Pas de véritable annonce, ni de sujet qui fâche. La visite de François Hollande, vingt-trois ans après celle de François Mitterrand, ne restera pas dans les annales.
Une journée courtoise, d’humeur volontiers badine, ponctuée de serrages de mains et de remerciements mutuels entre deux voisins qui « partagent les mêmes valeurs ». Hier, la visite de François Hollande au Grand-Duché s’est déroulée « normalement ». Après l’accueil et les honneurs au Palais grand-ducal, et un recueillement devant le monument de la Solidarité, le gouvernement luxembourgeois et la délégation française (avec notamment le ministre des Finances, Michel Sapin, et le ministre des Affaires européennes, Harlem Désir) ont partagé un déjeuner de travail au château de Senningen.
La fiscalité, un sujet qui… rassemble
Au cours d’une conférence de presse commune, Xavier Bettel a évidemment abordé le sujet de la centrale de Cattenom : « On respecte les choix énergétiques d’un pays, mais le Luxembourg a été, reste et restera préoccupé tant qu’elle sera ouverte. » François Hollande ne s’est – évidemment – pas engagé, rappelant simplement la volonté française de réduire la part de l’électricité d’origine nucléaire à 50 % d’ici 2025, dans le cadre de sa loi de transition énergétique, actuellement discutée au Parlement : « Je ne vais pas rentrer dans le détail des centrales, parce que c’est la souveraineté de la France. Nous aurons à faire des choix, mais ils n’ont pas été précisés pour l’instant. »
Les deux dirigeants ont surtout convenu de relancer la coopération transfrontalière. Une conférence intergouvernementale aura lieu au mois de mai entre Harlem Désir et Corinne Cahen, ministre à la Grande Région. « Ils fixeront un agenda pour qu’on avance dans ce dossier, afin que la Grande Région ne soit pas que du papier mais aussi du concret » , a indiqué Xavier Bettel.
Y seront évoqués les serpents de mer de Belval côté français, mais aussi de l’A31 bis, qu’il faut « relancer » selon François Hollande, « car c’est la condition indispensable pour avoir un trafic moins engorgé entre Thionville et la frontière » . « Ce sont des dossiers régulièrement évoqués. Maintenant, nous devons passer à l’acte » , s’est engagé le président français, évoquant les 80 000 travailleurs frontaliers.
Pour le reste, les deux dirigeants, en bons amis, se sont attachés à faire valoir leur longueur d’onde commune. Telle la volonté de faire de la conférence de Paris, en décembre, « un rendez-vous à ne pas manquer » dixit Xavier Bettel. Et le Premier ministre de vanter son visiteur comme « un grand président » pour avoir pris l’initiative sur le dossier ukrainien.
Plan Juncker : la France promet 8 milliards
C’est d’ailleurs, avec la lutte contre le terrorisme, l’un des dossiers qui devront occuper la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne, au second semestre, aux yeux de François Hollande. « Nous devons réussir la paix » , a-t-il lancé en référence aux accords de Minsk 2. Et de renvoyer la flatterie à son hôte : « Au sein du Conseil européen, vous avez à cœur de faire valoir les principes et idéaux européens qui ont toujours animé les dirigeants du Luxembourg. » Une belle occasion pour le Français de saluer le plan d’investissement lancé par Jean-Claude Juncker, plan qui « doit être traduit dans les meilleurs délais ».
Plus tard à Belval, devant le président de la Banque européenne d’investissement (BEI), François Hollande annoncera que la France engage pour sa part 8 milliards d’euros dans ce plan qui doit atteindre 315 milliards.
Volubiles pour vanter les liens historiques, culturels et linguistiques entre les deux pays, Xavier Bettel et François Hollande ont attendu la question d’une journaliste française pour aborder le délicat sujet de l’évasion fiscale. Mais l’affaire LuxLeaks n’a pas fâché les deux amis. Pressé de répondre, Xavier Bettel s’est évertué à redorer l’image du Grand-Duché. « La plus grosse boîte au Luxembourg, c’est ArcelorMittal, et on n’en parle pas ! » Et d’assurer que le Luxembourg « ne bloquera rien et ira dans le sens » d’une nouvelle harmonisation fiscale européenne et mondiale.
Pas contrariant, François Hollande a salué « les efforts » et les « progrès considérables » accomplis ces derniers mois par le Grand-Duché, qui s’est engagé pour l’échange automatique des tax rulings et des informations fiscales à partir de 2017. « Tout sera connu, cela sera la règle en Europe. Le Luxembourg a même été plus vite que certains pays. »
Pas question d’envoyer une quelconque pique, y compris sur le sort d’Antoine Deltour, ce lanceur d’alerte français à l’origine des révélations LuxLeaks : François Hollande fait simplement « confiance à la justice luxembourgeoise » qui poursuit actuellement l’ex-employé du cabinet PwC.
Xavier Bettel se souvient que François Hollande l’avait mis à l’aise lors de son premier Conseil européen, « alors que je devais avoir une tension de 24 sur 12 ». Alors le Premier ministre est allé, vendredi, jusqu’à saluer les réformes « utiles » de la France : « On a trop souvent l’impression, vu de l’étranger, que la France ne bouge pas, c’est un cliché. » Et Hollande de le féliciter à son tour pour son économie « dynamique » , dont les investissements en Europe profitent d’abord à la France.
N’en jetez plus. Après un passage chez SES et à Belval, François Hollande avait bien mérité son dîner au Palais grand-ducal : « Quand on a des amis, il faut savoir aussi leur rendre visite », a-t-il lancé.
De notre journaliste Sylvain Amiotte
Retrouvez l’intégralité de notre dossier de deux pages « Visite officielle » dans l’édition papier du Quotidien de ce week-end.