Un groupe Facebook milite pour la réunification des deux Luxembourg. Il semble que ses membres soient les seuls enthousiastes à cette idée malgré les nombreux points communs qui unissent les deux voisins.
Les frontières sont poreuses entre le Luxembourg et le Luxembourg belge et les ancêtres souvent communs. Les Belges ont un oncle du Luxembourg et les Luxembourgeois des cousins belges. Les uns passent la frontière pour aller travailler, les autres l’empruntent en sens inverse pour aller se promener. De plus en plus de Luxembourgeois rentrent chez eux à Athus, Musson, Attert… On se retrouve au milieu, à la Gäichel, pour déguster un Maitrank au printemps. Finalement, la frontière s’efface. Qu’on soit né d’un côté ou de l’autre, on ne se sent pas tout à fait en pays étranger quand on la franchit. Qu’ils aient été de la Hetchegass autour de la Knippchen ou de la Ënneschtgass an der Stad, nos grands-parents parlaient plus ou moins la même langue et se retrouvaient à Remich pour manger une friture, à la Kräizerbuch ou à l’Écu de Bourgogne, place Léopold à Arlon. Certains provinciaux parlaient luxembourgeois avant de parler français et certains Luxembourgeois s’enorgueillissaient de parler un français parfait et sans accent.
Le tableau paraît idyllique et la fraternité évidente. Pourquoi ne pas réunir à nouveau ce qu’autrefois l’Histoire et les intérêts géopolitiques ont désuni ? L’idée n’est pas nouvelle, mais elle n’a jamais abouti. Pour se marier, il faut être deux. Si, comme le suggère à nouveau le groupe Facebook «Réunification du Luxembourg belge au Grand-Duché de Luxembourg» fort de plus de 11 000 membres (le nombre ne cesse de croître), une partie de la province serait prête à se faire passer la bague au doigt par ce beau parti qu’est le Grand-Duché, ce dernier ne semble pas intéressé. Il préfère être au centre d’une Grande Région – qui reflète bien mieux ses affinités culturelles et ses intérêts économiques – que de conclure une union avec sa voisine wallonne.
Les bourgmestres belges pas favorables
Côté belge non plus, on n’est pas prêt à quitter son royaume et à risquer ainsi son effondrement. Josy Arens, bourgmestre d’Attert, qui a le cœur et le carnet de famille à cheval sur la frontière, a indiqué à nos confrères de La Meuse Luxembourg que «nous sommes d’abord belges. Pour ma part, avant d’envisager une réunification, je crois en la réforme de la Belgique. (…) Vient ensuite le rapprochement avec le Luxembourg, que j’envisage comme un rapprochement qui ne serait pas politique, dans un premier temps en tout cas».
À Aubange, on ne croit pas davantage à la concrétisation de cette réunification des deux Luxembourg. Pire, on ne la souhaite carrément pas, même si on entretient d’excellentes relations avec le voisin luxembourgeois. «À titre personnel, je ne suis pas favorable à une réunification, indique Jean-Paul Dondelinger, bourgmestre de la commune. Je peux comprendre que les citoyens belges rêvent d’avoir la même fiscalité que les grand-ducaux, mais la fiscalité évolue perpétuellement et, actuellement, personne ne sait dire ce que sera la fiscalité luxembourgeoise demain.» Il balaye ainsi un des principaux arguments du groupe Facebook. «Je ne suis pas persuadé que, même si les communes de l’arrondissement d’Arlon, dont les bourgmestres parlent tous luxembourgeois, sont très proches du Luxembourg, le reste de la province soit aussi favorable à une fusion. Les inconvénients seraient plus importants que les avantages : comme le niveau de vie ou le coût du logement», poursuit celui dont la maman était luxembourgeoise. Il appuie ce dernier argument en rappelant que dans les années 1990, «une liste électorale s’est présentée aux élections provinciales avec comme objectif le rattachement de l’arrondissement d’Arlon au Luxembourg. Il n’ont pas récolté de voix !». Comme Josy Arens, il estime que «nous sommes belges» et qu’une réunification «ne va pas se faire en un claquement de doigts».
Un référendum et un manifeste
Les responsables du groupe Facebook sont convaincus de la possibilité de cette réunification et s’y préparent. «Nous recherchons des soutiens, contributeurs et experts des deux côtés de la frontière, notamment dans les domaines suivants : environnement, énergie, histoire, géographie, démographie, agriculture, culture, enseignement, services publics, soins de santé, économie et immobilier. Toutes les personnes constructives et positives sont les bienvenues !», indiquent ses responsables dans les colonnes de La Dernière Heure. Le groupe appelle à une consultation populaire des deux côtés de la frontière après analyse des atouts et des synergies possibles. «Nous sommes occupés à nous structurer, précisent-ils. Nous voulons nous entourer de juristes et d’historiens. Ensuite, un manifeste sera rédigé. Notre groupe, apolitique, espère faire bouger les lignes.»
