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Sexe et handicap : «Un supertabou»


Le documentaire "Sweetheart Come" de Jacques Molitor, sorti en 2013, aborde la sexualité des Luxembourgeois via une série de portraits. (photo ©Red Lion)

Parler de sexualité, même en 2018, n’est pas toujours facile. Alors quand cette question se double de la problématique du handicap, c’est une véritable chape de plomb qui s’abat sur la société.

Afin de faire bouger les lignes, 17 associations ont décidé de travailler sur le sujet et de sensibiliser le public à ces questions. Une soirée-débat a d’ailleurs été organisée cette semaine à Luxembourg, par le Centre national de référence pour la promotion de la santé affective et sexuelle et Info-Handicap.

«Je suis activiste depuis 25 ans. Je dois toujours expliquer aux gens des choses sur lesquelles ils auraient dû être éclairés depuis longtemps», regrette Joël Delvaux, l’un des intervenants de la table ronde, lui-même concerné. En 2013 déjà, il avait accepté de participer avec sa compagne Andréa au documentaire Sweetheart Come de Jacques Molitor, qui abordait la sexualité des Luxembourgeois via une série de portraits.

Dans le public, un père de famille, dont deux filles sont handicapées, confirme : «Il y a 15 ans, je disais déjà ceci : le sexe est toujours un tabou dans notre société, le handicap en est un deuxième. Alors si je mets les deux ensemble, j’ai un supertabou. Eh bien, ça n’a pas évolué depuis 15 ans.»

«Il y a un paradoxe lorsqu’on veut parler de sexualité, renchérit Joël Delvaux. D’un côté, il n’y a pas une publicité qui ne mette en avant des femmes en bikini; on fait des blagues; on a accès à des images… Mais d’un autre côté, lorsqu’il s’agit de parler sérieusement de sexualité, il y a des barrières. Notre société de consommation ne montre pas la sexualité de la bonne manière. Il faudrait être des demi-dieux pour avoir droit à une vie sexuelle. Mais nous ne sommes que des hommes.»

Or la santé sexuelle est un droit fondamental selon l’OMS, ont rappelé tous les intervenants de la soirée, en premier lieu desquels Christine Fayet, éducatrice et sexo-pédagogue suisse. «Nous sommes des êtres sexués. Nous étions une cellule sexuelle, donc porteurs d’une énergie sexuelle, avant même notre naissance.»

Si l’accès à une éducation sexuelle semble évident, elle s’avère difficile à mettre en place à un autre niveau qu’individuel, comme le souligne Simon Görgen, du Planning familial : «Trop peu de gens viennent nous voir, il est donc difficile de reconnaître les besoins, d’évaluer la demande. De plus, les publics sont très hétérogènes. Le plus simple est de prendre un rendez-vous individuel.»

L’assistance sexuelle, autre tabou

Quant à la question de l’accès à une assistance sexuelle, pour laquelle se bat vivement Joël Delvaux, elle reste encore particulièrement taboue, tant elle soulève d’épineuses questions notamment vis-à-vis de la formation du personnel ou du lien éventuel avec une forme de légalisation de la prostitution.

«À la Fondation Kräizbierg, où je travaille, il y a une équipe disposée à satisfaire les besoins, à aider des couples à avoir des rapports…, souffle une personne dans l’assemblée. Mais tout le personnel n’y adhère pas. C’est un thème difficile, discuté même entre nous de manière très controversée. Sur le plan légal, c’est interdit, mais beaucoup de choses se font en catimini… Je ne veux pas dire ce qu’on fait, mais on fait beaucoup de choses.»

Une aide bien insuffisante pour Joël Delvaux. «Non seulement, cela ne laisse pas de place à la spontanéité, mais en plus, on est dépendant de la présence ou non de ces personnes disposées à aider. Le problème, c’est que le sexe est encore perçu comme un luxe, et pas comme un besoin naturel, au même titre que celui de boire ou manger. Il faut s’inspirer de pays qui ont une grande expérience dans ce domaine comme la Suisse, pour qu’il n’y ait pas de prostitution cachée.»

Tatiana Salvan