La transition ne fait pas demi-tour, elle avance autrement. Rob Hopkins, le leader de Transition Network, évoque le pouvoir de l’imagination comme instrument de lutte contre le changement climatique.
Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Ou on changerait le monde. Et si on y arrivait ? Et si on en avait le pouvoir, tous ensemble, grâce à un outil puissant qui est en chacun de nous? Cet outil, c’est l’imagination. En s’en servant bien, les rêves peuvent devenir réels.
Cette théorie, dans l’esprit de celle prônée par John Lennon dans sa chanson Imagine, a été développée jeudi soir à l’abbaye de Neumünster par Rob Hopkins, initiateur du réseau de villes en transition et vecteur d’ondes positives, venu présenter son dernier ouvrage Et si…? – Libérer notre imagination pour créer le futur que nous voulons. Quelle belle idée que de pouvoir rêver d’un monde idéal loin de l’urgence climatique et des inégalités sociales, et de rencontrer des personnes prêtes à essayer de faire de ce rêve une réalité.
Imaginer le futur et le construire. L’idée a de quoi séduire et Rob Hopkins la vend bien. Il a su susciter de l’engouement partout dans le monde en démontrant que «la transition écologique ne signifie pas retourner vivre dans une caverne et manger des pommes de terre crues». Au contraire, pour Rob Hopkins, cela signifie préparer les sociétés au mieux à l’effondrement énergétique qui nous attend. Grâce à la résilience, mais aussi au partage et à la solidarité. La transition encourage à réfléchir ensemble et à penser en société à la mise en œuvre d’actions concrètes.
«Imaginer son rôle dans un monde nouveau»
«Le changement climatique est un échec de l’imagination, estime Rob Hopkins. Pourquoi est-ce le cas alors que nous faisons face à une situation qui demande que nous reconstruisions tellement de choses que nous considérons comme normales? (…) Le psychologue John Dewey a décrit l’imagination comme la faculté de voir les choses différemment. S’il y a bien un moment où nous devrions maîtriser cet art de voir les choses différemment, c’est maintenant.»
Cependant deux problèmes subsistent : l’humain a peur du changement et le monde ferait actuellement face au déclin de l’imagination. La faute aux écrans et aux modes de vie modernes qui ne lui laissent guère de place. Rob Hopkins a donc développé des méthodes et défini les conditions idéales pour la muscler.
L’auteur ne prône pas la révolution, mais juste le droit d’essayer, «d’imaginer son rôle dans un monde nouveau». À force d’imaginer les choses seul ou collectivement, on finirait par arriver à les transposer dans la réalité. Les exemples ne manqueraient pas, au sein de son réseau notamment. Et si cela ne marche pas, «on apprend de ses erreurs et on partage son expérience avec d’autres» pour mieux recommencer.
«Act local, think global»
Pleine de bienveillance et d’optimisme, la théorie de la transition fédère. Au-delà de l’idée de lutter contre le changement climatique et de revenir à un monde plus juste et moins basé sur le profit, elle réconforte et élève ses pratiquants. Chacun peut-être important. Un petit projet local peut faire des émules, être repris, copié. On en arrive au principe «act local, think global». Cela peut aller de la création d’une brasserie, d’un moulin et d’une boulangerie sous un seul toit à la création d’une forêt urbaine au Pré-Saint-Gervais à Paris en passant par l’idée de Liège de devenir une ville de transition, là où d’autres veulent devenir des «smart cities».
«Il y a cinq ou six ans, le réseau transition à Liège s’est dit : « Et si, en l’espace d’une génération, tous les fruits et légumes consommés par les habitants de la ville étaient cultivés en région liégeoise? »», rapporte Rob Hopkins.
«En cinq ans, ils ont créé 25 coopératives, récolté 5 millions d’euros d’investissements de personnes de la région qui soutiennent leur cause, construit une ferme et une brasserie, planté deux vignobles et lancé quatre magasins au centre de Liège où ils vendent la production des agriculteurs au prix souhaité par ces derniers. (…) Il n’est pas question de partir en guerre contre les supermarchés, mais de construire quelque chose de meilleur.»
