Le dispositif légal que le gouvernement compte mettre en place pour mieux lutter contre la menace terroriste ne satisfait pas le Conseil d’État. Son avis très critique comprend quatre oppositions formelles.
Mise sur écoute d’habitations, enquêtes sous pseudonyme, prolongation du délai de rétention ou autorisation de mener des perquisitions à toute heure. C’est un aperçu de l’arsenal que le gouvernement souhaite mettre en place pour mieux lutter contre la menace terroriste. Le Conseil d’État, qui redoute la mise en danger de droits fondamentaux, reste cependant encore à convaincre.
Les attentats de Paris de novembre 2015 ont constitué la base de la réflexion menée par le gouvernement pour renforcer son dispositif légal en matière de lutte contre la menace terroriste. Comme le souligne le Conseil d’État dans son avis, l’objectif a été d’évaluer si «la législation luxembourgeoise est au point pour répondre de façon efficace à des menaces terroristes».
La conclusion est rapidement tombée. Le gouvernement estime en effet qu’il y a lieu «de renforcer certaines dispositions de la procédure pénale». Un paquet de six mesures a ainsi été ficelé. Malgré l’adoption de plusieurs amendements, le texte final reste cependant loin des attentes de la Haute Corporation, qui a du mal à suivre l’argumentation du gouvernement selon lequel «ces renforcements (…) ne sontpas dramatiques». Ce paquet est, selon les auteurs du projet de loi, à voir en relation avec les autres réformes du code d’instruction criminelle effectuées ces dernières années afin «de lutter contre d’éventuelles activités terroristes dans notre pays, mais également de répondre à des demandes d’entraide judiciaire aux fins d’exécuter des mesures que le droit luxembourgeois ne connaît pas encore».
Ces moyens seraient devenus «standard» dans d’autres pays européens, poursuit le gouvernement dans son argumentation. Mais tout cela n’est pas suffisant aux yeux du Conseil d’État, qui dans son avis très critique a formulé quatre oppositions formelles. Globalement, les Sages se disent «inquiets» que «les dernières interventions législatives tant au Grand-Duché de Luxembourg que dans pratiquement tous les États souscrivant à nos valeurs fondamentales communes, semblent faire primer les nécessités de la sécurité de l’État sur celles de la protection des droits fondamentaux».
«Un exercice extrêmement délicat»
Que comprend concrètement le paquet législatif remis en question par la Haute Corporation? Tout d’abord, il est prévu de contraindre les opérateurs de télécommunications de renseigner la justice sur l’identité d’un abonné suspect. Cette mesure vaudra pour tous les délits.
En ce qui concerne plus précisément la lutte contre le terrorisme, il est prévu de mettre sur écoute des lieux privés, et donc aussi des habitations. Il est également prévu de surveiller et capter des communications électroniques, avec à la clé aussi la possibilité de mener des enquêtes sous pseudonyme. Ensuite, le gouvernement souhaite pouvoir mener des perquisitions à toute heure et permettre, à titre exceptionnel, une prolongation du délai de rétention en matière de flagrant crime de 24 à maximum 48 heures.
«La simple lecture des mesures ainsi proposées fait apparaître que lesdites mesures que les auteurs considèrent comme n’étant « pas dramatiques » sont au contraire des dispositions qui affectent certains droits fondamentaux des citoyens», constate sèchement le Conseil d’État. La protection de la vie privée, l’inviolabilité du domicile ou encore l’inviolabilité du secret de la correspondance seraient touchées par ces mesures.
Les Sages concèdent toutefois «que l’exercice auquel le législateur doit procéder est extrêmement délicat». L’objectif serait de «trouver une balance entre les nécessités de la sécurité de l’État et de la protection des citoyens contre des menaces meurtrières de ceux qui veulent déstabiliser l’ordre de nos sociétés et la protection de nos valeurs fondamentales», poursuit l’avis.
Mais cet équilibre n’est pas respecté, notamment dans les articles concernant l’enquête sous pseudonyme, également appelée «cyberinfiltration», et la mise sur écoute et la captation de données qui en découle. Des formulations pas assez précises mais aussi des éléments contraires aux décisions des juridictions européennes sont mises en avant. Il reste donc encore pas mal de travail à la Commission juridique pour rectifier le tir avant de pouvoir soumettre au vote de la Chambre ce nouvel arsenal en matière de lutte contre la menace terroriste.
David Marques