Des ONG sont allées chatouiller, mercredi, les actionnaires de la société belgo-luxembourgeoise Socfin. Objectif : dénoncer une «politique d’expansion agressive» que la firme agro-industrielle réfute en bloc.
«Il s’agit d’expulsions, d’expropriations de villageois pour s’approprier des terres agricoles», affirme Thierry Defense, de SOS Faim Luxembourg, qui encourage le gouvernement à faire «le ménage» parmi les sociétés hébergées au Grand-Duché. « Au Liberia, le pays le plus affecté, on estime que 150000 hectares de terres ont été accaparées par Socfin» , poursuit-il.
Mercredi, devant l’hôtel Belair à Luxembourg, le directeur de SOS Faim Luxembourg s’associait à un vaste collectif d’ONG luxembourgeoises et étrangères pour lancer un message : «Actionnaires de Socfin : arrêtez les accaparements de terre!»
La Socfin est un groupe belgo-luxembourgeois spécialisé dans la culture de palmiers à huile et d’hévéa à caoutchouc. Les ONG affirment que le groupe dispose de sociétés financières et opérationnelles en Belgique, au Luxembourg et en Suisse, qui gèrent des plantations dans une dizaine de pays africains et asiatiques, et qui « profitent pleinement de la hausse des cours des matières premières agricoles » pour opérer « une politique d’expansion agressive ». À savoir « des accaparements de terres dont les impacts sur les conditions de vie des populations locales ont été largement documentés », affirme le collectif d’ONG.
Mercredi matin, ce message de protestation adressé aux actionnaires aurait pu rester sur le pas de la porte… que les ONG ont pourtant franchi. « Nous avions des collègues d’ONG belges qui avaient acheté des actions de Socfin et qui ont donc pu entrer lors de l’assemblée générale », rapporte Thierry Defense.
« Nos actionnaires alliés ont donc pu s’exprimer, poser des questions, interpeller des dirigeants, dont Vincent Bolloré (NDLR : l’un des actionnaires de Socfin) qui était présent. Mais il y a un déni total. Selon eux, Socfin n’a pas acquis un seul hectare de terre dans ces pays, au contraire, ils disent qu’ils ont financé des écoles, des hôpitaux. » Bref, « ils disent faire plus de bien que de mal. On est dans un dialogue de sourds. »
«Donner d’une main et reprendre de l’autre»
Les ONG, elles, affirment que les conflits fonciers « ont déclenché des actions de protestation qui ont parfois été violemment réprimées », « comme ce fut encore le cas en février dernier en Sierra Leone où six leaders de l’organisation locale Maloa ont été condamnés à de cinq à six mois de prison pour conspiration et destruction de palmiers à huile ». Les communautés locales se sont organisées, formant une «Alliance internationale des riverains des plantations Socfin/Bolloré». « Sans réel succès à ce jour », déplorent les ONG.
Thierry Defense est d’autant plus indigné que la Socfin est localisée au Grand-Duché : il pointe donc « la coresponsabilité de notre gouvernement ».
Le directeur de SOS Faim Luxembourg poursuit : « Le traité de Lisbonne dit en substance qu’il ne sert à rien de donner d’une main si on reprend de l’autre. Or si notre pays est le plus généreux du monde en matière d’aide au développement, il autorise sur son territoire la localisation de sociétés qui, de notre point de vue, nuisent au développement de pays et aux droits de l’homme, et ne respectent pas les directives foncières internationales. »
Le «nation branding» , conclut-il, ce n’est pas que développer les fonds financiers responsables, « propres », c’est aussi faire le ménage et empêcher les fonds « toxiques ». Mais là, rien n’est fait, il y a toujours une opacité. Et la société Socfin n’est sans doute qu’une parmi d’autres. Il faudrait sans doute exiger un minimum de transparence et la création d’un comité d’éthique indépendant pour réguler ces sociétés. »
Romain Van Dyck
Des conflits «fantasmés»
Dans un communiqué publié en mars, la société Socfin réagissait face à l’ONG Greenpeace qui l’accusait elle aussi de créer de «graves conflits sociaux» dans les pays où la firme opère.
«La référence à de tels conflits sociaux relève du fantasme, répondait Socfin. Des désaccords peuvent surgir. Mais ceux-ci ont été plus que rares et essentiellement fomentés par des tiers, sans rapport avec les salariés ou les habitants des villages voisins des plantations.»
«En revanche, les activités du groupe apportent un développement considérable aux zones rurales dans lesquelles il est implanté, grâce à la construction de nombreuses infrastructures sociales (santé et éducation) et collectives (à titre d’exemples, villages, routes, ponts, électrifications, adduction d’eau…).»
Ajoutant : «Socfin n’est jamais, directement ou indirectement, propriétaire des concessions mentionnées, mais les cultive en tant que locataire dans le cadre de baux emphytéotiques. Ces concessions et les forêts qui en font partie restent la pleine propriété des États.»