L’ambassadeur de Belgique au Luxembourg, Thomas Antoine, veut voir dans cette crise des opportunités à saisir, tant pour la Belgique que pour Schengen.
L’ambassadeur n’esquive aucun sujet : Molenbeek montrée du doigt pour son vivier de terroristes depuis une dizaine d’années, la Belgique clairement visée par François Hollande lors de son discours à Versailles, la mauvaise communication entre les services de renseignement des pays fondateurs de l’Union… Et enfin Bruxelles sous haute tension depuis plusieurs jours, qui vit au rythme des opérations d’ampleur des forces de l’ordre et du maintien jour après jour du niveau d’alerte 4, soit le plus haut niveau de menace.
La situation à Bruxelles est quelque peu préoccupante. La Belgique a-t-elle pris la pleine mesure de la situation?
Thomas Antoine : La Belgique est en effet confrontée à de sérieux défis dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Elle a toujours été prête à prendre ses responsabilités en la matière et continuera à le faire avec fermeté et détermination. Si la Belgique est mise en lumière dans le cadre des évènements de Paris, c’est aussi parce qu’elle assume ses responsabilités. Le défi du terrorisme a pris une dimension inégalée jusqu’à présent. Chaque pays doit prendre ses responsabilités face à cette menace.
Est-ce que cette crise ne va pas écorcher l’image de la Belgique?
Il faut toujours voir les crises comme des opportunités. Il est évident que cette crise met en évidence des carences, des lacunes et des faiblesses. J’ai l’impression qu’avec ce diagnostic peu flatteur, les mesures prises par le Premier ministre et le gouvernement (18 mesures) sont de bonnes mesures. La situation actuelle est inouïe. Il ne faut pas la prendre à la légère. C’est du jamais vu. Cela a un impact économique et psychologique très fort.
Comment expliquez-vous qu’une commune comme Molenbeek soit un vivier de terroristes?
La Belgique a approuvé son « plan d’action contre le radicalisme » dès 2005. Celui-ci forme la base d’une approche intégrée globale des diverses formes de radicalisme et des formes de violence qui y sont liées. Ce plan est actuellement en cours de révision afin de renforcer l’intégration des différentes mesures et niveaux de pouvoir. La Belgique a choisi d’aborder cette problématique d’une manière holistique, assurant tant la prévention, la répression que le suivi. Les évènements de ces derniers jours prouvent que de nouveaux incidents et attaques ne peuvent jamais être exclus. Cependant, l’approche belge a prouvé sa valeur ajoutée.
Il n’en reste pas moins que l’intégration ne semble pas avoir fonctionné à Molenbeek…
Je crois effectivement qu’il y a des milieux où l’intégration ne se fait pas. Je pense depuis toujours que la Belgique n’est pas un pays d’assimilation, mais un pays d’intégration. D’ailleurs, l’assimilation, nous ne la souhaitons pas. Nous tenons à la diversité, nous estimons que c’est une richesse, mais une diversité dans l’intégration. Quand ce n’est plus de l’intégration, ce n’est plus de la diversité, c’est une société qui ne fonctionne plus. La clé d’une société, c’est une juridiction unique. C’est un concept fondamental. Et les religions dans notre vision laïque de notre société, quelles qu’elles soient, doivent respecter cette juridiction. C’est fondamental et non négociable. La liberté de culte fait partie de cette juridiction. Tous les citoyens sont égaux devant LA loi et non les lois. Pour les gens qui n’acceptent pas cela, alors il y a un problème. On peut avoir des petites mesures qui facilitent les choses, mais si on perd de vue qu’en Belgique il n’y a qu’une seule loi, alors oui il y a un problème.
Y a-t-il une bonne communication entre les autorités belges et luxembourgeoises?
Il y a une très bonne coopération entre les deux pays. C’est le Benelux et puis ils se connaissent. C’est l’avantage du Luxembourg : les circuits sont courts et les gens assez accessibles et très pragmatiques. C’est d’ailleurs assez agréable d’y travailler comme diplomate, car on arrive assez facilement à toucher les bonnes personnes comme des ministres, qui en plus sont disponibles et font preuve de réactivité.
Schengen est de plus en plus remis en cause…
Schengen est un grand et formidable acquis. Le problème, c’est que nous sommes restés dans une vision irénique de Schengen, mais il fallait un peu mieux défendre les frontières de Schengen. Car, par définition, Schengen ce n’est pas l’abolition des frontières, c’est seulement le déplacement des frontières. Un État sans frontières, une entité sans frontières, c’est mortel, cela ne fonctionne plus. Schengen est un avantage qu’il faut protéger.
Entretien avec notre journaliste Jeremy Zabatta