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Traite des êtres humains au Luxembourg : des efforts, mais peut mieux faire


Anamarija Tunjic, juriste à la Commission consultative des droits de l'homme (CCDH) (Photo : Isabella Finzi).

Dans la foulée de notre dossier du week-end, sur la réalité de la traite des êtres humains au Grand-Duché,  Anamarija Tunjic, juriste à la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH), porte son regard sur l’évolution d’un combat loin d’être achevé.

En 2014, la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH) a été nommée rapporteur national sur la traite des êtres humains. À cet égard, elle est chargée de déterminer les tendances de ce phénomène, d’évaluer les actions engagées par le gouvernement pour lutter contre la traite, et de collecter des statistiques en collaboration avec des partenaires actifs dans ce domaine. Elle remet tous les deux ans un rapport au Parlement. Entretien avec Anamarija Tunjic, juriste à la CCDH.

Quel impact la crise sanitaire actuelle a-t-elle sur la traite des êtres humains ?

Anamarija Tunjic : Nous allons prochainement commencer à travailler sur notre troisième rapport, qui devrait sortir courant 2021 et qui portera sur les années 2019 et 2020. Nous n’avons donc pas encore les chiffres définitifs. Mais nous faisons partie d’un réseau informel des rapporteurs nationaux européens, et d’autres rapporteurs ont déjà annoncé que la crise a eu un impact important sur la traite : les victimes sont plus exposées, moins protégées et ont moins accès aux différents services d’aide. En outre, une grande partie de la traite s’est déroulée sur internet, notamment l’exploitation sexuelle des enfants.

Votre dernier rapport, datant de 2019, met en exergue le fait que l’Inspection du travail et des mines (ITM) n’avait relevé aucun cas de traite, ce qui peut sembler surprenant…

Dans le cadre de notre prochain rapport, nous allons rencontrer les représentants du ministère du Travail et de l’ITM. Nous attendons que l’ITM s’engage plus dans ce domaine et agisse de manière plus proactive. Mais nous devons toutefois reconnaître qu’ils ont fait des efforts en matière de formation et, pour la première fois, le terme de “traite des êtres humains“ a été mentionné dans leur dernier rapport annuel. J’espère que cela montre une prise de conscience et que nous aurons plus d’informations sur les cas concrets pour l’année 2020.

Parfois, les victimes ne demandent même pas d’indemnisation !

Que pensez-vous des peines attribuées aux auteurs de la traite ?

Il faudra encore analyser les jugements et les arrêts de 2020. Mais les peines sont généralement peu dissuasives. C’est un fait que l’on constate d’une manière générale au Luxembourg : dès lors que la personne n’a pas de casier judiciaire, les juges vont prendre en compte des circonstances atténuantes, voir si le coupable a une famille à charge, etc. Ce qui pour nous est problématique : la traite des êtres humains est un crime grave et doit être punie en conséquence. D’autant que cela envoie un message aux victimes assez décourageant. En outre, les indemnisations, lorsqu’elles sont accordées aux victimes (ce qui est loin d’être toujours le cas), ne sont pas très élevées. Parfois, les victimes n’en demandent même pas ! Sont-elles insuffisamment conseillées par leurs avocats et les différents services? Il y a là aussi beaucoup d’améliorations à faire.

Que préconise la CCDH pour améliorer la lutte contre la traite ?

Les recommandations habituelles! La question des statistiques reste toujours très problématique. Nous ne parvenons toujours pas à avoir des statistiques très détaillées qui permettraient de faire une analyse très fine de la situation. Il faudrait à cet égard aussi investir dans des systèmes informatiques plus performants pour la police et le parquet, impliquer le Statec dans la collecte des données et mettre en place un système de collecte efficace. En outre, bien que tous les acteurs de la lutte soient très engagés et très motivés, il faut plus de ressources humaines pour pouvoir travailler de manière plus proactive encore. Nous souhaitons aussi que la hotline mise en place pendant la crise pour les victimes de violence, que peuvent contacter les victimes de la traite, soit pérennisée et non pas limitée au temps de la crise. De nombreux efforts ont été faits depuis 2014, mais il y a toujours des améliorations à faire.

Entretien avec Tatiana Salvan

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