Nicolas Schmit s’est présenté mardi devant le Parlement européen pour défendre un plan de lutte contre la précarité et l’exclusion sociale. La tâche s’annonce ardue.
« On a tous conscience qu’il faut miser sur une Europe plus sociale. » Nicolas Schmit, joint mardi après-midi à Bruxelles, continue de marteler le credo développé quelques heures plus tôt devant le Parlement européen. Le candidat luxembourgeois pour intégrer la prochaine Commission européenne avait en quelque sorte à jouer un match à domicile. Non seulement, il est toujours eurodéputé, mais l’ancien ministre du Travail a aussi hérité avec l’Emploi et les Affaires sociales de deux portefeuilles qu’il a déjà ardemment défendus lors de sa présence au gouvernement.
«Je ne pense cependant pas avoir défendu le modèle social du Luxembourg devant les députés européens. Mais il est vrai que je n’ai pas trop dû changer mes convictions fondamentales», note Nicolas Schmit. Il ajoute même «qu’il n’existe rien de plus beau pour un socialiste que de s’engager pour la cause sociale en Europe».
Une Garantie pour les enfants
Son «enthousiasme» a bien été enregistré par les eurodéputés appelés à évaluer sa compétence à intégrer la prochaine Commission européenne. Les élus ont aussi évoqué un «programme ambitieux» nécessitant un «vrai guerrier» pour le concrétiser. Nicolas Schmit partage-t-il ce profil ? «Non, je ne me vois pas comme un guerrier. Mais j’ai une mission passionnante qui m’attend, répond-il. L’objectif doit être de regagner la confiance des Européens en leur démontrant que la dimension sociale n’est plus cloîtrée dans un coin mais qu’elle se retrouve à nouveau au centre de nos préoccupations.»
Après les mots doivent donc suivre les actes. En tant que futur commissaire en charge de l’Emploi et des Affaires sociales, Nicolas Schmit a la ferme intention d’«offrir une chance à chacun». Il pense aux personnes les plus démunis, à commencer par les enfants, souffrant de la précarité de leurs parents. «En Europe, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Il faut qu’on les sorte au plus vite de ce cycle infernal», insiste l’ancien ministre.
Après la Garantie pour la jeunesse, ce mécanisme européen qui garantit aux jeunes Européens de moins de 25 ans un projet professionnel au plus tard quatre mois après la fin de leurs études ou la perte d’un emploi, Nicolas Schmit veut désormais aussi créer une Garantie pour les enfants. «Il faut investir dans une bonne éducation et un appui scolaire de qualité. On espère ainsi prévenir le décrochage scolaire, car ceux qui quittent aujourd’hui l’école sans diplôme, risquent d’être les chômeurs de demain», détaille le futur commissaire.
«L’Europe ne peut pas avancer seule»
En même temps, il est prévu d’assurer une alimentation saine et d’éviter l’exclusion sociale des enfants subissant la pauvreté. «On a besoin de développer des concepts, avec l’appui des États membres. L’objectif est d’émettre des lignes directrices. Mais il est clair que cela nécessitera un important investissement financier», explique Nicolas Schmit. Une ligne de crédit de 5,9 milliards d’euros est dans les tuyaux, mais elle n’est pas encore validée par les pays formant l’UE.
Fort de son expérience comme diplomate européen, Nicolas Schmit a conscience qu’ «il n’est pas évident de formuler des législations» qui seront acceptées par les gouvernements européens et le Parlement. «Il faut faire preuve de pragmatisme et se montrer convaincant», indique le Luxembourgeois. Il ajoute que c’est un aspect «qui caractérise l’UE». Nicolas Schmit croit néanmoins dur comme fer à la réussite de son entreprise. «Je compte mener un dialogue avec toutes les parties concernées. Même si l’Europe a un important rôle à jouer, elle ne pourra pas avancer seule», conclut-il.
David Marques
Son plan de bataille
Sa mission sera double : remplir les grandes attentes de la présidente de la future Commission et du Parlement européen.
