Dans quelques jours, Robert Urbé prendra sa retraite après 30 ans passés chez Caritas Luxembourg. Retour sur une carrière dédiée aux autres.
Après 30 ans au sein de Caritas Luxebembourg à dénoncer les inégalités et défendre les causes sociales, son ancien président du comité de direction, Robert Urbé, prendra sa retraite le 31 décembre.
Il revient sur sa carrière et ses combats, livre sa vision sur les actions du gouvernement et nous décrit ses nouveaux objectifs.
Comment profitez-vous de votre retraite ?
Robert Urbé : Ma retraite comporte un volet privé et un volet professionnel. Depuis trois ans, je suis un expert indépendant pour la Commission européenne en ce qui concerne les questions d’inclusion et de protection sociale au Luxembourg.
La Commission entretient un réseau d’experts indépendant dans 35 pays d’Europe et j’en suis le coordinateur pour le Luxembourg. Avec une équipe, nous avons pour mission d’écrire chaque année entre sept et huit rapports sur des thèmes différents.
Par exemple, le prochain sera sur l’accès à la protection sociale des personnes handicapées. Mon contrat se terminera en septembre 2022. Du côté privé, j’ai repris une résidence à Bonn, là où j’avais fait mes études. Je m’y plais beaucoup.
Concernant Caritas, au 31 décembre 2021, ça sera définitivement terminé.
Après 30 ans chez Caritas, est-il possible de réellement arrêter ?
Oui, c’est possible d’arrêter. Il s’agit d’avoir des plans au niveau professionnel et privé, je ne me retrouve pas sans objectif. Donc tout se déroule parfaitement. Depuis 2017, je me suis préparé à cela, c’est une retraite en plusieurs étapes qui s’achève à présent.
Quels sujets retiennent votre attention au Luxembourg ?
Les questions de pauvreté et d’inégalités, le sujet des familles monoparentales, la garde des enfants et la gratuité de l’éducation. À propos de l’éducation, il faudrait apporter plus d’égalité dans les possibilités offertes par le Grand-Duché.
Notamment au niveau des langues, la question des langues rend l’éducation très difficile au Luxembourg. Aussi, la question du logement est l’une des plus urgentes à traiter. Jusqu’ici, toutes les réactions ont été trop peu audacieuses.
Que pensez-vous des actions du gouvernement sur les questions d’inégalités ?
Je trouve que le gouvernement ne fait pas réellement de choix pour résoudre les questions d’inégalités et de pauvreté. Il se réjouit quand la Statec constate que pendant la crise sanitaire la pauvreté n’a pas augmenté. Mais cela est conclu, selon moi, via des procédés un peu douteux.
J’aimerais que l’on nous communique des chiffres plus fiables. Le gouvernement n’a de toute manière pas fait beaucoup de choses pour avoir des résultats. Dans notre Almanach social, il y a des revendications qui reviennent d’année en année depuis 15 ans et rien n’a été fait.
Il y a 15 ans, on ne parlait pas de pauvreté au Luxembourg
Pensez-vous que l’Almanach social a un réel impact sur les décisions du gouvernement ?
Il est clair que personne, ni dans le gouvernement ni ailleurs, ne lit l’Almanach social du début à la fin. Il s’agit plutôt d’un recueil dans lequel les lecteurs vont chercher les avis de Caritas sur tel ou tel sujet. Cependant, durant ces 15 années de publications, nous avons vu un certain nombre de choses se réaliser alors que nous les avions préconisées quelques années auparavant dans l’Almanach.
C’est difficile d’établir une relation de cause à effet, mais il y a un certain nombre de résultats qui sont bien là. Il reste tout de même beaucoup de sujets où nous n’avons pas réussi à obtenir de réactions. Je pense qu’il faut retenir deux points.
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Il y a 15 ans, on ne parlait pas de pauvreté au Luxembourg. On disait qu’il s’agissait de « faux pauvres« . Le Premier ministre de l’époque avait même utilisé le terme de « pauvres de statistiques« . Je crois qu’avec Caritas, nous avons réussi à mettre en avant qu’il y a des pauvres au Luxembourg et qu’il était nécessaire d’agir. Surtout que les inégalités n’ont pas cessé d’augmenter.
