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Surveillance des salariés : un projet contesté


Jusqu'à présent, un employeur ne peut pas décider, du jour au lendemain, d'installer partout des caméras de surveillance ou de «fliquer» l'ordinateur d'un salarié sans demander l'autorisation à la CNPD. (illustration François Aussems)

Un projet de loi sur la surveillance des données au travail fait polémique : simplification administrative ou recul de la protection de la vie privée des salariés ?

Tout salarié peut être surveillé sur son lieu de travail… sous certaines conditions, évidemment.

Un employeur qui veut récolter des données de surveillance le peut uniquement à certaines fins : des besoins de santé et de sécurité des salariés, la protection des biens de l’entreprise, ou encore la surveillance pour une durée limitée des performances du salarié.

Mais surtout, un employeur ne peut pas décider, du jour au lendemain, d’installer partout des caméras de surveillance ou de «fliquer» l’ordinateur d’un salarié. Il doit demander une autorisation préalable auprès de la Commission nationale pour la protection des données (CNPD). L’employeur ne pourra mettre en œuvre la surveillance qu’après ce feu vert.

«Des conséquences très graves»

C’est ce principe de précaution qui va être aboli par le projet de loi 7049 relatif à la protection des données. Déposé le 31 août dernier, il vise à remplacer cette autorisation préalable par une simple notification de l’employeur à la CNPD. À charge pour cette dernière de contrôler, ou pas, si la surveillance mise en place a dépassé les limites. Mais a posteriori, donc potentiellement trop tard, une fois que le mal est fait…

«La situation est claire. S’il est adopté, le projet de loi du gouvernement va avoir des conséquences très graves sur la protection de la sphère privée des salariés. Le projet de loi est en totale contradiction avec l’intention initiale de la loi relative à la protection des données, à savoir, justement, de garantir la protection des droits et libertés des individus et de tracer des limites claires à une surveillance non justifiée», écrit l’OGBL dans un communiqué.

Le syndicat craint en effet des dérives, «tout particulièrement en matière de surveillance à plein temps des salariés, d’enregistrements sonores et de non-effacement des données récoltées». Sachant que le salarié n’aura d’autres choix, pour défendre ses droits, que de citer «en justice son employeur pour non-respect» de sa vie privée. Mais «quel salarié serait disposé à le faire ?», interroge le syndicat.

La CNPD se dit débordée

De son côté, la CNPD défend ce projet de loi, et critique la loi actuelle. Dans un avis déposé en octobre dernier, elle affirme qu’elle a «régulièrement constaté que les responsables de fichiers et de traitements de données sont plus attentifs à l’accomplissement des formalités préalables qu’au respect des principes édictés par la loi».

De plus, elle se dit débordée : le traitement de ces demandes d’autorisation de surveillance «représente entre 85 et 90% des demandes d’autorisations traitées», écrit-elle.

La CNPD estime donc que la future loi permettra une «simplification administrative». C’est d’ailleurs l’argument du gouvernement : «Le présent projet de loi a comme objectif de simplifier les procédures de façon à éliminer certains obstacles purement administratifs sans plus-value pour la protection de la vie privée et les libertés individuelles», peut-on lire.

Et le fait que la nouvelle loi privilégie le contrôle a posteriori au lieu du contrôle a priori impliquera, ajoute la CNPD, «un renforcement de son activité de contrôle». Elle enfonce le clou en précisant que le «caractère très restrictif» de l’actuelle loi est presque une exception luxembourgeoise : cette autorisation préalable de surveillance est «rarement requise dans le reste de l’Europe».

Le sujet divise en tout cas les chambres professionnelles : si la Chambre des fonctionnaires et employés publics se contente d’approuver sans condition le projet de loi, la Chambre des salariés, elle, dénonce la suppression du principe de l’autorisation préalable de la CNPD : «Comment la protection des personnes concernées sera-t-elle assurée de manière équivalente entre un système d’autorisation systématique préalable et un contrôle a posteriori ?», écrit-elle.

Une question qui a été posée vendredi par l’OGBL au ministre du Travail. L’entrevue, convoquée en urgence, n’aura cependant débouché sur aucune décision, le ministre Nicolas Schmit ne s’étant « pas prononcé en faveur ou en défaveur du projet de loi », nous explique Nico Clement, membre du comité exécutif du syndicat, qui attend donc une prise de position du gouvernement sur le sujet.

Romain Van Dyck