Dans un entretien exclusif avec Le Quotidien, le Premier ministre, Xavier Bettel, défend la gestion de la crise sanitaire menée depuis février par son gouvernement. Il affirme être à l’écoute de l’opposition. Mais sa priorité serait la parole des experts. Le rapport Waringo et l’UE sont d’autres dossiers qui l’ont occupé en 2020.
«Les chiffres sont bons.» Le Premier ministre était résolument optimiste en nous accueillant le 22 décembre pour dresser la rétrospective d’une année politique exceptionnelle. «La bouffée d’air» qui doit soulager les hôpitaux n’a cependant pas encore été apportée, doit toutefois admettre Xavier Bettel. Le prochain moment de vérité l’attend déjà.
Fin 2019, vous vous étiez défendu dans nos colonnes contre les critiques de l’opposition invoquant un manque de vision. La riposte était annoncée pour votre déclaration sur l’état de la Nation, initialement prévue au printemps 2020. Sur quels points auriez-vous mis l’accent ?
Xavier Bettel : C’est très dur de le dire, car je vis au présent et pas dans le passé. Il y a en effet certains projets, notamment au niveau de la fiscalité, que nous comptions vraiment faire avancer, mais qu’on ne peut pas se permettre de réaliser. Les priorités ont changé. Dire ce que j’aurais fait sans le Covid serait une erreur. Aujourd’hui, on est confronté à une crise qui a tout chamboulé. Ma principale priorité est que le Covid fasse son entrée dans les livres d’histoire.
Avant le déclenchement de la crise sanitaire, il a beaucoup été renvoyé vers la réforme fiscale de 2021 pour concrétiser des dossiers qui tardaient à avancer. Le gel des travaux de cette réforme est-il définitif ?
C’est trop tôt pour le dire. Aujourd’hui, je ne peux rien exclure, mais dans l’état actuel des choses, il n’est pas prévu de reprendre les travaux dans l’immédiat. Nous ne connaissons pas encore l’impact budgétaire final du Covid. Notre priorité doit être d’aider l’économie à se relever et investir dans les domaines où il existe un réel besoin.
Les dossiers mis entre parenthèses pourront-ils toutefois avancer, même sans réforme fiscale ?
Il est vrai que l’on aurait pu faire autre chose sans le Covid. La crise sanitaire n’est pas un choix, elle est un fait et on doit s’investir aujourd’hui afin de gagner le combat contre le virus.
Lors du premier confinement au printemps, vous avez clamé que cette crise coûterait ce qu’elle coûterait. Vous maintenez toujours cette annonce ?
C’est ce que nous sommes en train de faire. En comparaison avec les autres pays de l’UE, le Luxembourg est le pays qui, par tête d’habitant, a mobilisé le plus d’aides. Cependant, nous gardons une des dettes publiques les moins importantes d’Europe. Pouvoir ouvrir les vannes en ayant quand même un budget qui fait partie des plus sains démontre une gestion des finances responsable. Ceux qui me disent qu’il ne faut pas faire de dettes n’ont rien compris. Le risque est que si l’on n’investit pas maintenant, on sera confronté à un cimetière économique mais aussi une crise sociale qui coûteront beaucoup plus cher que si l’on s’endette aujourd’hui.
Revenons un instant sur le 15 mars, jour où le gouvernement a décidé le confinement du pays. Quel était votre état d’esprit lors de ce moment de césure ?
Ce fut un moment très dur. On prend des décisions qui ont des répercussions énormes aux niveaux sanitaire, économique et psychologique. Il y a tellement d’éléments qui entrent en compte lorsque l’on doit prendre ce genre de décisions. Et puis, il ne faut jamais oublier que le gouvernement les met sur papier, mais que ce sont les gens qui doivent les subir. Nous nous devons d’agir dans l’intérêt du plus grand nombre.
L’autre moment couperet a été l’invocation de l’état de crise, le 17 mars, devant la Chambre. Avec le recul, était-ce la bonne décision ?
L’état de crise nous a facilité les choses. Le gouvernement était à même de prendre des décisions qui sont entrées en vigueur dans l’immédiat. Vous voyez aujourd’hui qu’il faut compter plusieurs jours entre la décision de restrictions et le vote au Parlement. Je reste toutefois convaincu que l’état de crise doit rester un instrument d’exception.
Un vote peut intervenir au bout de trois ou quatre jours, ce qui est fantastique
Pourtant, on vous a reproché de mépriser la Chambre en menaçant de décréter un second état de crise si le vote des mesures ne pouvait pas se faire dans les plus brefs délais.
