Alors que la Luxembourg Pride Week commence ce lundi, le président de l’ASBL Rosa Lëtzebuerg, Tom Hecker, évoque les revendications actuelles de la communauté.
La Luxembourg Pride Week se déroule cette semaine. Elle commence par une cérémonie commémorative aux victimes homosexuelles du nazisme et à toutes les victimes de crimes LGBT-phobes, ce soir place de la Résistance à Esch-sur-Alzette. D’autres événements sont prévus tous les jours de cette semaine (programme complet : www.luxembourgpride.lu). C’est l’occasion pour Tom Hecker, le président de l’association de défense des droits de la communauté LGBTIQ+ Rosa Lëtzebuerg, qui organise l’événement, de parler de la protection des intersexes, du système non binaire, de la coparentalité… et d’autres sujets.
Quel est votre sentiment sur la loi qui a été votée par la Hongrie il y a quelques jours et qui dispose que « la pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l’identité de genre, le changement de sexe et l’homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans » ?
Tom Hecker : C’était un choc. J’ai ressenti beaucoup de colère. Constater qu’en 2021, il y a encore de telles réflexions incompréhensibles. Quand la Russie a voté, il y a quelque temps, le même type de loi, je m’y attendais un peu. On connaît Viktor Orban, mais la Hongrie fait partie de l’Union européenne. L’idéologie et les valeurs de l’UE sont superbes, mais l’UE ne fonctionne pas. S’il y a un pays membre qui décide d’adopter une telle loi, je suis d’avis que l’UE devrait lui dire : « adios« , « c’est fini« .
La réaction des États membres de l’UE a-t-elle été insuffisante selon vous ?
Oui et non. On ne sait pas vraiment si la Hongrie va être sanctionnée pour avoir adopté cette loi contraire aux valeurs de l’UE. D’un autre côté, je suis content parce qu’il y a eu une réaction directe pour condamner cette loi hongroise. Plusieurs pays ont signé la fameuse lettre appelant la Commission européenne à agir contre la Hongrie. Il y a eu une révolte. Quelque chose a bougé.
Comment avez-vous accueilli la résolution de Sven Clement appelant à déclarer le Luxembourg « LGBTIQ+ Freedom Zone » votée la semaine dernière par l’ensemble des députés sauf les quatre représentants de l’ADR ?
C’est un bon signe. Mais je m’interroge toujours un peu. Est-ce que ces actions viennent maintenant parce qu’il y a l’arc-en-ciel partout en Europe et on se dit il faut qu’on fasse quelque chose? Ou est-ce que c’est parce qu’il y a vraiment la volonté de faire bouger les choses? Mais au Luxembourg, dès qu’on parle de ce sujet, on en parle vraiment. Et si on parle de quelque chose, on peut le comprendre et on peut changer quelque chose. Donc, rien que d’en parler est une bonne chose. Alors finalement, je le prends positivement. Il y a un mouvement, il y a du changement.
Il y a un changement en cours actuellement ?
Chaque année, il y a du changement et on avance. Peut-être pas l’année dernière à cause du Covid-19. Mais jusqu’à présent, chaque année, il y a eu du changement. Il faut que cela continue.
Le 17 mai dernier, le rapport de l’ILGA Europe a placé, encore une fois, le pays à la 3e place de la carte arc-en-ciel (sur 49). Tout va bien ?
C’est pas mal, mais nous pouvons toujours faire mieux.
Quelles sont les principales revendications de l’ASBL Rosa Lëtzebuerg ?
Nous en avons trois. Premièrement, la protection des intersexes par rapport aux opérations chirurgicales. Actuellement, quand un enfant vient de naître avec des caractères sexuels qui ne sont pas considérés typiquement masculins ou féminins, alors on fait un choix et on opère. Ce n’est pas le bon chemin. Très souvent, on constate quelques années plus tard que c’est le mauvais choix qui a été fait. Surtout que nous sommes contre cette idéologie masculin-féminin, car nous rappelons qu’il y a toute une panoplie entre les deux. Le système est non binaire. D’ailleurs, pour toutes les questions intersexe et transgenre, nous sommes ravis de pouvoir travailler en étroite collaboration avec l’ASBL Intersex and Transgender Luxembourg (ITGL).
On peut être homme, on peut être femme, on peut être ni l’un ni l’autre… Rien n’est impossible
Aujourd’hui, rien n’est fait sur l’acceptation de ce système non binaire ?
