Le désormais ex-ministre socialiste Romain Schneider, marqué par les tragédies qui ont touché Camille Gira ou Félix Braz, a décidé de ne pas forcer la dose. Entré au gouvernement en 2009, l’homme politique nordiste a eu des dossiers compliqués à gérer. Rétrospective.
Le 5 janvier, Romain Schneider a quitté ses fonctions de ministre de l’Agriculture et de la Sécurité sociale. À 59 ans, le Nordiste pur sang a décidé de tirer sa révérence.
Des problèmes de santé l’ont poussé à mettre, plus tôt que prévu, fin à sa carrière politique longue de près de 30 ans.
L’ancien bourgmestre de Wiltz a accepté de nous accueillir pour une ultime interview, retraçant ses principales étapes dans les gouvernements emmenés par Jean-Claude Juncker et Xavier Bettel.
À quoi ressemble votre quotidien, une petite dizaine de jours après avoir quitté le gouvernement ?
Romain Schneider : J’en ai surtout profité pour dormir plus. Le rythme est bien moins intense. Je me suis beaucoup baladé avec mon chien et j’ai effectué plusieurs sorties à vélo. Pour le reste, je suis essentiellement occupé à m’organiser. Bon nombre de choses sont à clarifier.
Mon bureau à domicile est désormais débarrassé de tous les dossiers ministériels. J’ai rendu le matériel informatique qui avait été mis à ma disposition. Mais je ne cache pas non plus que je reste en contact avec mon successeur.
On ne tourne donc pas la page du jour au lendemain ?
Non. J’ai tous les jours Claude Haagen au téléphone. Je lui avais proposé de m’accompagner lors des deux dernières semaines ayant précédé la passation des pouvoirs, histoire de lui permettre de faire connaissance avec les équipes et avec les dossiers. Il peut toujours me contacter en cas de besoin.
Vous avez intégré le gouvernement en 2009 pour ne plus le quitter jusqu’à ce mois de janvier 2022. À quoi ont ressemblé vos débuts ?
En 2009, la priorité était de se familiariser avec les dossiers et la fonction. Mais à peine assermenté, j’ai eu à affronter la crise du lait. Des paysans de toute l’Europe sont venus manifester au Kirchberg en marge d’une réunion du Conseil des ministres européens de l’Agriculture.
Je ne connaissais pas encore trop mes collègues, mais les forces de l’ordre m’ont appelé pour pousser le ministre suédois, qui présidait les débats à l’époque, à sortir voir les agriculteurs afin de calmer un tant soit peu les esprits.
L’affaire du SREL est en 2013 venue mettre fin au gouvernement Juncker-Asselborn. Comment avez-vous vécu l’arrivée de la coalition tricolore inédite ?
Mon second mandat de ministre a été très agréable à vivre. Un véritable esprit pionnier a entouré ce nouveau gouvernement. Nous sommes allés de l’avant sans tarder. Le fait d’avoir déjà accompli une première législature comme ministre s’est avéré être un avantage.
Je tiens néanmoins à souligner que l’entente au sein du gouvernement a toujours été très bonne, que ce soit avec les ministres du CSV ou plus tard avec ceux du DP et de déi gréng.
Peut-on affirmer que ces deux dernières années ont été les plus dures, notamment à cause de la pandémie ?
Ce qui m’a marqué bien avant le début de la pandémie, ce sont les pertes successives de deux collègues du gouvernement. Camille Gira était un ami de très longue date. Nous avions étroitement coopéré aux niveaux régional et communal.
Son décès inopiné m’a vraiment frappé et je pense encore souvent à lui. Félix Braz est, lui aussi, devenu un ami personnel.
Ces deux tragédies ont-elles joué un rôle dans votre décision de quitter le gouvernement, d’autant plus que vous avez évoqué des raisons de santé pour expliquer votre retrait ?