Certaines personnes se sont dites choquées, mais il est un fait que je ne peux pas savoir ce qui nous attend demain. On a beaucoup de personnes qui sont toujours plus intelligentes après coup. Moi je dois agir en tenant compte des informations disponibles à ce moment précis.
Le processus démocratique et le bon fonctionnement des institutions nous importent beaucoup. Et on a vu qu’un vote peut intervenir au bout de trois ou quatre jours, ce qui est fantastique. Ce décalage entre l’annonce et le vote offre même un gain de prévisibilité pour les gens, tout comme pour l’économie.
L’opposition parlementaire ne cesse toutefois de reprocher au gouvernement de manquer de respect à la Chambre. Comment jugez-vous votre relation avec le Parlement ?
La majorité n’a pas le monopole des bonnes idées. On écoute aussi l’opposition. Nous venons d’ailleurs de transposer la motion du CSV réclamant l’interdiction de consommer de l’alcool sur la voie publique. Le moment n’est pas à la politique politicienne. Ceux qui nous reprochent de ne pas être assez sévères sont les mêmes qui ont plaidé au printemps pour déconfiner plus rapidement. Je pense que c’est une occasion ratée pour l’opposition. Les gens s’attendent à une entente. Certains ont été très constructifs et ont bien argumenté leur désaccord avec les mesures, mais clamer sans cesse que l’action du gouvernement n’est pas la bonne fait perdre du crédit aux élus concernés. Je rappelle que nous avons informé le Parlement dans la foulée de chaque décision prise alors qu’il n’existe aucune obligation de le faire. On veut le faire participer et expliquer notre démarche.
L’opposition clame toutefois que vous vous contentez d’informer et que vous ne consultez pas le Parlement. Êtes-vous suffisamment à l’écoute des députés ?
Informer c’est aussi consulter. Nous avons tous les mêmes chiffres, les mêmes données. J’ai toutefois l’impression que nous n’avons encore jamais eu autant d’experts, de docteurs, de virologues et de scientifiques que pendant cette crise. Je suis d’ailleurs assez impressionné par le nombre de savants que nous avons en politique au Grand-Duché. Moi je préfère écouter en premier lieu les vrais spécialistes.
Ce genre de critiques n’était pas encore audible lors de la première vague au printemps, où le gouvernement a même été loué…
(Il coupe) Je ne l’ai pas fait pour des louanges. Il a toujours été difficile de prendre les décisions les plus équilibrées possibles. Je prends pour exemple l’impact que le confinement a pu avoir sur l’épanouissement de la jeune génération, privée d’avoir des contacts avec ses amis. Je pense aussi à l’impact sur la santé mentale des gens, qui ne supportent plus l’isolement.
Cette volonté de garder l’équilibre se trouve-t-elle à l’origine du chemin jugé trop libéral emprunté pour gérer la deuxième vague d’infections ?
Certaines personnes disent qu’on aurait déjà dû enfermer tout le monde en octobre ou novembre. Les chiffres nous démontrent toutefois que les mesures prises ont eu un effet. Il est sûr que l’on aurait pu tout fermer, mettre une cloche sur le pays pendant six mois, mais il faut avoir conscience des répercussions que cela entraîne. Paradoxalement, ceux qui nous ont demandé de fermer boutique sont les mêmes qui ont réclamé plus de souplesse pour les fêtes de fin d’année. Il ne faut pas tomber dans cette volonté de plaire à tout le monde ou réagir à ce qui est clamé sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas le but de la politique. Mon objectif n’est pas de collecter des « J’aime » sur les réseaux sociaux, mais d’avoir une situation maîtrisable, en dépit du fait qu’un texte de loi ne peut jamais être parfait. La crise nous apprend des choses tous les jours et il faut savoir s’adapter.
On entend toutefois les gens se dire irrités par le court délai entre l’adoption des mesures et l’annonce de nouvelles restrictions. Pouvez-vous comprendre cette incompréhension ?
Les mesures votées le 25 novembre ont été annoncées dès le 17 novembre. La décision de prolonger ces mesures a été prise le 9 décembre avec un vote le 15 décembre. À chaque fois, on s’est donné le temps de voir si les mesures avaient un effet sur les infections. Avec la décision de serrer la vis le 26 décembre, on veut surtout anticiper et éviter une explosion des hospitalisations en janvier après une période des fêtes où les gens se sont davantage rapprochés. Il nous faut toujours nous donner cette bouffée d’air que nous n’avons pas encore atteinte.
