Le chef d’état-major de l’armée, le général Romain Mancinelli, fait le point sur la restructuration de l’institution qu’il dirige. Réformes, recrutement ou encore communication à soigner : le général décrypte les défis de l’armée.
Vous avez succédé au général Mario Daubenfeld à la tête de l’état-major, en décembre 2014. Quel regard portez-vous sur les 15 mois écoulés depuis?
Romain Mancinelli : J’ai repris le flambeau avec une nouvelle équipe, tout en apportant ma propre vision. Le général Daubenfeld était parvenu à apporter une certaine stabilité après des années agitées. Des réformes s’imposaient. Celles-ci seront finalisées dans le courant de l’année et nous pourrons les mettre en œuvre dès 2017. Du moins je l’espère.
Que fallait-il réformer?
Un grand nombre de choses : le renforcement de l’aide à la décision, l’amélioration de la capacité d’anticipation, la révision des structures, des procédures et des textes légaux, la communication externe, la formation des cadres, la numérisation des processus internes… Il fallait également trouver un consensus sur l’engagement militaire que souhaite prendre le pays à moyen terme et assurer ce qui s’avère être une spécificité de notre armée, à savoir la reconversion de nos soldats dans le civil, à la fin de leur service militaire.
Un travail de longue haleine?
Effectivement. Je me félicite de la bonne collaboration avec le ministre de la Défense, Étienne Schneider, la secrétaire d’État Francine Closener et la direction de la Défense : nous n’avons pas chômé et j’ai pu compter sur notre grande collégialité! D’un point de vue personnel, je dois reconnaître que cette restructuration a été très intense et assez épuisante. Mais nous sommes sur la bonne voie, grâce notamment au soutien des politiques et à une équipe engagée!
Le terrorisme a endeuillé 2015 et ne semble pas s’atténuer en 2016. Sans vouloir bafouer la confidentialité entourant le secret-défense, peut-on dire que le Luxembourg est une cible potentielle du terrorisme islamiste et à quel instant l’armée pourrait-elle être amenée à être déployée?
Cette question n’est pas du ressort de l’armée mais des politiques. La réponse leur appartient.
Il semble que l’armée connaisse des difficultés à recruter. Le niveau des examens d’entrée s’avère-t-il trop élevé ou constatez-vous une baisse de l’attractivité de la carrière militaire?
Les tests de sélection requièrent un certain niveau d’études, alors que l’instruction de base qui suit demande certaines aptitudes physiques. Nous sommes confrontés à un phénomène sociétal, car les candidats qui postulent sont le reflet de la société. Certains n’ont pas le niveau en langues ou en arithmétiques et ne passent pas outre la sélection. D’autres éprouvent des difficultés lors de l’instruction de base, au niveau de leur endurance physique et de ce qu’on appelle les blessures de fatigue, car ils n’ont pas l’habitude de faire des efforts physiques. Ce phénomène est nouveau, mais nous sommes en train de voir comment remédier à cette question, avec Francine Closener : dans ce cadre, nous avons mandaté le Luxembourg Institute of Health pour tenter de trouver des solutions concernant les tests sportifs, médicaux.
Le niveau des tests n’est en tout cas pas remis en question : l’armée n’a pas besoin de sportifs de haut niveau! Cela étant, l’armée n’est pas la seule à rencontrer des difficultés de ce type : la police peine également à recruter.
Mais faut-il avoir une vocation ou la fibre militaire pour entrer dans l’armée?
Si fibre militaire rime avec esprit militaire, alors non, pas du tout! L’armée est une institution où les candidats volontaires seront instruits et où on leur inculquera nos valeurs. Si certains d’entre eux se rendent compte qu’ils ne sont pas faits pour l’armée (ou la « res militari »), ils nous quitteront prématurément. Pour ceux qui font leur service complet, on les aidera dans leur reconversion en les réintégrant dans le civil. Nous n’avons, en tout cas, plus de déserteurs depuis longtemps!
Dans ce cadre, quelle est l’importance donnée par l’armée à sa communication externe?
La communication est primordiale pour l’armée et un expert en communication viendra nous renforcer sous peu. Car même si nous avons une société externe qui nous épaule de temps en temps, ce sont nos officiers et sous-officiers qui sont chargés de la communication externe. Or ce ne sont pas des professionnels de la communication. L’expert qui sera recruté constituera un noyau de communicants professionnels autour de lui afin de développer la communication au niveau des réseaux sociaux, parce que l’on y est absent. Les communications interne et externe, ainsi que les relations presse seront également du ressort de l’équipe de cet expert qui ne sera pas que le porte-parole du chef d’état-major.
Comment jugez-vous l’image de l’armée dans la population?
C’est subjectif, mais je suis d’avis qu’elle est bonne. Cela dit, elle doit en permanence être améliorée.
Et il s’agira aussi de trouver un juste milieu entre ce qui peut être dit à la population et ce qui relève du secret-défense?
En tant que conseiller militaire du ministre de la Défense, je dois m’accorder en amont avec le nouveau directeur de la Défense, Patrick Heck (NDLR : ancien directeur du Service de renseignement de l’État, SREL), qui est, lui, le conseiller politique du ministre.
Nous allons d’ailleurs prochainement être réunis dans le même bâtiment pour créer encore davantage de synergies et afin de peaufiner ensemble le repositionnement de la défense et de l’armée. Cela étant, il y aura toujours une séparation entre le politique et le militaire. L’arrivée de Patrick Heck ne peut qu’être bénéfique, étant donné qu’il connaît bien les dossiers politico-militaires, pour avoir également été à la Représentation du Luxembourg auprès de l’OTAN. Cela constitue une valeur ajoutée.
Recueilli par Claude Damiani
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