Il est possible pour les frontaliers de télétravailler un jour par semaine, même quand les plafonds fiscaux seront rétablis. Cette option, peu médiatisée, n’est pas non plus soutenue par le syndicat OGBL.
Les frontaliers du Grand-Duché ont goûté au potentiel du télétravail dans les mêmes possibilités que les résidents durant la crise : fin des plafonds fiscaux de 19, 24 ou 29 jours, selon le pays de résidence. Ils craignent maintenant un retour à la normale. Pourtant, il serait déjà possible pour eux de télétravailler jusqu’à un jour par semaine, dans le cadre d’un emploi à temps complet.
Cette solution, qui exige quelques démarches administratives tant pour les entreprises que les frontaliers, nécessiterait d’être mieux accompagnée par les syndicats. Mais l’OGBL, premier syndicat au Grand-Duché, n’est pas sur cette ligne. Jean-Claude Bernardini, «Monsieur frontalier» du syndicat, explique pourquoi.
On sent une impatience très forte chez les frontaliers : ils voudraient télétravailler de façon plus forte même après la crise. En réalité, ils le peuvent déjà : le plafond des 29 jours pour les Français est purement fiscal, et les grosses entreprises du Grand-Duché proposent déjà de pouvoir monter au-delà, à 25% du temps de travail, le plafond social européen, soit un jour par semaine.
Jean-Claude Bernardini : Effectivement, un frontalier, qu’il vive en Belgique en France ou en Allemagne, peut déjà télétravailler 25% de son temps de travail. On évoque 50 jours par an. En réalité, c’est plutôt 48 jours pour un salarié à temps plein, avec le nouveau jour férié du 9 mai. Cela représente la possibilité d’un jour de télétravail par semaine, quand on est à temps plein, ce qui n’est pas négligeable.
Pourquoi si peu de frontaliers sont au courant ? Le Premier ministre, Xavier Bettel, lui-même se plaît à entretenir un flou sur la question. Lors d’un récent live avec Paperjam, il déclarait : «Nous avons insisté auprès des trois pays voisins pour avoir plus de liberté pour qu’on puisse dire aux frontaliers : continuez à travailler en télétravail.» Puis il évoquait une «souplesse» qu’il faudrait prolonger. Mais pourquoi ne pas dire : «C’est déjà possible », tout simplement ?
Les grandes entreprises le savent déjà et elles le font savoir à leurs salariés, je pense. Ces grandes entreprises ont la logistique administrative adéquate pour assumer une bonne comptabilité sur le sujet : l’impôt qui n’est pas prélevé à la source au Luxembourg doit être présenté par le salarié à l’administration fiscale de son pays, une fois le seuil fiscal dépassé (NDLR : 29 jours de télétravail pour les Français). L’entreprise doit donc tenir compte de cet élément dans sa comptabilité. Les grosses entreprises externalisent leur comptabilité, ce n’est pas un problème. Je ne sais pas dans quelle mesure c’est plus difficile pour les plus petites entreprises.
Vous êtes le premier syndicat du pays, vous aidez les salariés dans toutes les démarches progressistes possibles : obtenir un congé parental, se prémunir d’un licenciement brutal, corriger des inégalité homme/femme… Pourquoi ne pas aider les salariés frontaliers à mieux pouvoir télétravailler, maintenant ? Et les entreprises à mieux pouvoir les accompagner ?
À l’OGBL, notre position sur le télétravail est double. Tout d’abord, nous voulons que cela constitue réellement un progrès pour le salarié. Certains déchantent quand ils voient que le télétravail se transforme en flexibilité dématérialisée très intrusive dans leur vie. La question de la mise à disposition du matériel se pose aussi : dans la précipitation du coronavirus, beaucoup de salariés n’ont pas bénéficié d’un matériel fourni par l’entreprise. Il faut retravailler l’accord de branche sur ces sujets.
Deuxièmement : plutôt qu’aider les salariés dans des démarches administratives transfrontalières variées, nous souhaitons que tous les frontaliers puissent au moins monter jusqu’au plafond des 25% de leur temps de travail, peu importe où ils vivent. C’est une question d’égalité.
Pardon, mais ça paraît illusoire. S’il faut attendre que le Luxembourg négocie avec chacun des voisins, alors que nous savons que les enjeux fiscaux sont de taille, c’est du temps perdu pour les frontaliers. La possibilité existe : mais on ne le fait pas savoir, et on ne les aide pas dans leur démarche… c’est quand même désolant, quand on sait l’importance que ça peut avoir d’un point de vue écologique et sociétal.
Il y a effectivement des enjeux financiers de taille. Je comprends – ça ne veut pas dire que j’accepte – que les États voisins refusent un manque à gagner fiscal.
Et donc, pourquoi ne pas actionner le levier déjà en place ? Les frontaliers en couple doivent déjà remplir deux déclarations fiscales en France par exemple, avec le fameux «taux effectif mondial». On n’est plus à une ligne près, c’est un problème de pédagogie avec les entreprises et de volonté politique aussi.
Pas seulement, ça peut être un problème de perte pour le frontalier également. S’il ne déclare plus 100% de son impôt au Luxembourg, pas sûr qu’il ait le droit à 100% d’abattement sur les différents privilèges fiscaux possibles. Autre interrogation : les impôts sur les personnes sont certes parfois plus forts au Luxembourg qu’en France (NDLR : notamment pour les revenus moyens) mais au Luxembourg, la première tranche d’impôt se déclenche plus tard qu’en France. Donc, sur la vingtaine de jours que le frontalier pourrait déclarer en France, rien ne dit qu’il serait plus favorablement taxé.
On rentre dans les petits comptes. Mais après deux mois de télétravail, les frontaliers sont de toute façon prêts à payer un peu plus. Ils ont eu la télé en couleur, ils ne veulent pas revenir à la télé en noir et blanc !
Nous soutenons un accord globalisé en Grande-Région à 25% de temps de travail en télétravail au moins pour tous les frontaliers. C’est une question d’accord entre pays mais c’est la meilleure solution d’un point de vue de l’égalité. Nous soutenons d’ailleurs un lien syndical fort entre le salarié en télétravail et le monde du syndicalisme. Il ne faut pas que les nouvelles formes de travail amènent à toujours plus d’isolement face aux dirigeants.
Entretien avec Hubert Gamelon