Il ne s’agit pas non plus d’imaginer l’inimaginable. Et surtout, selon Rob Hopkins, il est impératif d’éviter les «oui, mais» qui sont rédhibitoires. Les projets comme celui de Liège sont inspirants et prouvent que sa théorie est viable. Ils instillent le pouvoir de l’imagination dans les esprits et permettent de transformer des terrains vagues en lieux de rencontre, la manière de produire et de distribuer un produit, et pourquoi pas le parvis des hauts-fourneaux en jardin.
«La force du oui»
Liège n’est pas la seule ville de transition. «Mexico City a son ministère de l’Imagination. Son rôle est de veiller au bien-être de l’imagination», indique Rob Hopkins. «Autre exemple, en 2012, la municipalité de Bologne a remarqué que la participation aux élections était en baisse. (…) Elle a réalisé qu’il fallait du changement et a créé le bureau de l’imagination civique. Six laboratoires installés dans la ville organisent des manifestations qui permettent à la communauté de développer des questions commençant par « Et si…? » Ils ont le soutien de la municipalité pour les transformer en réalité. Cinq cents projets ont été réalisés depuis.»
Les municipalités, les gouvernements, les entreprises devraient, selon l’auteur, se faire le devoir de suivre cet exemple : «C’est ainsi que nous pourrons accélérer le mouvement.» Pour conclure, il résume ainsi sa philosophie : «Il s’agit, dans les endroits où nous vivons, de donner le goût aux autres de donner vie à un projet, d’interagir, de voir, de sentir et de goûter à un autre type d’avenir.»
Et si cette «force du oui» ne suffit pas pour faire changer les dirigeants, il ne faudrait pas hésiter à dire «le bel et audacieux non» représenté par des mouvements comme Extinction Rebellion, Black Lives Matters et d’autres organisations. Sans oublier de peser de tout notre poids de consommateurs-acteurs dans la balance.
Sophie Kieffer
Transition Days, le programme
Le mouvement au Luxembourg est représenté par neuf groupes. Pour gagner en visibilité, le réseau organise des Transition Days tous les deux ans. Ils sont l’occasion de répondre à une question et de convier Rob Hopkins pour la deuxième fois au Luxembourg.
Cette année, son organisation, chamboulée par le Covid-19, a été revue. Neuf conférences, neuf évènements publics, neuf vidéos de performances artistiques, des ateliers et 33 défis (4 par mois pendant 8 mois, et un seul en septembre) sont proposés. La liste complète des évènements qui seront organisés jusqu’en mai prochain est disponible sur transitiondays.lu.
Rob Hopkins, leader, auteur et influenceur
Rob Hopkins est un enseignant en permaculture britannique, initiateur en 2005 du mouvement international des villes en transition (Transition Network) et de Transition Town Totnes en 2006, qui fut la première mise en application de sa théorie. Depuis, le mouvement est devenu international et compte plus de 960 initiatives officielles dans le monde sur plus de 5 000 répertoriées.
Rob Hopkins est également l’auteur de The Transition Handbook, The Transition Companion, The Power of Just Doing Stuff, 21 Stories of Transition et plus récemment de From What Is to What If : Unleashing the Power of Imagination to Create the Future We Want, dans lesquels il explique la philosophie du mouvement et ses points forts ainsi que ce qui le différencie des autres mouvements comme les mouvements écologistes. Il présente également la série de podcasts «From What If to What Next» qui invite les auditeurs à envoyer leurs questions «Et si…?» et explore ensuite la manière de les concrétiser.
En 2012, il a été élu parmi les 100 meilleurs environnementalistes par The Independent et figurait sur la liste des 50 nouveaux radicaux britanniques établie par Nesta et The Observer. Hopkins est également apparu dans le phénomène cinématographique français Demain et sa suite Après Demain.
Il peut également être suivi en ligne sur son blog robhopkins.net, sur le site transitionnetwork.org, sur le compte Twitter robintransition ou sur le compte Instagram robhopkins5085.