Fraîchement nommé directeur de la clc, le Luxembourgeois Tom Baumert esquisse ses orientations stratégiques et dresse l’inventaire des nouveaux défis qui s’imposent aux secteurs du commerce, des transports et des services, dont il porte désormais la voix.
À peine deux mois après sa prise de fonction, le successeur de Nicolas Henckes au poste de directeur de la Confédération luxembourgeoise du commerce (clc), Tom Baumert, 36 ans, impose déjà sa patte, enchaînant les rencontres avec les dirigeants des entreprises membres. Un lien fort avec le terrain, tissé ces dernières années au service de la Chambre de commerce, et sur lequel il compte bien s’appuyer pour représenter les 21 fédérations aujourd’hui regroupées sous la bannière de la clc.
Votre parcours révèle une véritable passion pour l’univers de l’entrepreneuriat. Qu’est-ce qui vous attire dans ce monde ?
Tom Baumert : C’est lors d’un échange universitaire à Montréal que j’ai véritablement découvert la culture de l’entrepreneuriat. Là-bas, elle est très présente dans les écoles, et c’est aussi un premier choix de carrière pour beaucoup de gens, ce qui est moins le cas en Europe ou au Luxembourg.
J’ai commencé à suivre les news des entreprises, des start-up, à lire des ouvrages dédiés à des entrepreneurs américains et européens. C’est un monde qui m’a toujours attiré parce que je suis admiratif de leur envie constante d’aller plus vite, de changer, d’innover, de créer de la valeur, des emplois! Au Canada, tout cela est perçu très positivement, alors qu’en Europe, l’opinion est plutôt mitigée, disons.
À la Chambre de commerce, j’ai été en contact avec de toutes petites structures en pleine création : c’est là qu’on mesure vraiment la motivation qui anime ces entrepreneurs, dont certains n’hésitent pas à lâcher un job stable et bien payé. Travailler aux côtés de ces personnalités est extrêmement stimulant. Ce sont des gens pragmatiques qui trouvent toujours des solutions sans attendre qu’un autre le fasse pour eux.
La clc est une fédération patronale. Quel est son rôle dans le paysage politique et économique du Luxembourg ?
C’est simple, nous protégeons les intérêts de nos membres – des entreprises issues de nombreuses fédérations différentes dans le secteur du commerce, mais aussi, et c’est moins connu, du transport et des services. Nous comptons 21 fédérations qui vont du transport de personnes, de marchandises, jusqu’aux forains, des commerces de détail aux grandes chaînes, en passant par les magasins de meubles, les agences de voyages, etc.
Une panoplie de différents types d’entreprises avec chacune leurs problématiques et leurs propres défis au quotidien, et nous sommes là pour les soutenir, tout en structurant leurs besoins communs. Nos membres bénéficient notamment d’un service juridique, d’un accompagnement RSE ou encore d’un support spécifique concernant les aides qu’ils peuvent recevoir.
Combien de membres la clc compte-t-elle actuellement, et comment ce chiffre a-t-il évolué avec la crise sanitaire ?
À ce jour, nous regroupons 1 754 membres : nous avons enregistré 234 nouvelles adhésions en 2020, puis 180 l’année dernière. En prenant en compte les quelques dizaines de résiliations, on doit être proche des 200 nouveaux membres nets en deux ans.
Ce qui est directement lié au contexte, puisque les trois dernières fédérations qui se sont créées – salles de fitness, professionnels de l’événementiel et centres de formation privés – concernent des secteurs particulièrement touchés par les mesures sanitaires. C’est une faiblesse de ne pas être organisé en temps de crise et ils l’ont constaté. Agir ensemble et avoir une voix commune se révèle indispensable pour peser en tant qu’interlocuteur.
La reprise est-elle là pour les secteurs que vous représentez ?
Pour l’instant, en ce qui concerne les secteurs les plus touchés économiquement par la pandémie, la reprise n’est pas encore là. Dans l’événementiel par exemple, même si sous certaines conditions on peut maintenant organiser des rassemblements, le marché est quasiment fermé. Pour eux, rien n’a changé.
Du côté des organismes de formation non plus. Tout ce qui se déroule en présentiel est annulé. Les agences de voyages sont aussi en souffrance. Tous ces secteurs étaient assez optimistes à l’automne, mais la vague Omicron est arrivée.
