Vanessa Tani, 28 ans, a été désignée lauréate luxembourgeoise du prix du citoyen européen 2021 décerné par le Parlement européen. L’ASBL fondée par cette jeune femme de Belvaux vient au secours des victimes de harcèlement.
Comment vous est venue l’idée de créer l’association RespectEachOther ?
Vanessa Tani : L’idée vient de moi-même. Ensuite a été créé un groupe, puis une ASBL en vue d’aider les gens victimes de harcèlement. Nous étions six personnes au départ et sommes aujourd’hui à 17. Nous avons un bureau à Audun-le-Tiche où, avec mon équipe, nous recevons des victimes, mais notre siège social est à Belvaux. L’ASBL a été créée en mars 2020, mais elle était juridiquement reconnue dès le mois de janvier.
Quelles raisons vous ont poussée à créer cette association ?
J’ai moi-même été victime de harcèlement pendant un an, alors que je travaillais dans une administration de l’État, c’est-à-dire dans le secteur public. J’ai ensuite démissionné, car il n’y avait aucune médiation possible et parce que je voyais que la situation se dégradait de plus en plus. Personne ne réagissait face au harcèlement. Celui-ci a débuté avec une seule personne au départ, de sexe féminin, qui a commencé à saboter mon travail. Et comme les autres employés du service travaillaient ensemble depuis longtemps, ils se sont ralliés à cette personne, de sorte que je me suis retrouvée seule contre tous. Ensuite, certains collègues ont voulu m’aider, avec pour résultat qu’ils ont eux aussi commencé à être harcelés. Ils s’agissaient toujours de petits coups du genre « vous n’avez pas fait votre travail », suivis de dénonciations systématiques à la hiérarchie.
Quelles autres situations de harcèlement avez-vous subies ?
Je me suis souvent retrouvée dans mon bureau durant huit heures à ne pas savoir quoi faire, car on ne me donnait pas de travail. J’étais jeune et motivée, mais je souhaitais changer de domaine. J’étais en apprentissage et mon tuteur n’a rien voulu savoir. J’ai alors demandé à mon chef de service de pouvoir changer de département, mais je n’ai pas eu une oreille attentive. Personne ne m’a aidée… J’estime que personne n’a le droit de harceler quelqu’un de cette manière. J’ai été ignorée et d’autres apprentis subissaient le même genre de traitement. S’il y a eu du harcèlement sexuel? Je ne ferai pas de commentaires à ce sujet…
Quelle a été la suite, une fois que vous avez démissionné ?
Je suis partie de manière assez radicale. J’ai démissionné, mais en motivant indirectement cet acte par le harcèlement subi. La hiérarchie m’a prévenue qu’il fallait que je me taise et que je ne devais pas évoquer certaines choses qui ont motivé ma décision, sous peine d’avoir des problèmes à l’avenir.
J’ai été quatre mois dans un service de psychiatrie
Vous avez ensuite été admise dans un service de psychiatrie…
Effectivement, j’ai ensuite été admise dans un centre psychiatrique, en ambulatoire, pendant quatre mois. Et là, j’ai fait la connaissance de beaucoup de jeunes qui avaient connu le même problème. Nous avons constaté que nous n’avions pas grand-chose à redire pour nous aider. En quittant la psychiatrie, j’ai changé d’état d’esprit et me suis dit qu’il fallait réagir et agir face au mobbing et que je pouvais aider d’autres personnes dans la même situation.
Le harcèlement est-il allé jusqu’à la profération de menaces ?
Oui, dans ma vie privée. Un soir, alors que j’étais à un bal où ma mère était chargée de la gestion des vestiaires de l’événement, il y avait aussi des collègues de travail présents. Dont un monsieur qui m’a prise de force par la main parce que je ne voulais pas parler avec lui… Heureusement, ma mère l’a vu et lui a tout de suite dit d’arrêter de me harceler et de s’éloigner de moi.
Êtes-vous active professionnellement aujourd’hui, parallèlement à la gestion de votre ASBL ?
Oui, je suis chorégraphe professionnelle et investie dans une entreprise de danse. Mais je vais arrêter en septembre et prendre mon propre chemin en tant qu’indépendante. J’entrevois d’ouvrir ma propre affaire en janvier prochain, mais le lieu reste à définir.
Quand avez-vous appris que vous aviez remporté ce prestigieux prix du citoyen européen décerné par le Parlement européen et dans quelles circonstances ? Quelle a été votre réaction ?
