L’UE, séduite par les sirènes néolibérales, n’entendrait plus ses citoyens, plaide le coordinateur de Syriza au Luxembourg, Vassilis Sklias.
La Grèce, menée par le parti de gauche radicale Syriza, est actuellement au centre d’une bataille économique et idéologique déterminante pour l’avenir de l’Europe. Vassilis Sklias, de Syriza Luxembourg, refuse le Grexit et défend une certaine Europe. Quitte à égratigner aussi son pays d’adoption…
Le Quotidien : Qu’est-ce que Syriza Luxembourg? Un parti, une association?
Vassilis Sklias : Nous n’avons pas de statut particulier. Il existe le parti Syriza en Grèce et je suis le coordinateur de la section luxembourgeoise qui compte une quinzaine de membres cotisants.
C’est peu. Rien qu’à Luxembourg, on compte près de 1 300 personnes d’origine grecque…
Oui. Mais je crois que ceux qui s’impliquent sont les Grecs des anciennes générations, des institutions européennes ou de l’école européenne. Avec les nouveaux immigrés, on a moins de contacts, ils travaillent davantage dans le secteur privé et sont moins impliqués dans les associations.
Les néonazis d’Aube dorée existent-ils aussi au Luxembourg?
Pas à ma connaissance. Mais aux dernières élections européennes au Luxembourg, il y a eu quelques voix pour Aube dorée. Par ailleurs, les Grecs du Luxembourg sont plus conservateurs qu’en Grèce, et Syriza y a fait un score plus faible.
Syriza a le soutien du parti luxembourgeois déi Lénk…
Oui bien sûr, nous avons des relations étroites avec déi Lénk, moi-même j’en suis adhérent. Syriza est un parti phare pour la gauche. Avec notamment déi Lénk, le Front de gauche en France, Izquierda Unida [Gauche unie] en Espagne ou le Bloco de Esquerda [Bloc de gauche] au Portugal, Syriza est membre du Parti de la gauche européenne. Au Luxembourg, c’est important d’avoir déi Lénk pour faire avancer l’appel à la solidarité avec la Grèce. Cela dit, il y a des gens qui ne sont pas déi Lénk qui nous soutiennent, des socialistes, des verts…
Mais pas leurs partis?
En effet.
Encore moins les autres partis?
Oui, à quelques exceptions près, ils sont mal à l’aise avec nous. Et ce n’est pas étonnant, car le bloc politique qui tire les ficelles de l’Europe, et auquel appartiennent le CSV, le LSAP et le DP, préfère s’inquiéter de la montée des forces de gauche antiaustérité, plutôt que de la menace d’éclatement de l’Europe brandie par l’extrême droite et la droite populiste. Mais il y a des exceptions, et on essaie de convaincre tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’Europe qu’elle ne peut pas être une voie à sens unique, faite d’austérité, de formules néolibérales dures, qui démantèlent les acquis sociaux. Le pouvoir des marchés financiers prend la main sur la politique. On est dans une période de grande régression. L’Europe est en train de s’autodétruire.
Syriza se dit à la gauche de la gauche. Mais pas à l’extrême gauche?
Le mot d’extrême gauche est conçu pour faire peur aux citoyens, comme l’extrême droite. En Grèce, il y a une extrême droite tellement extrême que même Marine Le Pen (NDLR : la présidente du parti d’extrême droite Front national en France) ne veut pas les côtoyer, et c’est Aube dorée. Syriza est un acronyme qui veut dire « coalition de la gauche radicale ». Mais un « radical » qui ne doit pas faire peur. Car ce que fait Syriza aujourd’hui, c’est ce que faisaient autrefois les sociaux-démocrates et qu’ils ont abandonné pour adopter les thèses néolibérales. Bien sûr, plusieurs parmi nous sont marxistes, mais le programme est keynésien, modéré, de redistribution sociale.
Selon l’eurodéputé allemand Manfred Weber, le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, « n’a pas de bons amis : les extrémistes de l’Europe, Le Pen, l’UKIP, Fidel Castro sont avec lui ».
Les extrémistes comme Marine Le Pen sont des profiteurs. Dès qu’ils voient une faille en Europe, ils l’utilisent et la retournent dans leur sens. Mais nous évitons soigneusement d’entrer en contact avec cette extrême droite vociférante, qui est d’ailleurs brandie comme épouvantail par les grands partis, sur le registre « nous sommes les garants de l’intégration européenne, tandis que les autres, comme Syriza, voudraient démolir l’Europe ». Parce que l’exemple grec les gêne. Parce qu’ils craignent une montée au pouvoir de la gauche radicale en Europe, en Espagne, en Irlande, etc.
