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Violences conjugales : frapper les esprits pour arrêter les coups


Les services de police de certains pays, comme le Luxembourg, ne recueillent pas les informations permettant de conclure à un féminicide. (illustration AFP)

Certaines histoires d’amour finissent mal, très mal. Les coups de foudre se transforment en coups de sang. Les insultes remplacent les mots d’amour. Parfois, on n’aime plus à en mourir, on meurt c’est tout.

Si le nombre de féminicides au Luxembourg (3 en 2008 et 2 en 2018) est constant, le nombre des interventions de police pour violences conjugales et des expulsions est en baisse depuis 2014 : la police était intervenue à 874 reprises et 330 expulsions avaient été actées. En 2018, il y a eu 739 interventions et 231 expulsions contre 715 et 217 en 2017.

« Celui qui ne tabasse pas sa femme n’est pas un homme », proférait récemment un chanteur marocain lors d’une émission de télévision. Des propos machistes et rétrogrades que la société ne veut plus entendre et particulièrement les femmes victimes de violences domestiques. Cinquante mille femmes seraient décédées sous les poings de leurs conjoints dans le monde l’an passé. Mais leur nombre serait bien plus vaste encore. Les services de police de certains pays, comme le Luxembourg, ne recueillent pas les informations permettant de conclure à un féminicide. Dans d’autres pays, l’homicide n’est même pas relevé. Ces meurtres de femmes pour leur condition de femmes sont appelés féminicides.

Ils ne sont que la pointe de l’iceberg, l’aspect le plus visible des violences conjugales. Le triste aboutissement de tentatives de meurtres, de blessures au corps et au cœur, de viols ou de violences physiques et psychologiques. Des tragédies quotidiennes et universelles issues d’un processus relationnel complexe caractérisé par l’emprise d’un partenaire sur l’autre. Les bourreaux sont majoritairement des hommes et neuf victimes sur dix sont des femmes. Ce qui ne signifie pas que les hommes soient tous des brutes, mais que certains sont dans un système sexiste qui doit être dénoncé.

Les auteurs cherchent le calme

Prévention, protection et poursuites sont des moyens d’action préconisés par les associations de victimes. L’un ne fonctionnant pas sans l’autre. «Il faut commencer la prévention dès l’école primaire», indique Andrée Birnbaum, directrice de l’association Femmes en détresse. «Le cinéma, les films pornographiques, les jeux vidéo ou la musique véhiculent des messages négatifs pour une certaine jeunesse. Nous devons lui apprendre des modes de communication autres que la violence.» L’absence de mots à mettre sur une situation, une frustration, une peur, une colère générerait un sentiment qui n’aurait d’autre moyen que l’agression pour s’exprimer.

«Le désespoir et l’absence de solution à un problème sont à l’origine des violences domestiques», explique Laurence Bouquet, chargée de direction du service Riicht Eraus qui aide les auteurs de violence. «Cela commence par de la violence verbale qui peut être qualifiée de psychologique, jusqu’à ce que la personne qui devient auteur utilise la force ou la violence pour arrêter une situation qu’elle ne maîtrise plus.» Les auteurs recherchent l’apaisement et le calme à travers «un geste désespéré, mais délibéré, choisi». Pour Laurence Bouquet, «il existe des explications à ces gestes, mais pas d’excuses». «Frapper une fois signifie qu’on ne maîtrise pas ses pulsions. Les auteurs de violence qui récidivent sont ceux pour qui la situation est normale. Ils ne ressentent pas le besoin de se faire aider», estime Andrée Birnbaum. Ces hommes répètent les violences.

À ce jour, depuis le 1er janvier, 163 conjoints violents ont été expulsés de leurs domiciles : «21% de ces expulsions sont des récidives, précise André Birnbaum. Il est rare que les actes de violences domestiques ne surviennent qu’une seule fois.» Preuve que l’expulsion seule n’est pas une solution efficace si elle n’est pas accompagnée de peines plus dissuasives et de thérapies pour les auteurs et de mesures de protection des victimes mieux organisées.

Des femmes dépendantes

«Les femmes victimes ont 14 jours à partir de l’expulsion du conjoint violent pour décider de leur avenir. Elles peuvent demander une prolongation de trois mois de l’expulsion. Après, elles doivent avoir demandé le divorce, trouvé un logement et un emploi pour payer le logement. Ce délai est trop court et certaines femmes se sentent débordées et préfèrent retourner avec leur mari», témoigne Andrée Birnbaum, favorable à une période d’expulsion qui devrait pouvoir être prolongée davantage pour donner une chance aux victimes de refaire leur vie. D’autant plus que certaines ont besoin de temps pour réaliser les tourments subis, «surtout quand l’agresseur ne lâche pas prise». On ne le dira jamais assez, l’indépendance économique des femmes est une des protections contre la violence conjugale.

Un moyen de soustraire les victimes aux violences, si l’expulsion du conjoint ne suffit pas, est de les placer dans des foyers pour leur permettre de réorganiser leur vie. Mais les places sont rares et les listes d’attente longues. «Chaque place manquante représente une femme dans une situation inacceptable», s’énerve la directrice de Femmes en détresse. Les victimes ne sont pas assez protégées et la question des foyers est un aspect du problème et de sa solution. D’où l’importance d’une bonne coordination des différents acteurs.

Dans une réponse parlementaire à la députée Françoise Hetto-Gaasch, la ministre à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Taina Bofferding, informe que son ministère «prévoit de mettre en place un groupe de travail interministériel pour évoquer les questions diverses comme une meilleure surveillance du respect des expulsions (…), de l’opportunité d’en revoir le cadre légal», entre autres. Preuve que le gouvernement a décidé de prendre le problème à bras-le-corps.

Sophie Kieffer

Que dit la loi ?

Au Luxembourg, la loi du 8 septembre 2003 sur la violence domestique autorise les expulsions des auteurs de violences de leur domicile par la police sur base d’indices avec l’autorisation du procureur d’État. Cette mesure dure 14 jours, à moins que la victime n’ait introduit une requête en prolongation. Pendant toute la durée de la mesure d’expulsion, il est interdit à la personne expulsée d’entrer dans le domicile et ses dépendances sous peine de sanctions pénales.

Les coups et blessures volontaires sur une personne proche avec laquelle on vit ou a vécu sont sanctionnés de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 5 ans et d’une amende maximale de 5 000 euros. Les menaces à l’encontre de cette même personne peuvent, dans certaines circonstances, également être punies des mêmes peines.

En parallèle à cette procédure, le parquet a la possibilité de procéder à une citation directe de l’auteur des violences devant le tribunal correctionnel, d’ouvrir une information judiciaire à son encontre, ou encore de procéder au classement sans suites pénales du dossier.

Les victimes sont quant à elles contactées par le service d’assistance aux victimes de violence domestique pour les informer de leurs droits et des actions et démarches possibles.

L’exemple espagnol

Plus la loi est dure envers les auteurs, plus on constate des évolutions. En Espagne par exemple, le nombre de féminicides est passé de 76 en 2008 à 47 en 2018.

Le pays s’est doté, en 2014, d’un système judiciaire inédit en Europe à travers d’importantes réformes, introduisant des tribunaux spécialisés, 106 cours spéciales, la généralisation des ordonnances de protection, les bracelets électroniques pour les auteurs et les téléphones d’urgence, entre autres.

Cette «révolution» commence en 1999 par la mise en place de mesures d’éloignement à la suite du meurtre d’Ana Morantes, brûlée vive par son mari après 40 ans de violences. En 2001, le gouvernement met en place un plan d’action qui aboutira à la «loi organique de protection intégrale» de 2004.