Après les élections de 2018, je ne comptais plus forcément intégrer le gouvernement. Au vu de mon très bon score personnel, je n’avais pourtant pas vraiment le choix. Il était toutefois clair que je n’allais pas me représenter en 2023.
Les pourparlers avec Claude Haagen pour prendre ma succession ont été lancés assez tôt. Au départ, j’avais lorgné début mai ou fin juillet 2022 pour passer le flambeau.
Peu à peu, la pression interne est néanmoins devenue telle que je ne parvenais plus à bien dormir. J’ai eu affaire à des problèmes avec l’estomac et le côlon. Après une carrière politique longue de 27 ans et en ayant devant les yeux les graves accidents de Camille Gira et Félix Braz, sans oublier le décès d’Eugène Berger, je me suis dit qu’il valait mieux partir à temps.
Revenons à la pandémie. Comment les travaux se sont orchestrés au sein du gouvernement ?
La pandémie est venue tout chambouler. Dès le départ, la Sécurité sociale a occupé un rôle prépondérant. Grâce à sa manne financière, elle a pu prendre en charge le congé extraordinaire pour raisons familiales, gérer les certificats de maladie, réduire la charge financière des entreprises en gelant les cotisations sociales, etc.
D’autres ressorts tels que le Travail ou l’Éducation ont aussi eu fort à faire, sans parler de la Santé. Au printemps 2021, j’ai assuré l’intérim pendant six semaines au ministère de la Santé, lorsque Paulette Lenert était en arrêt maladie. La charge de travail était énorme, souvent jusque très tard le soir. Faire ce travail depuis deux ans est encore tout autre chose. Paulette Lenert mérite tout mon respect.
À quoi ont ressemblé les discussions au Conseil de gouvernement, souvent qualifiées de très tendues ?
Le plus important est que l’on n’ait jamais dû procéder à un vote. Cela est très crucial pour maintenir la confiance entre les partenaires de coalition. Il est vrai que l’on a beaucoup discuté. Le Premier ministre a toutefois bien géré les débats, en cherchant aussi en amont le contact avec les différents partis.
Si un point ne pouvait pas être clarifié avant un Conseil de gouvernement, il était tranché en grand comité. Même si on n’a pas toujours été du même avis, l’objectif demeure de prendre une décision pour avancer ensemble.
Quel bilan tirez-vous de votre mandat à la tête de la Sécurité sociale ?
La Sécurité sociale est un domaine très vaste. Pour faire fonctionner un système social fort, il vous faut disposer de caisses bien remplies, avec à la clé des réserves pour avoir une sécurité de planification. Le fonds de pension dispose aujourd’hui d’une réserve de 25 milliards d’euros.
L’on peut certainement remettre en question le placement de cet argent, mais la manne nous permet de verser les pensions pendant 4,6 ans sans toucher un euro de cotisation. De plus, les efforts faits par le fonds de pension pour devenir plus durable sont considérables. L’assurance maladie dispose toujours d’une réserve de 850 millions d’euros, ce qui correspond à 24 % des dépenses annuelles.
Le dossier le plus compliqué à gérer fut la réforme de l’assurance dépendance. À un moment, j’ai eu à subir des attaques personnelles dures à supporter, mais aujourd’hui, il est avéré que les bons jalons ont été posés, le tout en menant un dialogue constructif avec les différentes parties impliquées.
Le fameux mur des pensions existe-t-il toujours ?
Le mur a reculé, mais il est devenu plus haut. Il me semble clair que des adaptations devront être effectuées à un moment. Le prochain bilan décennal de l’Inspection générale de la sécurité sociale va être publié courant mars.
L’analyse avec les partenaires sociaux et au sein du gouvernement doit être menée avec sérénité.
L’agence eSanté et le retard pris pour introduire le tiers payant généralisé sont critiqués. Quel est l’héritage laissé à votre successeur ?
Le tiers payant est sur les rails. Pour l’introduire, il faut pouvoir compter sur tous les partenaires impliqués. On a besoin des assurés, de la CNS, des médecins et du ministère. Le cadre est posé. Les choses doivent désormais bouger.