Le texte de la pétition décrit la province de Luxembourg comme «une excroissance de la Belgique» depuis sa création, «désertée par les investissements publics», dont «60% de la population active de l’Arelerland vit sa journée au Grand-Duché dans le cadre de son travail, de son approvisionnement, de sa vie sociale ou économique». Les membres du groupe recherchent la sécurité «à l’heure où l’éclatement inéluctable de la Belgique se précise» et où la province de Luxembourg «ne pourra pas se gérer seule». En échange, les provinciaux promettent de «lui apporter notre dynamisme et participer ainsi à la prospérité de notre nouveau pays».
«Approfondir les relations entre nos deux pays»
L’attention est louable, la dote est belle, mais le gâteau peut-il être partagé ? Vincent Magnus, bourgmestre d’Arlon, sourit. «Le projet est attachant, mais on est dans la politique fiction. (…) Je crois que ce qui est important – nous le faisons de manière régulière – est d’approfondir les relations entre nos deux pays», note-t-il, «J’encourage les Belges qui travaillent au Luxembourg à apprendre le luxembourgeois. Cette langue prend de plus en plus d’importance auprès des Luxembourgeois qui veulent retrouver leurs racines et ont tout à fait raison.» Quant à l’aspect fiscal, le bourgmestre encourage la création d’une zone franche le long de la frontière pour «donner des avantages aux entreprises» qui s’y établissent. «Il faut être réaliste. Les combats que nous devons mener se situent à un autre niveau que celui-là, assure Vincent Magnus. Je n’entends jamais les Luxembourgeois dire qu’ils veulent s’unir à la province de Luxembourg. Le débat est amusant, mais n’est fondé sur aucune réalité politique.» Le projet ne serait absolument pas à l’ordre du jour et entraînerait de nombreuses réformes dans les deux pays.
Sur une note plus humoristique, Vincent Magnus rappelle que «Xavier Bettel est marié à un Arlonais !». Une jolie image pour rappeler que ce qui unit les Belges et Luxembourgeois dépasse la politique.
Sophie Kieffer
«Les Luxembourgeois ont forgé leur identité»
Ce désir de réunification fait partie de l’histoire entre les deux pays. Depuis 200 ans, des mouvements issus de Belgique tentent régulièrement leur chance.
Le Grand-Duché et la province de Luxembourg vont-ils un jour être réunis à nouveau dans une même entité ? En plus de 200 ans de séparation, la frontière entre les deux pays n’a pas bougé. Point de fils barbelés, mais une réticence de la part du Luxembourg à se réunir à sa partie amputée par le congrès de Vienne en 1815 et de la part des habitants de la province, fiers d’être belges.
Malgré tout, l’ambiguïté règne. Régulièrement, côté belge, des amoureux transis se réveillent et déclarent leur flamme à un Luxembourg heureux d’être courtisé, mais qui tient dur comme fer à son indépendance. Dans les années 1980, Jacques Santer, alors Premier ministre du Luxembourg, avait dû refuser une demande en raison de la crise de la sidérurgie qui frappait le pays. Ce n’était pas le moment.
Discussion sans fin
Si aujourd’hui, la raison de ce désir de réunification est avant tout fiscale, en 1839, après la création de la Belgique par le traité de Londres, dans certains milieux intellectuels belges, on s’en voulait, relate Jean-Marie Majerus dans «L’affirmation de l’indépendance luxembourgeoise, 1815-1919», d’avoir abandonné la moitié des Luxembourgeois. Le désir de les rapatrier se fait jour. «L’argument est puissant mais faiblit au fil des années dans la mesure où les Luxembourgeois forgent leur propre identité», écrit l’historien.
Près de trente ans plus tard, en 1867, alors que la forteresse est démantelée et que le Grand-Duché est déclaré État indépendant et neutre afin d’éviter un conflit entre la France et la Prusse, le peuple est inquiet de ce nouveau statut. S’il est exclu de s’allier à la Prusse, les Luxembourgeois lorgnent du côté de la France. La Belgique retente sa chance et réitère son offre que le Luxembourg refuse. «Il est frappant de constater qu’aucun mouvement populaire ne se manifeste au Luxembourg pour un retour vers la Belgique, et cela moins de trente ans après la séparation. Le temps a fait son œuvre. Les Luxembourgeois se sont éloignés mentalement de la Belgique», estime Jean-Marie Majerus.
«J’ai 63 ans et je crois que je ne verrai jamais le bout de cette discussion», sourit Vincent Magnus, bourgmestre d’Arlon.
S.K