Valérie Dupong, bâtonnière de l’ordre des avocats, insiste sur le rôle social que doit jouer le barreau comme en témoignent les consultations gratuites pour les citoyens. Elle veille aussi sur le secret professionnel.
La profession montre son côté social et solidaire, cher à Valérie Dupong. La bâtonnière, très loquace sur le sujet, l’est tout autant lorsqu’il s’agit de défendre les avocats qui sont de plus bousculés. L’administration des Contributions veut percer leur secret professionnel et le parquet limiter leurs moyens d’action. De quoi les inquiéter fortement.
Les avocats viennent en aide aux victimes des inondations en mettant en place des consultations spéciales gratuites. C’est nouveau et plutôt sympa…
Valérie Dupong : Oui, c’est plutôt sympa. Il faut reconnaître que ces inondations nous ont tous bien secoués et les barreaux de Luxembourg et de Diekirch ainsi que la Conférence du jeune barreau ont voulu fournir une aide aux victimes. Nous avons contacté l’ensemble des avocats et nous avons pu constituer une liste d’une soixantaine de noms disponibles sur le site barreau.lu et les avocats continuent de s’inscrire. La liste est mise à jour régulièrement.
Comment aidez-vous les victimes concrètement?
Nous les aidons à remplir les dossiers d’assurance par exemple, mais pas seulement. Je peux citer l’exemple d’un petit entrepreneur qui a subi des dégâts et qui, à deux ans de la retraite, n’avait plus envie de continuer. Donc, il avait besoin de conseils pour savoir comment organiser sa sortie.
Cela fait-il partie du courant social que vous avez voulu insuffler au barreau?
Oui, tout à fait. C’est très important, mais il faut être clair avec les gens, car l’accompagnement gratuit est limité à une mission de premiers conseils. Si des procédures devant les tribunaux doivent être enclenchées par la suite, ce n’est plus la même démarche. Mais nous sommes là pour les conseils et je pense honnêtement que c’est notre rôle. Beaucoup n’osent pas contacter un avocat parce qu’ils pensent que c’est beaucoup trop cher, ce qui n’est pas toujours vrai. Beaucoup ne savent pas que l’assistance judiciaire existe et que de nombreuses personnes à faibles revenus ont donc accès à la prise en charge des frais d’avocat par l’État. En outre, je pense sincèrement qu’il vaut mieux payer un bon conseil que d’avoir de mauvaises surprises par la suite. Je pense aux gens qui remplissent mal leurs formulaires ou déclarations, qui ne comprennent pas les contrats qu’ils signent, etc.
Le barreau a-t-il vraiment un rôle social à jouer?
Oui, complètement. Nous avons un projet en cours avec les ministères de la Justice et des Finances et le parquet général pour voir si les conseils juridiques que nous donnons gratuitement tous les samedis matin à la Cité judiciaire pourraient être étendus. Assurer une permanence pendant la période estivale par exemple et augmenter le rythme à deux jours par semaine. Pour l’instant, nous travaillons sur ce projet, car c’est important pour les citoyens de pouvoir disposer d’un tel service de conseils gratuits. Ce service est assuré depuis les années 70 et n’a jamais été revalorisé depuis quant aux indemnités versées aux avocats. Nous aimerions augmenter le nombre des équipes et revoir le forfait. Pour avoir personnellement assuré des permanences, je peux vous dire que tous ces gens qui ont besoin de conseils viennent avec des problèmes sérieux qui couvrent toutes les matières du droit. Ce serait dommage que l’État ne nous aide pas à mettre en place ce beau projet pour les citoyens. Le barreau est disposé à gérer les listes et l’organisation. Un autre projet qui me tient à cœur concerne le service social à mettre en place au sein du barreau pour les avocats qui rencontrent des problèmes non seulement financiers, mais aussi psychiques. La demande est là.
La dernière directive antiblanchiment (AML) touche désormais toutes les infractions si bien que l’avocat est toujours plus exposé. Pour une profession qui s’autorégule, comment organisez-vous les contrôles?
Nous avons un contrôle par questionnaire de tous les avocats une fois par an. En plus, nous contrôlons deux cabinets en moyenne sur place toutes les semaines. Les grands cabinets sont systématiquement contrôlés tous les deux ans, d’autres sont choisis selon un système déterminé par notre Commission de contrôle du barreau de Luxembourg, la CCBL. Elle vérifie sur place les procédures antiblanchiment, interroge les avocats sur la compréhension de cette procédure, sur la formation obligatoire, la formation en interne, etc. Des dossiers qui tombent dans le champ AML sont choisis au hasard dans les cabinets et la commission vérifie si les avocats ont bien compris la procédure et s’ils l’ont bien appliquée. C’est un contrôle très pointu. Un rapport est ensuite établi et si quelque chose ne va pas, il est transmis au Conseil de l’ordre qui peut ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de l’avocat.
Beaucoup de procédures sont-elles déclenchées?
