Sven Clement, député et président honoraire du parti Pirate qu’il a créé en 2009, a pris de l’assurance. Il critique, il construit, il propose et souvent il dérange. Petit tour d’horizon.
Les Pirates ont tenu congrès samedi dernier. En virtuel, bien sûr, et complètement organisé par leurs soins, en fin informaticiens qu’ils sont. Environnement, logement, emploi, digitalisation, sont des thèmes dont ils se sont emparés.
Les Pirates ont des idées pour la transition énergétique, notamment celle de vouloir créer un fonds spécial pour l’installation de panneaux photovoltaïques. Expliquez-nous.
Nous allons demander au gouvernement de mettre en place un fonds autour d’un milliard d’euros pour financer l’installation de panneaux photovoltaïques sur la moitié des toits du pays. Aujourd’hui le Luxembourg a besoin de 6 500 gigawatts par an, si on mettait sur 80 000 bâtiments une installation photovoltaïque on pourrait générer assez d’électricité pour tout le Luxembourg à un coup inférieur à un milliard d’euros pour un rendement de 4 à 5%. Il faut attirer des investisseurs privés qui veulent placer de l’argent. L’intention est vraiment de mettre à la disposition du public une facilité pour investir dans la transition énergétique.
Les aides de l’État mises en place par le gouvernement ne suffisent pas ?
Le problème et principal obstacle, c’est qu’il faut toujours préfinancer le projet. Il faut mettre au moins 15 000 euros sur la table par maison et ce n’est pas évident pour tout le monde. Le LSAP et les Verts disent toujours que c’est à l’État de financer, mais si on doit investir encore un milliard d’euros de fonds publics dans la transition énergétique, l’addition va devenir salée. L’avantage, c’est aussi la création de 800 emplois durables d’ici à 20 ans à zéro coût pour l’État. Il s’agit vraiment d’un milliard investi dans l’économie réelle du Luxembourg. Les conditions mises en place aujourd’hui ne sont pas suffisantes pour encourager le déploiement de l’énergie solaire. Chez moi, j’ai une petite installation parce que je conduis ma voiture à 90% à l’électricité et je pourrais la recharger huit fois par jour. Franchement, je ne vois pas comment créer des emplois d’installation autrement que de miser sur un cadre législatif qui encourage l’investissement. Je vais donc m’atteler à rédiger une proposition de loi pour lancer un tel projet.
Vous allez plus loin, en proposant de produire les panneaux solaires sur place…
Pourquoi pas ? On peut très bien attirer une ligne de fabrication de panneaux photovoltaïques. Ce sont des fabrications très automatisées donc on ne va pas créer beaucoup d’emplois de ce côté-là mais le problème c’est qu’aujourd’hui les panneaux viennent de Chine, fabriqués avec de la main d’œuvre exploitée parfois, donc c’est très délicat. Si on sait que 80 000 maisons représentent environ 2,4 millions de panneaux solaires sur 10 ans cela devient intéressant d’installer une ligne au Luxembourg. Voilà de la création de valeur au Luxembourg en comparaison à Amazon qui, sur 44 milliards d’euros, ne paie pas d’impôt et a encore touché 56 millions de crédit d’impôt.
[Logement] J’entends depuis huit ans que c’est la priorité des priorités, mais rien ne se passe et je suis dégoûté
Vous vous accrochez toujours à l’idée d’un revenu universel. Pensez-vous que ce soit la seule alternative possible ?
Pour moi, c’est évident que d’ici 30 ou 40 ans on va subir des bouleversements énormes du monde du travail. Soit il y aura une augmentation de la productivité et des gains conséquents et on connaît le plein-emploi mais c’est un scénario très hypothétique. Soit on se retrouvera dans un monde totalement automatisé et le revenu universel s’imposera. Si on veut devenir compétitif, il faudra aussi œuvrer sur le logement. J’entends depuis huit ans que c’est la priorité des priorités, que c’est la crise, mais rien ne se passe et je suis dégoûté.
Dégoûté ?
J’ai un exemple en tête. Il s’agit d’un terrain classé dans le périmètre constructible et qui comprend une servitude communale. Le financement d’un tel projet pour le viabiliser c’est peu compliqué parce qu’il n’y a aucune garantie sur la durée. La commune doit juste lever une servitude et la reclasser. Cela peut prendre entre un an et sept ans ! Moi investisseur, je vais voir ailleurs où construire immédiatement. Donc nous avons des terrains que l’on pourrait viabiliser rapidement mais ça traine. Le problème est justement que l’on ne construit pas assez rapidement ni densément. La densité et la hauteur c’est vraiment un problème. Donc on construit des petits blocs, des petits cubes. On pourrait avoir des quartiers avec plus de mixité mais non, on a des pâtés de cubes blancs et ce n’est vraiment pas joli. L’enregistrement nous a dit que chaque année entre 13 000 et 15 000 personnes accèdent pour la première fois à la propriété donc il y a ce besoin annuel de logements et on en construit à peine 3 000. Donc le gros des transactions se fait sur le stock existant.
Que dire de votre parcours à la mi-mandat ?
Le volume de travail est énorme. On pensait avoir un rythme qui nous permette de prendre nos repères la première année mais on s’est retrouvé dans le bain rapidement et je pense que nous avons bien maîtrisé les choses jusqu’à présent. Nous avons trouvé un équilibre entre notre rôle de contrôleurs du gouvernement et notre force de proposition. L’opposition peut être constructive, il ne s’agit pas seulement de réclamer la démission d’un ministre. Nous ne sommes que deux mais je trouve que l’on a déjà réussi à faire bouger certaines choses.
