La délocalisation de la salle de shoot de l’Abrigado est actuellement sur toutes les lèvres. Qu’en est-il exactement? Le point avec le directeur du Comité national de défense sociale, Raoul Schaaf.
Différentes réunions ont eu lieu dernièrement au sujet d’une délocalisation de l’Abrigado. Quelles sont les orientations et intentions qui s’en dégagent ?
Raoul Schaaf : En effet, la Ville de Luxembourg et le ministère de la Santé ont récemment abordé une éventuelle délocalisation de l’Abrigado. Les discussions ont notamment porté sur la manière de réagir face à la problématique complexe de la situation actuelle dans les quartiers Gare et Bonnevoie ainsi que sur la prise en charge des toxicodépendants qui fréquentent le centre Abrigado. Moi-même, j’ai pris part à deux réunions, l’une avec l’échevin des affaires sociales de la Ville de Luxembourg, Maurice Bauer, et le responsable du service jeunesse de la capitale, Christof Mann, et l’autre, au ministère de la Santé, en compagnie du Dr Alain Origer et du directeur de la fondation Jugend- an Drogenhëllef, Günter Biwersi, mercredi dernier.
De quoi avez-vous parlé ?
Nous nous sommes penchés sur l’impact, après le confinement, du programme de prise en charge médicale et de substitution que l’on mène depuis avril 2020 à l’Abrigado. Et nous avons constaté qu’il faut absolument poursuivre cette démarche, car nous sommes parvenus à orienter des participants vers des sevrages et des thérapies ou bien vers un système de substitution encadré. Dans ce contexte, il faudrait aussi maintenant prévoir, et cela constitue une volonté de longue date des ministères de la Santé et de la Famille, d’augmenter sensiblement la possibilité de logement en habitations bas seuil, dans le cadre du projet « Housing First » mené par le Comité national de défense sociale (CNDS) depuis cinq ans environ. Avec ce projet, nous mettons des studios à la disposition des personnes éligibles qui le souhaitent, et cela, à vie. Mais il faut tout de même qu’elles respectent certaines conditions de base. L’objectif est que les bénéficiaires recommencent à faire certaines démarches administratives et à retrouver un peu de structure dans leur vie.
Des demandes qui différent
À propos de la délocalisation de l’Abrigado, un autre site que celui de la route de Thionville à Bonnevoie a-t-il été évoqué ?
Non, cela reste au stade des réflexions, mais une chose est claire : sur la base d’un questionnaire et d’interviews qui ont été menés en 2019 avec des clients de l’Abrigado, il est ressorti que la demande de notre clientèle féminine, qui représente environ 20 % de notre clientèle totale, diffère de celle de notre clientèle masculine. Et nous sommes convaincus qu’il y a un sens à effectuer une prise en charge séparée des femmes qui le souhaitent, car elles sont davantage vulnérables. Il y a donc une volonté de créer une prise en charge et un accompagnement spécifiques pour les femmes toxicodépendantes qui doivent faire face à un milieu de plus en plus violent.
Le projet serait donc de créer une prise en charge séparée pour les femmes, mais pas de trouver un nouveau site pour la structure de Bonnevoie ?
Est-ce que dans le futur l’Abrigado se trouvera à un autre endroit? À l’heure actuelle, cela n’a pas été discuté. Mais un des problèmes qui se posent est qu’il y a entre 180 et 190 personnes qui le fréquentent quotidiennement et que cela crée des nuisances et des tensions dans les alentours, que nous n’aurions pas si l’on avait trois centres fréquentés chacun par 60 personnes. D’où, aussi, cette volonté de créer une structure de prise en charge séparée pour les femmes. Pour le reste, si l’on parle de délocalisation, oui, cela doit certainement être fait sur le territoire de la Ville de Luxembourg, mais ça va de pair avec une délocalisation également dans les autres régions du pays. La solution miracle n’est pas celle de la création de salles de consommation à différents endroits du Grand-Duché, mais une solution pourrait être celle d’une prise en charge qui convient à la clientèle qui se trouve dans les différentes régions, notamment à Esch. Il s’agirait par exemple aussi d’élargir le programme de substitution au nord, à l’est ou à l’ouest du Grand-Duché.
Aucun terrain pour créer un nouveau site à Luxembourg n’a donc été évoqué ?
Pas du tout. Ce qui est clair est que si l’on effectue vraiment une délocalisation, cela sera surtout afin de réduire la concentration de toxicodépendants en un seul endroit et pour avoir une autre structure différente de ce qui existe à l’heure actuelle. Il est aussi évident que cela ne se fera pas à Cessange ou dans un autre quartier. En effet, il ne faut pas non plus trop s’éloigner des points de vente de drogue, sinon ce ne sera pas accepté par les consommateurs, qui ne vont pas forcément se déplacer. De plus, à mon avis, même en déplaçant l’Abrigado ou en créant une autre structure, on ne va pas forcément déplacer les dealers.
