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Une loi pour protéger les enfants intersexes


«Une loi est l’unique chance pour que les chirurgies des hypospades ou les réductions du clitoris s’arrêtent», insiste le Dr Erik Schneider, de l’ASBL Intersex & Transgender Luxembourg. (Photo AFP)

Une loi interdisant des opérations d’assignation de sexe aux nouveau-nés devrait voir le jour. Mais pour l’ASBL ITGL, elle devrait prendre en compte d’autres «mutilations».

Au moins 21 pays de l’Union européenne pratiquent encore des opérations d’assignation de sexe irréversibles à des enfants intersexes nés pour la plupart en bonne santé, dont l’Allemagne et le Danemark. Des opérations de «normalisation» auxquelles les enfants n’ont pas consenti et qui ne sont pas sans conséquence sur leur santé, sur le plan tant physique que mentale : dysfonctionnement de l’appareil génital, perte de la sensibilité sexuelle, douleurs récurrentes, sentiment de dépossession du corps, assignation ne correspondant pas à l’identité de genre, comportements autodestructeurs, difficultés relationnelles et sexuelles, etc.

Or l’intersexualité, c’est-à-dire le fait de posséder des variations au niveau des caractéristiques considérées par la médecine comme appartenant au sexe féminin ou au sexe masculin, toucherait tout de même environ 1,7 % de la population. «On peut estimer que parmi les 6 050 enfants nés au Luxembourg en 2016, jusqu’à 103 enfants présentent une variation des caractéristiques sexuées», peut-on ainsi lire dans le Plan d’action national pour la promotion des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes coordonné par le ministère de la Famille et publié en juillet 2018.

Une problématique qui n’a pas laissé indifférente la députée Carole Hartmann (DP), à l’origine d’une question parlementaire (QP n° 4023) destinée à mieux appréhender la situation au Luxembourg. «Ce sont des problématiques dont on doit pouvoir parler aujourd’hui. On ne peut plus fermer les yeux sur ces situations, comme cela a pu être le cas par le passé. Ces réalités existent et ne doivent pas être des sujets tabous», a-t-elle expliqué.

Dans sa réponse publiée vendredi dernier, la ministre de la Santé, Paulette Lenert, indique ne pas détenir «de chiffres précis concernant le nombre d’enfants intersexes nés au Luxembourg». Mais au cours de ces six dernières années, trois enfants intersexes auraient subi des opérations d’assignation de sexe, pour des raisons strictement médicales, comme le précise la ministre : «Ces trois enfants ont tous été opérés en raison d’un syndrome adréno-génital avec assignation de sexe (…), une maladie congénitale des glandes surrénales qui, si elle n’est pas traitée, dans certains cas, peut être fatale pour l’enfant concerné.»

«Jamais une urgence vitale»

Des opérations injustifiées pour le Dr Erik Schneider, psychiatre et psychothérapeute, formateur au sein de l’ASBL Intersex & Transgender Luxembourg (ITGL). «L’urgence vitale ne justifie jamais une chirurgie en cas d’hyperplasie congénitale des surrénales. S’il y a effectivement un risque vital lorsqu’il y a une forme avec perte de sel, c’est un traitement médicamenteux qui permet de sauver la vie de l’enfant, jamais une chirurgie.»

Ce que confirme par mail le médecin suisse Blaise Meyrat. Il a lui-même procédé à ce type d’opérations jusque dans les années 90 et milite désormais pour qu’elles ne soient plus pratiquées : « Après lecture de la réponse de la ministre de la Santé, je remarque, comme d’habitude, l’amalgame fait entre traitement médical et traitement chirurgical, le premier étant indispensable, le second pouvant attendre le consentement ou la décision de l’intéressé. (…) Les chirurgiens, nous l’avons vu en France, laissent planer le doute et l’ambiguïté concernant la nécessité d’opérer pour éviter les problèmes endocriniens.»

Par ailleurs, le problème va bien au-delà de ces seules opérations d’assignation de sexe. Sans compter qu’«on ne sait pas non plus combien d’enfants ont été envoyés à l’étranger !», souligne le Dr Schneider. «Il ne s’agit pas uniquement d’assigner un sexe quand le sexe est considéré comme ambigu. Même si le sexe n’est pas considéré comme ambigu, mais qu’il y a des variations des caractéristiques sexuées, il faut aussi attendre le consentement éclairé de la personne», estime-t-il. Car les chirurgies de l’hypospade (lorsque l’ouverture de l’urètre ne se trouve pas à l’extrémité du pénis, mais ailleurs le long du canal urinaire au niveau de la verge) ou de réduction du clitoris sont courantes. Et là non plus, les opérations ne sont pas vitales, mais peuvent entraîner des complications (comme des fistules) et des traumatismes.

Dans sa réponse, la ministre annonce qu’un avant-projet de loi visant à interdire l’assignation d’un sexe chez les nouveau-nés est en cours d’élaboration, qui pourrait être soumis au Conseil de gouvernement d’ici la fin de l’année. Mais la loi doit être plus large, selon le Dr Schneider : «Les lignes directrices médicales ne suffisent pas, nous savons que les opérations continuent. Toutes les personnes avec des variations des caractéristiques sexuées doivent être protégées par la loi, y compris celles avec une hyperplasie congénitale des surrénales ou avec un hypospade. Ce sont les deux cas les plus fréquents de mutilations génitales intersexes. Une loi est l’unique chance pour que ces enfants soient protégés.»

Tatiana Salvan