Le jeudi 8 juin, par e-mail. J’ai été énormément fière et contente ! Je ne pouvais pas en croire mes yeux, car j’ai tellement donné pour cette cause. J’estime d’ailleurs que toutes les personnes victimes de harcèlement le méritent. Cela a décuplé mes forces et celles de mon équipe dans le cadre de notre engagement et de notre combat contre le mobbing.
Qu’est-ce qui a conduit à votre candidature à ce prix ?
J’ai fait la connaissance de M. Christophe Hansen (NDLR : eurodéputé luxembourgeois) en octobre 2020 à l’occasion d’un congrès de la Société avicole de Belvaux. Je lui ai fait part de mon projet et l’ai informé des objectifs de mon ASBL. Par la suite, il m’a dit qu’il souhaitait me nommer en tant que candidate pour ce prix pour le Luxembourg (NDLR : le prix est décerné dans chacun des 27 États membres de l’UE). J’ai ensuite reçu un courriel du Parlement européen me demandant de lui faire parvenir mon dossier. Monsieur Hansen m’a beaucoup soutenue.
Je suis immensément fière et honorée de ce prix
Est-ce que beaucoup de personnes viennent demander de l’aide auprès de votre ASBL ?
Malheureusement, oui ! Et notamment des jeunes. Le harcèlement est ancré dans la société et se manifeste partout, aussi bien sur le lieu de travail qu’à l’école. Et on ferme souvent les yeux sur cette question, alors qu’on pourrait réagir par rapport à cela ! Durant la pandémie, beaucoup de jeunes sont venus nous voir, car ils avaient des pensées suicidaires. Par ailleurs, la fonction publique est beaucoup plus touchée par le harcèlement que le secteur privé, car le patron d’une entreprise privée est davantage enclin à réagir que dans les services publics, en général. Depuis mars 2020, 43 personnes nous ont sollicités, des femmes pour la plupart.
Finalement, qu’entend-on par le terme anglophone de mobbing ?
Le cyberharcèlement, le harcèlement sexuel et moral, que ce soit au travail ou dans la vie privée, affective, familiale et scolaire. On a eu un peu de tout.
Le prix du citoyen européen vous sera remis à l’automne lors d’une cérémonie officielle au Luxembourg. Puis vous serez invitée le 9 novembre à une fête au Parlement européen, à Bruxelles, avec tous les lauréats des autres pays membres. Quel est votre sentiment final ?
Je suis immensément fière et honorée de recevoir ce prix et cette médaille ! Car cela prouve le travail accompli. Enfin je deviens visible et peux dire ce qu’on peut faire ensemble contre le mobbing, parce qu’il existera toujours. Je suis très reconnaissante envers le Parlement européen ! En fait, je ne trouve pas les mots pour exprimer la chance que j’ai, à part que c’est un véritable honneur. Cela m’incite à dire qu’il ne faut jamais abandonner et toujours croire en sa bonne étoile. Il y a toujours une solution à chaque problème. M. Hansen m’a félicitée et je lui en suis reconnaissante comme envers toutes les personnes qui m’ont accompagnée dans mon combat. Je pense à M. l’échevin de Dudelange Loris Spina notamment. Il m’a beaucoup aidée, tout comme M. Franky Gilbertz, de la Société avicole de Belvaux. Je les remercie de tout mon cœur. Respect et merci à tous ceux qui se sont engagés pour cette cause ! Il suffit d’y croire pour réussir et je pense qu’il faut continuer à se battre ensemble contre le harcèlement !
Entretien avec Claude Damiani
Le prix du citoyen européen
Le Parlement européen décerne le prix du citoyen européen chaque année depuis 2008. Il récompense un engagement particulier et européen dans différents domaines. Les citoyens, groupes de citoyens, associations ou organisations peuvent présenter leur candidature à ce prix pour des projets qu’ils ont menés. En outre, ils peuvent nommer un autre citoyen, groupe, association ou organisation. Les membres du Parlement européen ont le droit de présenter des candidatures, à raison d’une proposition de candidature au maximum par an. Les lauréats ont été sélectionnés par la chancellerie du prix à partir d’une liste de propositions soumises par les jurys nationaux. Au Luxembourg, ce jury était composé des eurodéputés Marc Angel (LSAP/S&D), Tilly Metz (déi gréng/Die Grünen/EFA) et Isabel Wiseler-Lima (CSV/PPE), de la présidente du Mouvement européen, Martine Reicherts, et du président du Jugendrot, Mathis Godefroid.
Bravo !
l’article n’est pas complet, quelle suite donnez-vous à ces questions posées par les victimes? sont-ils pris en charge?
Merci d’avance pour votre réponse
Cordialement