réellement entamée, mais quoi qu’il en soit, nous espérons pouvoir continuer à compter sur le soutien des ONG pour nos futures manifestations. Car en fin de compte, et même si cela est malheureux, c’est le nombre de manifestants mobilisés et non pas le message qui importe le plus aux yeux des politiciens. Et on comptera bien entendu toujours sur tous les élèves pour continuer à se mobiliser en masse, même si j’espère sincèrement qu’on n’aura plus besoin de le faire. Ce sont des heures de notre éducation personnelle qu’on sacrifie. On nous reproche de sécher les cours, mais on n’aime pas ça. Mais sans la reconnaissance de l’urgence climatique, on est forcés de le faire.

Entretien avec David Marques