« Je n’ai pas souffert, mais cela fut quand même dur. » Après près de trois heures où il avait été mis sur le gril par les eurodéputés, Nicolas Schmit s’est dit à la fois soulagé et satisfait du débat «intéressant, stimulant et critique» qu’il venait de vivre. La présentation de son programme et les explications fournies semblent avoir convaincu une large frange des députés présents.
«La présidente désignée Ursula von der Leyen place de grandes ambitions dans vos deux portefeuilles», avait introduit Lucia Duris Nicholsonova, présidente de la commission de l’Emploi du Parlement européen. Le futur commissaire a plaidé hier pour «une économie plus juste, plus sociale et plus inclusive». Le plan de bataille de l’ancien ministre luxembourgeois du Travail est le suivant : «Je compte développer un dialogue intense avec les partenaires sociaux.» Il mise aussi sur le soutien et l’échange régulier avec le Parlement européen, les Parlements nationaux ainsi que des institutions telles que le G7, le G20, l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’OCDE.
«Il faut combler les lacunes»
Le renforcement des conventions collectives doit «constituer un gain à la fois pour les salariés et pour les patrons». Ce rapprochement serait d’autant plus nécessaire que l’économie européenne et mondiale se trouve face à des défis majeurs. «Il faut faire en sorte que l’évolution technologique ne nous échappe pas», souligne Nicolas Schmit.
Afin de réduire les risques qui incombent au passage à l’économie numérique, le commissaire nommé a la ferme intention de légiférer : «Il faut combler les lacunes entre la technologie et ceux qui l’appliquent.» Nicolas Schmit compte s’inspirer de la Californie, qui vient de légiférer en la matière. «Là où a été inventé ce nouveau modèle économique, on s’est rendu compte qu’un fossé s’était créé entre la technologie et ceux qui l’appliquent. Nous devons aussi combler cette lacune», plaide-t-il.
Une formation professionnelle plus axée sur les nouvelles technologies, des formations continues spécifiques ainsi qu’un cadre légal adapté aux enjeux sociaux de la numérisation de l’économie constituent une autre partie du plan présenté hier par Nicolas Schmit. «L’investissement dans les gens est indispensable», clame l’ancien ministre, avant de conclure : «On ne peut laisser personne sur le carreau.»
Chômage des frontaliers
Le jour même de sa nomination, Nicolas Schmit doit avoir eu une pensée pour sa lutte menée contre les plans de la Commission européenne afin d’harmoniser les prestations sociales des travailleurs mobiles. En clair, le Luxembourg était appelé à prendre dès 2026 intégralement en charge les indemnités de chômage pour les travailleurs frontaliers. Il s’agissait d’une dérogation durement négociée.
Les autres pays concernés, tels que l’Allemagne, étaient en principe tenus à appliquer le texte dès 2021. Mais au printemps de cette année, le projet a été mis entre parenthèses et renvoyé au Parlement européen. Nicolas Schmit va donc désormais se trouver de l’autre côté de la table de négociation et aura notamment à affronter son successeur Dan Kersch. Interpellé mardi par les eurodéputés, le futur commissaire a tenu à souligner qu’il allait abandonner sa casquette luxembourgeoise. «Une nouvelle rapporteuse de la famille socio-démocrate a été nommée. Il nous faudra désormais trouver un compromis valable», explique Nicolas Schmit dans l’entretien qu’il nous a accordé.
Les réserves du Grand-Duché, qui devrait à terme négocier et financer la prise en charge de 10 000 demandeurs d’emploi supplémentaires (80 à 100 millions d’euros supplémentaires à verser en indemnités), ne seraient «pas remises en question». Le futur commissaire nous a même confié avoir eu dès hier un «échange positif» avec le ministre allemand du Travail, Hubertus Heil, sur le dossier. L’Allemagne est depuis le début un allié du Grand-Duché dans ce dossier.