Le fait que l’Allemagne soit un important créancier de la Grèce suffit-il à expliquer sa sévérité contre ce pays?
D’abord, je rappelle qu’il y a des Allemands qui sont amis avec nous. Le problème entre la Grèce et l’Allemagne n’est pas une question de nationalité mais de politique économique. Car ce n’est pas vraiment la dette leur souci, mais le paquet d’austérité qui va avec. Ils disent à la Grèce : « Vous êtes débiteur insolvable, donc, pour rembourser la dette, on va vous imposer un programme de réformes structurelles strictes », sous l’égide de ce qu’on appelait avant la troïka. La dette? On sait qu’elle ne sera jamais remboursée. Car elle n’est pas remboursable (NDLR : elle est de 312 milliards d’euros, soit 175 % du PIB de la Grèce). Et ils devraient le savoir! L’Allemagne elle-même a bénéficié d’une annulation de 60 % de sa dette en 1953.
L’Allemagne est en effet l’un des pays, avec la France, l’Espagne ou la Grèce, qui a connu le plus de défauts de paiement dans l’histoire…
Oui. Et c’est tragique, car ce sont des évènements qui ont marqué l’histoire. Le traité de Versailles a été une catastrophe, on a voulu punir, humilier l’Allemagne pour la Première Guerre mondiale, et on a vu le résultat : la montée du nazisme et la Seconde Guerre mondiale. Et après la Seconde Guerre mondiale, les Alliés, pour aider l’Allemagne à se reconstruire, ont effacé 60 % de sa dette en liant le remboursement à une clause de croissance. C’est ainsi que le miracle allemand a pu se réaliser. Les Allemands devraient se rappeler de cela et être un peu plus modestes.
La Grèce a malgré tout de lourdes responsabilités. A-t-elle suffisamment fait son autocritique?
Le choix de Syriza montre déjà la volonté d’en finir avec la corruption, avec les liens entre les oligarques, les médias, les banques, les politiques… Oui, en effet, il faut réformer la fonction publique pour en finir avec le clientélisme. Et il faut combattre la corruption, la fraude et l’évasion fiscales. Et là, justement, sur ce dernier point, je pense au Luxembourg…
Et à son « paradis fiscal »?
Oui, parce que le Luxembourg le défend tout en disant soutenir la Grèce. C’est hypocrite et égoïste. Car les recettes de cette politique fiscale privent des États comme la Grèce de ressources importantes, puisque l’endroit où les entreprises développent véritablement leur activité n’est pas celui où la fiscalité est appliquée.
Panagiotis Nikoloudis, ministre grec anticorruption, estime que L’Europe a nourri la corruption en Grèce : « Un Grec acceptait bien sûr les pots-de-vin, mais il y avait toujours un Allemand, un Français ou un autre pour en proposer. »
C’est tout à fait exact. Il y a trop d’exemples : le cas de la corruption du groupe allemand Siemens en Grèce, qu’ils ont essayé d’enterrer. Ou encore l’affaire de corruption dans l’armement, où le ministre de la Défense du Pasok (Parti socialiste grec) a été emprisonné pour cause de pots-de-vin liés à la France…
Selon Transparency International, la Grèce reste dans le top 4 des pays les plus corrompus d’Europe.
Oui, c’est vrai. C’est une des priorités de ce gouvernement. Cette corruption est à tous les niveaux, elle est même banale. Par exemple, dans l’administration, où le montant des pots-de-vin varie en fonction de la hiérarchie. Mais la fraude fiscale touche plus les professions libérales. Ce ne sont pas les salariés et les pensionnés qui peuvent la pratiquer, car leur revenu est transparent. Pourtant, ce sont eux qui sont frappés le plus durement par l’austérité.
Que pensez-vous de ces images de gens faisant la queue devant les banques en Grèce?
( Il rit ). Ces files devant les banques… C’est l’aspect le plus médiatisé. Les médias de masse ont amplifié cela, pas pour montrer les origines du problème, mais pour dire : « Regardez entre les mains de qui la grenade grecque a explosé : Syriza! C’est la faute de ce gouvernement. » Le battage médiatique dans la semaine entre la proclamation du référendum et le scrutin a aussi servi à terroriser les gens et desservir le camp du non. Par contre, quand l’ancien ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a accusé les créanciers du pays de « terrorisme », on lui a dit stop, c’est un gros mot. La question est : comment sortir de là, trouver une sortie honorable, malgré l’avalanche de compromis acceptés par la Grèce?