On a toujours suivi notre volonté de garder le meilleur équilibre possible
N’avez-vous tout de même pas sous-estimé la deuxième vague ? Lors du discours sur l’état de la Nation, en octobre, vous affirmiez encore assez fièrement que tout était sous contrôle.
En comparaison avec l’étranger, où après un confinement strict les chiffres repartent partout à la hausse, nous ne nous retrouvons toujours pas dans une situation extrême. Mais on doit se donner cette bouffée d’air pour les hôpitaux et le personnel médical. Je ne me tape pas sur l’épaule pour dire que l’on a bien fait, mais on a toujours suivi notre volonté de garder le meilleur équilibre possible.
Pouvez-vous toutefois comprendre les critiques selon lesquelles vous avez préféré le commerce à la culture ?
Il ne faut pas oublier que vous restez mobile en faisant des courses. Quand vous fréquentez un événement culturel, vous êtes statique. Par contre, on a longtemps laissé ouverts les musées et galeries d’art, fait qui a été peu thématisé.
En fin de compte, l’année 2020 n’aura pas été marquée uniquement par le Covid. Le rapport Waringo, publié fin janvier, a posé la base d’une réforme de la Cour grand-ducale. L’opposition vous reproche d’avoir bafoué la Constitution en actant cette réforme par un simple décret, sans impliquer les Sages et les députés. Vous défendez toujours cette façon d’agir ?
J’ai informé le Parlement très tôt et dit exactement ce que nous comptions faire. Lors de la présentation du rapport à la Chambre, personne n’a soulevé de problème. Tout ce qui a été envisagé est aujourd’hui transposé. Le but était de faire une réforme efficace avec le concours du Palais et non pas d’offrir un défouloir politique à certaines personnes.
Jeannot Waringo a néanmoins fait état de certaines pressions subies dans le cadre de sa mission. La réforme que vous avez initiée s’est-elle vraiment faite dans le consensus avec la Cour ?
Pour moi, il est important de renforcer cette institution. La réforme a été faite avec la Cour et dans l’intérêt de la Cour. Il y a eu d’innombrables réunions entre le ministère d’État et la Cour. Le Grand-Duc s’est retrouvé en personne autour de la table.
Yuriko Backes, une personne qui bénéficie de votre confiance, a été choisie comme nouvelle maréchale de la Cour. D’autres postes-clés sont occupés par des proches. Ne s’agit-il pas d’une mainmise du Premier ministre Bettel sur la Cour ?
J’adore entendre ça. On oublie que Yuriko Backes était au départ conseillère politique de Jean-Claude Juncker. C’est une personne très compétente et une diplomate hors pair. Elle est la bonne personne à la bonne place. J’ai d’ailleurs entendu très peu d’échos négatifs depuis sa prise de fonctions en juin. Elle a à ses côtés comme chef du personnel Gilio Fonck, qui était déjà son bras droit lorsque Mme Backes occupait la tête de la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg. La maréchale a le droit d’avoir dans son équipe des personnes dans lesquelles elle a confiance.
La nomination de nouveaux conseillers spéciaux à la Cour proches du DP est également mise en relation avec vous.
La nomination de Norbert Becker fut un choix personnel du Grand-Duc. J’ai uniquement été informé sans me mêler de cette décision. La confiance doit prioritairement régner entre le Grand-Duc et ses collaborateurs. Ils travaillent avec le souverain, pas avec moi. Moi je n’ai pas besoin d’avoir un espion à la Cour.
L’UE s’est rattrapée sur le tard dans sa contribution à la gestion de la crise sanitaire. Que peut-on souhaiter aux 27 pour 2021 ?
On parvient toujours à trouver des solutions, même si ça prend du temps. Je suis content qu’on soit parvenu à s’accorder sur une stratégie commune pour commander les vaccins anti-Covid, car je crains que sans l’UE certains pays auraient eu du mal à être fournis en même temps que les autres. J’espère que les décisions prises seront respectées, que ce soit pour le budget pluriannuel, le paquet d’aides Covid ou le respect de l’État de droit.
Sur ce point, n’a-t-on pas fait trop de concessions à la Hongrie et à la Pologne, très récalcitrantes à l’égard de cette condition ?
Non. Vous savez, ceux qui crient victoire après une réunion à Bruxelles n’ont la plupart du temps pas tellement eu gain de cause.
Entretien avec David Marques
les vrais spécialistes? malheureusement ont a pas ça, d’ici a vingt ans ça se peut, c’est tout très nouveau