Pour d’autres, un peu moins impactés, ce sont plutôt les règles en vigueur qui bouleversent l’activité, génèrent des difficultés et des coûts supplémentaires. Pour chaque entreprise, c’est un moment difficile auquel il faut s’adapter. Alors, certes, ce sont des gens qui trouvent toujours des solutions, mais sur le long terme, c’est épuisant.
Quels changements de fond vos membres constatent-ils ?
Dans le commerce, la tendance du digital, qui était déjà amorcée avant la pandémie, s’est nettement accélérée : les clients sont de plus en plus nombreux à se tourner vers l’e-commerce, mais ce chantier, comme d’autres, est pour l’instant relégué au second plan parce qu’il faut gérer la crise sanitaire. Tout est suspendu. Le covid accapare le temps et l’énergie.
Certains de nos secteurs concernés par la pénurie de main-d’œuvre peinent à s’attaquer à ce problème. L’inflation inquiète aussi. C’est moins le cas dans nos secteurs, car peu d’entreprises produisent, mais ces surcoûts vont immanquablement se répercuter à un moment sur les achats.
Comment le commerce, les transports et les services font-ils face à la vague Omicron? Ont-ils besoin d’une aide supplémentaire du gouvernement ?
Les entreprises directement concernées par les dernières mesures continuent d’être soutenues, et le gouvernement fait preuve d’une grande réactivité, ce qui est satisfaisant. Je pense par exemple aux discothèques, pour lesquelles une fermeture à 23 h équivaut à une fermeture administrative : les aides prévues pour ces établissements ont été adaptées en conséquence dès l’annonce des restrictions. Même si elles ne résolvent pas tout, elles permettent au moins de survivre.
Dans un autre volet, des difficultés supplémentaires compliquent l’activité des commerces en ce moment à Luxembourg : les échos qu’on reçoit du centre-ville, en pleine période de soldes, c’est que les manifestations chaque week-end font fuir la clientèle des boutiques, alors que le virus en a déjà éloigné une bonne partie.
À tout cela s’ajoute depuis une semaine maintenant le Covid Check obligatoire sur le lieu de travail. Quels sont les premiers retours ?
En fait, le plus gros souci des entreprises actuellement est lié au nombre de cas positifs qui explose, ce qui entraîne automatiquement un grand nombre de collaborateurs en arrêt maladie, en quarantaine ou à l’isolement : nous voyons que certaines commencent à avoir de sérieux problèmes pour maintenir une organisation qui tienne la route.
Concernant plus spécifiquement la problématique du Covid Check, nous n’avons pas reçu beaucoup d’échos négatifs, ce qui est plutôt bon signe! Les entreprises étaient bien préparées, beaucoup de discussions avaient été menées en amont pour trouver des solutions ensemble.
On constate aussi que le taux de vaccination est assez élevé dans la majorité des sociétés. C’est plutôt la mise en place, le temps – et donc l’argent – qu’il a fallu y consacrer, qui a posé le plus de difficultés : s’assurer de respecter la loi, la protection des données, garantir un fonctionnement pratique et efficace, etc. Ces contraintes ne relèvent pas du « daily business » et ne rapportent donc rien.
Cette adaptation de plus en plus rapide face à des changements soudains va devenir la norme
Qu’est-ce que le « Pacte pro-commerce » conclu entre la clc et le ministère des Classes moyennes ?
Il s’agit d’un plan annuel pour améliorer l’écosystème du commerce au Luxembourg en ciblant six à dix actions spécifiques auxquelles un budget est attribué. Ces dernières années, de beaux projets ont ainsi pu se concrétiser : Letzshop.lu par exemple, ou encore le cadastre du commerce (NDLR : qui répertorie plus de 8 300 points de vente sur le territoire, Horeca et artisans inclus). Chaque année, de nouveaux points sont ajoutés.
Sur quoi porte celui de 2022 ?
Il se concentre surtout sur ce nouvel outil qu’est le cadastre du commerce – géré par un GIE que je préside – en proposant aux communes une analyse personnalisée pour développer ou renouveler le commerce local, et pourquoi pas établir une stratégie sur plusieurs années.