Par exemple ?
Rien que récemment, le gouvernement a finalement ouvert les listes pour les doses de vaccins restantes en fin de journée ce que nous avions réclamé avec insistance. La semaine dernière encore deux de mes questions parlementaires ont aidé dans des cas spécifiques à débloquer une situation, à aider des gens en détresse. La politique c’est aussi ça, avoir des grandes visions comme le revenu universel et faire des petits actes qui aident directement les gens.
[Digital] Quand je vois que tout le système a planté pour 100 000 requêtes lors des inscriptions pour les volontaires à la vaccination, il n’y a pas de quoi être fier
Vous qui êtes un spécialiste de l’ère numérique, quelles ont été vos premières impressions en arrivant à la Chambre des députés ?
Qu’elle vivait à l’ère de la préhistoire. On communique toujours par lettre, même si elle est digitalisée, cela reste un PDF. Si je veux obtenir un renseignement de la Chambre je dois envoyer une lettre signée. Les questions parlementaires doivent comporter une signature donc on a des scans de signatures en stock mais c’est du lourd. On pourrait avoir des systèmes de gestion électronique de documents, ça aiderait.
Plus généralement, que pensez-vous du digital Luxembourg et de l’action du ministre de tutelle, Marc Hansen ?
Disons que nous avons un ministre à la Digitalisation mais tout reste à faire. On pourrait digitaliser les actes notariés, on pourrait travailler sur l’authentification forte au lieu d’imposer Luxtrust qui est trop cher pour une jeune start-up. On pourrait travailler sur des procédures administratives digitalisées qui sont toujours très limitées aujourd’hui. On fait une procédure via myguichet.lu et on reçoit une lettre en accusé de réception en retour sur papier. La déclaration d’impôt, on ne peut pas la signer à deux sur myguichet.lu alors que c’est une obligation légale pour un couple de signer à deux. Bon, ils veulent le faire pour l’année prochaine mais bon sang tout cela traîne ! Je travaille dans le domaine donc je peux vous dire que ça énerve et surtout les toutes petites entreprises. On handicape notre économie en se focalisant sur des projets comme le superordinateur Meluxina, on vient nous dire qu’on va faire du blockchain au Luxembourg mais ils ne savent même pas de quoi ils parlent. On fait du « bullshit Bingo » ! Quand je vois que tout le système a planté pour 100 000 requêtes lors des inscriptions pour les volontaires à la vaccination AstraZeneca, il n’y a pas de quoi être fier. Ils ont utilisé un logiciel trop lourd, qui prend trop de ressources par personne. Au lieu de faire simple, on a mis en place un processus hyper compliqué.
Les pirates s’étaient liés à l’ADR pour former un groupe technique au début de la législature. Si c’était à refaire, vous recommenceriez ?
On a su renforcer le rôle des sensibilités politiques en forçant la main à la majorité ce qui était une bonne chose, mais politiquement c’était une mauvaise opération pour nous. Si c’était à refaire ? Avec le recul je dirais non. Il faut dire aussi que l’ADR d’aujourd’hui n’est plus le même qu’il y a deux ans et demi, c’est important à dire. Il y a une différence entre parler avec Gast Gybérien et ne pas parler avec Fred Keup.
Comment se porte votre parti aujourd’hui ?
Bien. Le chiffre des nouveaux adhérents grimpe fortement et on remarque que c’est souvent lié à notre présence médiatique. Après les élections nous avons eu certains départs mais aujourd’hui nous avons retrouvé la croissance et cela se voit aussi dans les sondages.
Vous avez vertement critiqué la nomination de Christianne Wickler à la présidence de Cargolux. Pourquoi, pour ses idées ?
Cette femme a été élue par le peuple et a tenu huit mois à la Chambre des députés. Je pense que c’est difficile d’être à un poste aussi exposé avec des opinions tellement visibles. Elle était quand-même éditrice d’un site qui a publié des fausses informations sur la pandémie et elle se retrouve présidente du conseil d’administration de la 4eplus grosse compagnie de fret au monde. On est dingue ou quoi ? Elle peut penser et dire ce qu’elle veut mais pas quand on représente l’État dans une société. Elle était le mauvais choix et le reste, même si elle a démissionné de sa plateforme. Quand je pense qu’un contrôle des antécédents est nécessaire pour n’importe quel employé de l’aéroport qui reçoit un badge d’accès. Là on a un ministre, François Bausch, qui nous dit qu’il ne connaissait pas l’existence de ce site et qu’il n’avait rien lu de ce que Christianne Wickler publiait depuis trois mois. On habite dans un pays de bisounours, franchement.
Comment percevez-vous l’ambiance de travail au sien de la majorité que vous pouvez observer en commission par exemple ?
C’est le compromis minimal. Le problème de la majorité, c’est qu’à partir du moment où le conseil de gouvernement prend une décision, elle est déjà à la limite de l’acceptable pour les trois partenaires. Les députés n’ont plus aucune marge de manœuvre pour discuter avec l’opposition. On remarque dans les commissions que parfois il y a de grandes divergences entre les partis de la majorité. Certains présidents ne tolèrent même pas que des sujets qui fâchent soient abordés. Il y a, au sein du gouvernement, des personnes qui s’entendent bien et d’autres nettement moins bien.
Entretien avec Geneviève Montaigu