L’agence eSanté aura un rôle important à jouer. Deux études sont en cours afin de faire le point sur les forces et faiblesses de l’agence.
Les associations de défense de l’environnement ont également attaqué le ministre de l’Agriculture que vous êtes en fin de mandat. Partez-vous avec rancœur ?
Certains propos ont été malheureux. Bien plus positifs furent les nombreux messages et appels pour venir me soutenir. Mon engagement envers les agriculteurs n’est pas à remettre en question. Une discussion avec ceux qui m’ont attaqué a eu lieu et l’affaire est close. Cela ne change rien au fait que l’agriculture est confrontée à une situation particulière.
On a besoin de ce secteur pour assurer notre alimentation. En même temps, il doit contribuer à protéger l’environnement et la biodiversité. Les jeunes agriculteurs sont tout à fait disposés à s’engager dans cette voie. Et même les plus anciens se disent lassés d’être toujours considérés comme les grands pollueurs.
Un tout autre ressort a été celui de la Coopération (2013-2018). Quelle est l’impression que vous a laissé ce ministère ?
La Coopération m’a forgé sur le plan personnel et politique. Ce fut une formation continue pour mieux comprendre les rouages politiques. Le ministre de la Coopération est en quelque sorte un second ministre des Affaires étrangères. On rencontre les plus hauts dignitaires mondiaux à l’échelle des Nations unies.
Vous rencontrez aussi les présidents des pays cibles. La présidence européenne de 2015 m’a permis de représenter l’UE à de nombreux niveaux. Ce sont toutefois les projets réalisés dans les pays en voie de développement qui m’ont le plus marqué.
De 2009 à 2018, vous avez aussi été ministre des Sports. Quel a été le dossier le plus compliqué à négocier ?
D’un côté, je retiens les nombreux succès de nos athlètes, l’organisation des Jeux des Petits États européens (JPEE) en 2013 au Luxembourg, mais aussi le passage du Tour de France en 2017. J’entretiens jusqu’à aujourd’hui un très bon contact avec le directeur du Tour, Christian Prudhomme.
Après l’échec du projet à Livange, personne ne voulait plus vraiment du nouveau stade national
De l’autre, le projet de construction d’un nouveau stade national a été un champ de mines politique. Après l’échec du projet à Livange, personne ne voulait plus vraiment de cette enceinte.
La volonté politique n’était plus présente pour réaliser un tel projet. En fin de compte, sans le soutien politique de Lydie Polfer (NDLR : députée-maire de Luxembourg), le nouveau stade ne serait toujours pas sorti de terre.
De tous ces différents ressorts, quel a été votre préféré ?
En tant qu’ancien footballeur, j’ai beaucoup apprécié d’avoir pu être ministre des Sports. Ce ressort vous permet d’être en contact avec beaucoup de personnes. Il en était de même avec l’Agriculture.
Habitant moi-même à la campagne, j’ai toujours eu un contact direct et étroit avec les paysans. Au fil des ans, je suis devenu un fervent défenseur des agriculteurs.
Comment voyez-vous l’avenir de votre parti ? Paulette Lenert peut-elle vraiment devenir la première Première ministre du Luxembourg ?
Ce qui fait actuellement la force du LSAP est son calme et son esprit d’équipe. Nous pouvons discuter ouvertement sans que quelqu’un se sente vexé. De plus, nous avons la chance de disposer avec Paulette Lenert d’une ministre qui fait un excellent boulot, mais qui dispose aussi d’énormes qualités humaines.
Si elle parvient à garder ce côté posé, aussi au-delà de la pandémie, Paulette Lenert dispose de grandes chances de mener une bonne campagne électorale, avec le soutien d’une forte équipe.
Sous ces conditions, le LSAP peut figurer parmi les vainqueurs des législatives de 2023 et revendiquer le poste de Premier ministre.
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