L’Abrigado se trouve actuellement route de Thionville, où le trafic est très intense, alors que les toxicodépendants traversent régulièrement la route sous l’empire de la drogue. N’est-ce pas également une bonne raison de déménager ?
Ce débat est déjà plus ancien, mais les gens qui sont en déplacement sur la route de Thionville ou sur la rocade de Bonnevoie sont habitués aux comportements de nos clients. Et puis, il n’y a jamais eu d’accident grave. Mais la situation actuelle n’est pas évidente, car l’Abrigado est entouré de chantiers : celui des CFL derrière, celui du tram à côté, ainsi que celui d’une entreprise de l’autre côté. D’ailleurs, le ministère de la Santé nous a accordé des portiers, aussi pendant la nuit, car avec ces chantiers, c’est un peu plus dangereux qu’avant.
Voir quelles sont les différents programmes pour toxicodépendants
Les horaires d’ouverture de l’Abrigado ont été élargis. Et les seringues sont distribuées par d’autres structures également. Était-ce une nécessité qui s’inscrit aussi dans le cadre de la volonté de délocalisation ?
Ce sujet a été abordé mercredi lors de la réunion au ministère de la Santé. Ce faisant, il s’agissait de voir quelles sont les possibilités des différents programmes pour toxicodépendants et d’analyser comment il est possible de les élargir et d’éviter, par exemple, qu’une personne qui habite dans le Nord vienne jusqu’à Luxembourg pour se fournir en seringues. De manière générale, on a souhaité voir de quelle façon on peut adapter les différents services qui sont déjà en place. Depuis un certain temps déjà, l’Abrigado est presque ouvert 24 h/24. Et on arrive peu à peu à un service de distribution et de reprise de seringues quasiment continu, sauf que les toxicodépendants doivent se diriger vers différents prestataires, mais ils savent où les trouver. On a aussi fait le tour des distributeurs automatiques de seringues, mais on a constaté qu’à moyen terme ce n’est pas la solution miracle : ils sont d’ailleurs régulièrement détruits, notamment à Esch.
Après les différentes réunions qui se sont tenues, quelle est désormais la suite ?
Des réunions de suivi sont prévues, à raison d’une par mois pour commencer. Le rythme va ensuite s’intensifier, car les projets de délocalisation et de mise en place de nouvelles façons de prendre en charge les toxicodépendants demandent aussi une certaine disponibilité au niveau des ressources humaines. Cela dit, je suis bien content qu’on aille dans une direction qui sera utile aussi bien à nos clients qu’à la population.
Plus généralement, jugez-vous que la perception que la population a des toxicodépendants est toujours aussi négative et forcément associée à la criminalité ?
Jusqu’à présent, on a toujours évoqué la situation de l’Abrigado et des personnes qui le fréquentent avec une connotation liée à la dangerosité et aux effets de nuisance sur la population. Mais j’ai l’impression que, de plus en plus, l’on considère les clients comme étant avant tout des personnes malades et dépendantes, qui ont besoin d’aide et d’un accompagnement, tout comme une personne alcoolique. Avec la possibilité de suivre un programme de substitution à l’Abrigado, on a fait un pas en avant dans le sens d’une décriminalisation. Certes, on peut toujours dire que la substitution, c’est remplacer une drogue par une autre. Ce n’est pas faux, mais dans le cas de la substitution, on reçoit sa drogue sur ordonnance et l’on bénéficie donc d’un suivi médical. Cela étant, si un client se dirige vers l’Abrigado, il est un criminel aux yeux de la loi, car il porte sur lui une substance qui est illicite, tandis que s’il suit un programme de substitution, il est théoriquement toujours en train de se droguer, mais cette fois au moyen d’une substance légalement vendue en pharmacie. De ce fait, il sort déjà de ce côté criminel lié à la consommation. La décriminalisation passe avant tout par la substitution!
Les mentalités seraient-elles en train d’évoluer ?
J’ai l’impression que oui. Mais peut-être suis-je trop optimiste…
Entretien avec Claude Damiani
déclarations vraiment ridicules. la situation de criminalité dans le Garre ou la Bonnevoie n’est jamais prise en considération.
donc pour bénéficier à une minorité de toxicodependants, il est nécessaire de créer des problèmes pour le reste de la population. De plus, il ne parle jamais des résultats … Je me demande où sont situés ces studios … également à Bonnevoie, j’imagine. Alors ils ne pensent pas à une solution au problème mais ils veulent aussi l’aggraver?