Disposer d’un tel inventaire exhaustif au niveau national, c’est unique! Nous avons enquêté et complété certaines données dont disposait le ministère pour créer une base très riche et un outil performant. Un vrai travail de fourmi, à répéter régulièrement, pour détecter les tendances du marché, mais aussi mesurer a posteriori les effets d’une crise ou de mesures politiques. C’est un vrai tableau de bord du commerce de proximité dont les applications sont illimitées. Un deuxième grand axe de développement concerne la promotion du commerce dans la Grande Région.
Et des discussions sont déjà entamées avec le ministère pour le prochain pacte, avec l’idée d’un programme de support pour aider les commerçants à se moderniser et à se digitaliser, à l’image du « Fit 4 service » proposé par Luxinnovation.
Sur quoi avez-vous travaillé en priorité ces deux premiers mois ?
Pour tout dire, j’ai commencé à la clc un peu comme j’avais fini à la direction Entrepreneurship : je n’ai pas pu sortir de l’urgence opérationnelle que représente le covid. Mais je me suis fixé des objectifs : voir les membres, parler avec eux, recenser ce qu’ils pensent et attendent de la clc, et aussi échanger avec mon équipe. À la fin de mes trois premiers mois en tant que directeur, je serai en mesure d’établir un plan nourri de l’ensemble des éléments recueillis.
Et pour les années à venir, quelles orientations souhaitez-vous donner à la clc ?
Mon prédécesseur a lancé une refonte de la clc avec pas mal de changements et je souhaite m’inscrire dans cette continuité. Je n’ai pas pour ambition de révolutionner quoi que ce soit alors que ce sont d’excellentes bases. Je veux aller vers encore plus de professionnalisme et permettre à la clc d’être encore plus représentative, ce qui implique le recrutement de nouveaux membres et la création de nouvelles fédérations. Et cette représentativité est directement liée à la défense des intérêts de nos membres à travers un plan qu’on est en train de construire.
Où en sont les discussions autour du travail du dimanche, alors que les syndicats ont claqué la porte l’an dernier ? Va-t-il inéluctablement s’imposer selon vous ?
Oui, je crois bien. C’est clairement une demande des entreprises, donc on va travailler dans ce sens pour tenter de trouver un accord. C’était l’un des grands sujets de Nicolas Henckes et certains pas ont déjà été franchis, à moi de prendre le relais.
D’abord, on pense aux clients, qui manifestent un intérêt, tout comme les commerçants, et de notre point de vue, les salariés aussi sont intéressés. Ce sont les retours qu’on reçoit, donc il faut trouver un cadre acceptable pour chacun, mais si la demande vient de tout le monde, je vois mal ce qui empêcherait un accord. Ça a été freiné par le covid, mais les discussions régulières se poursuivent. Nous sommes très optimistes.
L’e-commerce et la concurrence de la Grande Région poussent à franchir ce cap ?
Oui, c’est un peu un mélange de tout. La Grande Région est plus flexible sur certains points, l’e-commerce grignote des parts de marché, mais il y a cette demande du client, les études le montrent. En étant commerçant, on peut difficilement ignorer les attentes de la clientèle. C’est la base.
Acheter moins mais mieux, faire soi-même, privilégier le seconde main, les produits locaux : quels sont les grands bouleversements de cette crise en termes de consommation au Luxembourg ?
Je ne dispose pas d’études là-dessus. Mais de manière globale, sans pointer une tendance en particulier, cette pandémie a agi comme un accélérateur de toutes ces évolutions, poussant les entrepreneurs à réinventer tout ou partie de leur activité, parfois d’un jour à l’autre.
Selon moi, cette adaptation de plus en plus rapide face à des changements importants et soudains va devenir la norme ces prochaines années. On l’a vu, certaines entreprises ont totalement changé leurs habitudes : je pense à cette boutique de montres installée depuis plus de 20 ans, qui manquait de marchandise pour garnir sa vitrine, et qui a opté pour la vente sur rendez-vous uniquement, pour contourner le problème. En deux mois à peine, ils ont tout changé!
Les entrepreneurs qui gagneront cette course sont ceux dont le business model est le plus flexible. Et le commerce de détail est particulièrement concerné. En réalité, on ne le voit pas, mais ils sont déjà très nombreux à ne pas avoir peur de changer leurs procédures. S’ils sont entrepreneurs, c’est précisément parce qu’ils n’ont pas peur de prendre des risques. Je suis convaincu que beaucoup vont nous surprendre.
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