Jean Asselborn a pris position, jeudi, sur les tests génitaux passés par les demandeurs de protection internationale se disant mineurs au Luxembourg. Une réponse qui ne satisfait pas la CCDH et certaines associations.
«Choquante et inacceptable». C’est par ces termes, ponctués d’un «merde alors», que Gilbert Pregno, le président de la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH), avait qualifié, lors de la présentation du rapport annuel de l’organe consultatif le 28 novembre, la prise de photographies des organes génitaux pour l’identification des demandeurs de protection internationale mineurs. Après avoir réagi le même jour en indiquant notamment que ces tests étaient pratiqués quand «un doute sérieux sur l’âge existe», le ministre des Affaires étrangères et européennes et ministre de l’Immigration et de l’Asile, Jean Asselborn, a publié une prise de position officielle.
«Dans le cadre d’expertises médicales ordonnées afin de déterminer l’âge d’un demandeur de protection internationale, il est à rappeler que les examens sont effectués selon les règles déontologiques applicables, dans le respect de la dignité des personnes, et que les personnes ne sont ni palpées ni même touchées, indique-t-il. Il ne s’agit pas d’un examen médical à l’aide d’instruments, mais uniquement d’une inspection visuelle – en aucun cas, les parties génitales ne sont mesurées ou photographiées. Le Laboratoire national de santé a confirmé que la prise de photographies a déjà été abandonnée en 2017 à l’exception d’une photo type portrait/visage – torse. Ce bref examen physique ne saurait être qualifié d’intrusif, voire contraire à la dignité humaine. Les médecins experts n’exercent aucune pression sur les personnes, il s’agit de professionnels de santé qui respectent scrupuleusement leur code de déontologie.»
«C’est incompréhensible»
Juriste au sein de la CCDH, Anamarija Tunjic s’interroge : «Pourquoi mettre quelqu’un tout nu, si on jette juste un regard à ses parties génitales et si on prend juste le visage et le torse en photo?» Elle poursuit : «Considérant ce que ces personnes ont vécu pour arriver au Luxembourg, le fait de regarder leurs organes génitaux est déjà intrusif. Alors, dire que cet examen n’est pas intrusif est incompréhensible. Le ministre affirme aussi qu’aucune pression n’est exercée par les médecins. Certains demandeurs de protection internationale qui ont subi ces tests affirment qu’on leur avait dit que s’ils disaient non à ces tests il n’aurait pas le statut.»
Pour Jean Asselborn, «une expertise médicale reste le seul moyen scientifique et fiable qui permet aux autorités de déterminer l’âge de personnes qui ne sont pas à même d’apporter des documents permettant avec certitude d’établir leur âge. Les juridictions luxembourgeoises confirment de manière constante la légalité et la pertinence des examens médicaux ordonnés tout en rejetant les doutes quant à leur fiabilité.» Anamarija Tunjic répond que «la fiabilité des tests médicaux, osseux et génitaux, est remise en question depuis de nombreuses années par les scientifiques. Quant aux juridictions luxembourgeoises, il est faux de dire qu’elles ne les remettent pas en question. Plusieurs décisions du Tribunal administratif et de la Cour administrative l’ont fait. On peut citer par exemple une décision du 19 juin 2018.»
Par le biais d’un communiqué publié jeudi après-midi, l’ASBL Passerell détaille le contenu de cette décision du Tribunal administratif : «Il est écrit que le jeune a été soumis à l’examen de « signes sexuels extérieurs distinctifs »» et «le tribunal a conclu que la certitude des expertises n’était pas suffisante pour conclure à la majorité, que le doute devait profiter au mineur. Le jeune avait par ailleurs présenté un certificat de naissance. Le recours a donc été déclaré fondé en dépit des résultats des expertises dans le cas précis trop incertain.»
La France a purement interdit ce type de tests
Cette décision va donc également contre l’affirmation du ministre selon laquelle «aucun vrai mineur n’a jamais dû se soumettre à cet examen». Et pour cause. «À chaque fois, les tests médicaux, qui je le rappelle ne sont pas fiables selon les scientifiques, concluent à la majorité du demandeur de protection internationale», souligne la juriste de la CCDH.
«Le ministre se défend en précisant que le Luxembourg pratique ces examens physiques à l’instar de la Russie et de l’Azerbaïdjan et qu’ils sont basés sur le modèle allemand des consignes de l’Arbeitsgemeinschaft für Forensische Altersdiagnostik der Deutschen Gesellschaft für Rechtsmedizin », poursuit-elle, mais il oublie de dire que ce n’est pas le cas pour de nombreux pays membres du Conseil de l’Europe. Par exemple, la France a purement interdit ce type de tests.»
Anamarija Tunjic conclut : «Nous regrettons qu’au lieu de chercher des alternatives, le ministre adopte une position défensive. On va discuter en interne pour prendre une position plus officielle sur tous les points de la prise de position» du ministre. De son côté, l’ASBL Passerell demande «l’ouverture de discussions avec l’administration et d’autres organisations et institutions au sujet de la considération des mineurs non accompagnés au Grand-Duché». Le débat devrait donc se poursuivre.
Guillaume Chassaing