Faut-il annuler la dette grecque? Ou mettre sur pied un énième plan d’aide?
Il faut restructurer la dette, et en supprimer une partie. Car il faut reconnaître que cette dette n’est pas soutenable. Jusqu’ici, on emprunte de l’argent qui, aussitôt arrivé, repart. Une partie infime est entrée dans l’économie du pays, la partie majeure est allée aux banques étrangères, pour rembourser la dette, ou aux banques grecques, pour les recapitaliser. Le peuple n’en a pas profité directement.
Le référendum grec a été « un cirque hors de propos », selon Juncker.
Jean-Claude Juncker dit avoir été étonné de la rupture des négociations. Mais il fallait voir les propositions qui étaient sur la table! Je prends l’exemple de la TVA. Le texte disait que le taux de la TVA de 23 % devra inclure la restauration, et un taux de 13 % pour les hôtels. Alors que la Grèce a besoin du tourisme! Vous imaginez, au Luxembourg, ce que ça signifierait, alors que ces taux y sont actuellement de 3 %? Aucun autre pays européens n’a dû accepter des efforts aussi drastiques que la Grèce. Je pense aux coupes dans les pensions au Portugal : elles ont été réparties de façon plus progressive, ce qui a relativement protégé les plus faibles. Alors qu’en Grèce, cela a été impitoyable.
Pourtant, le Premier ministre portugais a refusé récemment que l’on accorde un « traitement de faveur » à la Grèce, après la cure d’austérité imposée au Portugal.
C’est un réflexe du style « moi je subis, donc toi, tu dois subir autant ». C’est une attitude primaire et irrationnelle. Voir comment inverser la tendance, voilà ce qui devrait être l’objectif commun en Europe. Syriza croit en l’Europe. Je crois aux principes européens, ces principes fondamentaux d’intégration et de démocratie, de solidarité. On veut stabiliser cette Europe. Mais pour qu’elle ait le consensus de ses citoyens, il faut qu’elle change de cap. Regardez la faible participation aux élections européennes. On ne voit plus quel est l’enjeu, on ne comprend plus ce qui se passe… Changeons de cap. Il faut enlever le Grexit de notre vocabulaire. Il faut laisser le gouvernement grec gouverner. Il faut en finir avec cette spirale infernale, avec de la stabilité, de la confiance, pour que l’économie redémarre et que l’espoir européen ne disparaisse pas.
Propos recueillis par Romain Van Dyck
Vassilis Sklias en bref
État civil. Vassilis Sklias est né en Grèce, à Athènes, en 1952. Il a une formation juridique. Il est marié et père de trois enfants.
Pays d’adoption. Vassilis Sklias s’est installé à Luxembourg en 1982. «C’était une bonne époque pour les Grecs, en raison de l’adhésion de la Grèce à la communauté européenne. Et mon choix s’est porté sur le Luxembourg», explique-t-il. Il commencera sa carrière comme interprète free-lance dans les institutions européennes, pour devenir par la suite agent temporaire, puis fonctionnaire, jusqu’à la fin de sa carrière.
Engagé. Il est toujours engagé dans le syndicat European Public Service Union. Il est aussi membre du parti luxembourgeois déi Lénk. «Le néolibéralisme n’aime pas les syndicats. Malheureusement, l’individualisme a gagné du terrain, au détriment de la solidarité», déclare-t-il. Il est coordinateur de la section luxembourgeoise du parti Syriza, fondé en Grèce en 2004 et qui est, depuis les élections de 2015, le premier parti au Parlement grec.
La dette grecque (1). Prise à la gorge par les dettes, la Grèce a bénéficié d’un premier plan de sauvetage en 2010 sous la forme d’un emprunt de 110 milliards. Mais cela n’a pas été suffisant. Un second plan a été scellé en 2011, avec un nouveau prêt de 130 milliards, l’effacement d’une partie de la dette et, en contrepartie, des mesures d’austérité drastiques. Elles ont fait baisser le déficit public, mais pénalisé la croissance, fait plonger l’économie grecque dans la récession et la dette, elle, continue d’augmenter.
La dette grecque (2). Après avoir refusé par référendum les nouvelles mesures demandées par ses créanciers, la Grèce est au bord de l’effondrement économique. Les pays membres de l’UE se sont donné jusqu’à dimanche (l’interview avec Vassilis Sklias a été réalisée vendredi dernier) pour s’accorder sur un plan d’aide susceptible de maintenir la Grèce au sein des États qui bénéficient de la monnaie unique.