Malheureusement non. Nous espérons des avancées sur ce sujet. Nous souhaitons tout d’abord la reconnaissance du troisième genre, c’est-à-dire tous ceux qui ne sont ni homme ni femme. On n’a pas, d’un côté, l’orientation sexuelle et, de l’autre, l’identité sexuelle. Elles ne doivent pas être confondues ni mélangées. On peut être homme, on peut être femme, on peut être ni l’un ni l’autre… Rien n’est impossible. Tous les sentiments qu’on a vis-à-vis de soi sont justes, exacts et corrects. Il n’y a personne qui doit dire à quelqu’un de choisir entre homme et femme. En Allemagne, il y a trois catégories dans ce troisième genre. Nous, on ne demande qu’un troisième genre.
Et quelle est votre troisième revendication ?
C’est la reconnaissance automatique de la parentalité vis-à-vis d’un enfant dans un couple non hétérosexuel. La reconnaissance de la coparentalité. Chez les hétérosexuels, même non mariés, quand un enfant vient au monde, le père est automatiquement reconnu comme parent. Pour un couple de lesbiennes, par exemple, ce n’est pas le cas. La mère qui met l’enfant au monde est automatiquement reconnue comme parent, mais ce n’est pas le cas de l’autre mère. Il faut qu’elle adopte pour le devenir. Pour l’instant, beaucoup de gens pensent qu’il y a un bateau « pères » et un autre bateau « mères » et que nous, nous voulons faire couler ces deux bateaux. Non, ce n’est pas le cas. Nous voulons les agrandir pour que plus de personnes soient visées par la loi et que tous les parents soient parents. On espère que ce sera prochainement le cas.
Quelle est votre position sur une possible fin de l’anonymat des donneurs de sperme ?
Personnellement, je suis plutôt pour laisser le choix de rester ou non anonyme. Mais de dire dans la loi soit l’un, soit l’autre, ce n’est pas le bon chemin. Il y a tellement d’histoires différentes. Si on laisse le choix, on peut s’adapter à la situation concrète.
La société est-elle prête à accepter ces différentes revendications ?
Je pense que la plupart des Luxembourgeois sont bien plus prêts que la loi actuelle. Le Grand-Duché est prêt à avancer sur ces différents sujets.
À quoi sert la Luxembourg Pride Week ?
À plein de choses. Tout d’abord, à parler de toutes nos revendications. Cette année, le thème est « out and loud“, c’est-à-dire montrer qu’on est là et qu’on veut se faire entendre. On voit ce qui se passe à quelques kilomètres de chez nous en 2021, et on veut dire que ça suffit, on est là et on veut se faire entendre. Et puis, aussi, on veut dire au Covid-19 : tu nous fais ch…, on en a marre et on se bat contre toi. On est aussi là pour que personne ne se sente seul. Pendant ces différentes périodes de confinement, beaucoup de personnes ont contacté l’ASBL parce qu’elles se sentaient seules et avaient besoin de parler avec quelqu’un. On a alors pris de la culture de la communauté pour la ramener à la maison. On a essayé d’être présent pour ceux qui en avaient besoin. Aujourd’hui, on veut dépasser tout ça et reprendre un peu notre vie normale.
Beaucoup de communes du pays ont répondu à votre appel à faire flotter le drapeau arc-en-ciel cette semaine. Quel est votre sentiment quand vous voyez le drapeau arc-en-ciel entre les drapeaux luxembourgeois et européen ?
C’est un beau symbole. J’ai hâte de voir tous les drapeaux. De nombreuses communes, des ministères, des organisations, des institutions… nous ont dit qu’ils allaient participer. Ce sera, pour moi, la première année qu’on verra que la Luxembourg Pride est la Pride nationale. Elle a toujours été la Pride nationale, même si elle se déroule depuis toujours uniquement à Esch-sur-Alzette, mais cette année, tout le pays va le comprendre.
L’ASBL Rosa Lëtzebuerg fête également ses 25 ans cette année…
Oui. C’est l’occasion de revenir sur tout le chemin parcouru et de se rappeler tout ce que nos prédécesseurs ont accompli. Tous les changements qui ont été faits, c’est grâce à eux. Il faut les remercier. Mais il reste encore du travail.
Comment voyez-vous l’avenir ?
On va continuer d’avancer. Le pays va continuer d’avancer. Il doit continuer d’avancer sur les sujets LGBTIQ+. L’idéal serait qu’un jour on n’en parle plus, parce qu’il n’y aura plus rien à discuter. On veut être comme tout le monde, avoir les mêmes droits que tout le monde. Il faut passer à travers toutes ces manifestations, ces démonstrations, ces prises de parole… pour arriver aux changements. Il faut d’abord se manifester, se montrer pour en parler et si on en parle, on peut changer des choses et après tous les changements on sera plus tranquille. On veut se faire entendre, dire les choses que nous avons à dire, on veut en discuter, on veut être écouté. On prend la parole. Cette année, peut-être plus fort que d’habitude.
Entretien avec Guillaume Chassaing