Non pas trop. Parfois nous avons aussi des informations par des lanceurs d’alerte. Depuis le début de mon bâtonnat, je n’ai pas vraiment connaissance d’un cas de blanchiment avéré où l’avocat s’est rendu complice de l’infraction. Parfois des rapports ne sont pas très positifs, mais il s’agit surtout de situations où la procédure n’a pas été complètement respectée. Quand il y a des sanctions disciplinaires, c’est très lourd, car depuis la nouvelle loi de 2020 le nom de l’avocat est publié. C’est le système américain du “shame and blame”.
Dans la pratique que représentent toutes ces procédures pour un avocat?
Si vous aidez un client pour une acquisition immobilière, par exemple, il faut tout vérifier, l’origine des fonds, les bénéficiaires économiques, bref tous les renseignements demandés par la procédure. Nous avons mis à disposition des outils informatiques, car les logiciels type “word check“ coûtent cher pour faire ces vérifications. Au début des années 2000 quand on a commencé par les lois antiblanchiment, on avait encore des avocats qui disaient avoir une relation de confiance avec leurs clients qu’ils connaissaient bien. Cela ne suffit plus, il faut tout contrôler. Nous avons au moins quatre formations par an pour les avocats et l’année dernière plus de 2 000 d’entre eux y ont accédé. On voit au fur et à mesure des contrôles et formations que tous ces efforts portent leurs fruits. Le Luxembourg est souvent pointé du doigt, mais j’aimerais bien voir un barreau en Europe qui déploie autant de moyens que nous en termes de contrôles, de formations ou encore de déclarations de soupçons, près d’une centaine déjà rien que pour cette année.
En dépit des responsabilités toujours plus pesantes qui reposent sur les épaules de l’avocat, vous tenez toujours à votre autorégulation…
Oui, car nous sommes une profession très ancienne qui a toujours bien fonctionné en étant autorégulée. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas sévères, au contraire. Nous avons tout intérêt à être dans les clous, car le moindre scandale entache toute la profession. On entend souvent que le secret professionnel est utilisé pour cacher des choses pas très honnêtes, mais c’est avoir une profonde méconnaissance et incompréhension de ce principe essentiel à l’État de Droit et à notre profession. Cette confidentialité doit exister entre l’avocat et son client comme c’est le cas entre le médecin et son patient.
Aujourd’hui, une affaire comme les Panama Papers n’existerait plus, car les lois ont changé
Il y a quand des tentatives, de la part de l’administration des Contributions, de percer ce secret comme ce fut le cas avec les Panama Papers…
Oui, le fisc aimerait bien poser certaines questions aux avocats, partir à la pêche aux informations. Je peux très bien le comprendre, mais finalement les règles régissant le secret professionnel sont là pour protéger le client. Nous avons l’avantage d’avoir aujourd’hui des arrêts qui donnent des clarifications sur l’interprétation des textes, mais il faudra certainement encore avoir des échanges pour comprendre les points de vue de l’administration des Contributions et le nôtre. Il faut savoir qu’aujourd’hui une affaire comme les Panama Papers n’existerait plus, car les lois ont changé et toutes ces constructions juridiques telles que les sociétés panaméennes feraient l’objet d’une déclaration de soupçons AML, du moins je l’imagine bien.
Comment sont les rapports, aujourd’hui, entre l’administration des Contributions et le barreau, surtout après ce récent arrêt qui limite le secret professionnel et vous oblige à collaborer avec le fisc même si c’est de manière très restreinte?
Il faudra chercher le dialogue avec l’administration des Contributions pour pouvoir tirer les conclusions des récentes décisions. Il faut que l’on se mette d’accord et il faut que ce soit clair pour les avocats, surtout.
Il n’y a pas que le fisc qui vous bouscule, mais également le parquet. L’affaire de Me Lutgen, l’avocat prévenu de tentative d’intimidation et d’outrage à magistrat, doit-elle être inquiétante?
Très honnêtement, oui. J’ai du mal à comprendre la motivation qui a poussé l’ancien procureur d’État à lancer cette affaire. Les dégâts sont considérables, car il y a eu effectivement beaucoup d’inquiétude chez les avocats, surtout les plus jeunes. Écrire à une autorité pour dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas, c’est monnaie courante pour un avocat. Si à chaque fois que l’on prend sa plume, même un peu en colère, pour dénoncer des faits, on risque de se retrouver en procédure pénale, c’est aller très loin. Aux yeux de beaucoup d’avocats, cela s’inscrit dans une atmosphère générale en Europe qui a tendance à vouloir limiter les actions des avocats. En Belgique ou en France, il y a eu des dossiers où l’avocat était inculpé avec son client. Ce n’est pas innocent puisque l’avocat, pour pouvoir se défendre personnellement, est obligé de lever le secret professionnel. En même temps, il donne accès à toutes les informations. En Flandre, on a vu des avocats qui rendaient visite en prison à leur client être enregistrés. Je ne parle pas de ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne. Même si on est loin de vivre ces situations à Luxembourg, ce dossier qui concerne Me Lutgen est alarmant. En général, nous avons de très bonnes relations avec la magistrature qui subit aussi les dégâts de cette affaire.
Geneviève Montaigu