Pour le second point, si aujourd’hui Caritas élève sa voix pour les pauvres, on l’écoute. Ce n’était pas le cas, il y a 15 ans. On a réussi à créer un débat sur la pauvreté et Caritas a trouvé sa place dans ce débat. Voilà deux résultats dont je me réjouis.
Comment Caritas est-il devenu un acteur majeur au Luxembourg ?
Caritas ne communique pas pour dire n’importe quoi, n’importe où et n’importe quand. Quand on parle de tel ou tel sujet, il s’agit toujours de réalité que l’on a vu sur le terrain. Nous ne sommes pas des théoriciens, nous sommes en contact quotidien avec les pauvres.
Aussi lors de nos revendications, nous n’avons jamais attaqué personnellement des politiques. Nous avons toujours été polis envers eux ou si nous attaquions, nous attaquions l’institution, mais pas la personne.
Le covid a-t-il mis en lumière les inégalités ?
Durant cette période de crise sanitaire, nous avons mis en place une hotline dès le début de la pandémie. Parmi les appels que nous avons reçus, plus de 60 % concernaient des personnes qui jusqu’alors n’avaient jamais eu besoin de recourir à des services sociaux.
Des personnes qui ont toujours pu s’en sortir, mais qui, à présent, ont des difficultés. Cette expérience concrète montre qu’il y a une aggravation de la pauvreté et des inégalités pendant la crise covid.
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Quand nous aurons les chiffres officiels, l’an prochain, il s’agira de les lire dans le détail afin de voir quels groupes sont les plus touchés et quelle est la gravité de la pauvreté. Un chiffre peut cacher des réalités très différentes.
Pouvez-vous nous rappeler la naissance de l’Almanach social ?
Il y a plusieurs facteurs qui sont à la base de l’Almanach. Dans le passé, j’aimais rédiger des avis sur la politique, j’avais donc une certaine expérience. En 2005, au moment où le Luxembourg accédait à la présidence du Conseil de l’Union européenne, nous avons créé chez Caritas, une cellule pour suivre les travaux de la présidence sur certaines thématiques.
On s’est intéressé aux questions de la migration, à la question du Kosovo et sur les objectifs de Barcelone en ce qui concerne la petite enfance. À ce moment, nous avons commencé à développer un travail politique. Nous avions alors des échanges avec nos confrères de Caritas Suisse. Ils produisaient depuis quelques années un Almanach social.
Là est venue l’idée de créer quelque chose de similaire dans la continuité de notre travail politique. En 2007 est sortie la première édition de l’Almanach sur les inégalités sociales.
Y a-t-il une édition qui vous a particulièrement marqué ?
Je ne pourrais pas ressortir un des almanachs en particulier, car je vois ça comme une sorte de développement. L’Almanach devient meilleur d’année en année.
Je pense que c’étaient des années très riches en expérience
En 1991, comment êtes-vous entré chez Caritas ?
En 1991, je réalisais une expertise pour Caritas en tant que freelance. Par la suite, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions très bien travailler ensemble et en décembre 1991, je suis devenu secrétaire général. Mais je n’étais pas encore salarié.
J’ai attendu le mois d’avril 1992 pour être employé. C’est l’ancien secrétaire général de Caritas qui m’avait approché pour savoir si j’étais prêt à l’accompagner dans cette aventure. Il m’a convaincu et j’ai rejoint l’équipe.
De toutes ces années, je ne regrette rien, car je pense que c’étaient des années très riches en expérience. Soutenir ceux qui étaient dans le besoin, s’occuper des populations les plus vulnérables et travailler avec une équipe formidable. Je n’ai aucun mauvais souvenir. J’ai vécu 30 années bien remplies et très fructueuses.
Comment va se dérouler la passation de savoir chez Caritas ?
Une telle passation n’est pas quelque chose de très facile. Il y a une petite équipe en place qui a pris la relève après avoir travaillé avec moi pendant plusieurs années. À présent, ils vont trouver leur propre façon d’opérer.
D’ailleurs, lorsque l’Almanach de cette année est sorti nous avons clarifié qu’il s’agirait du dernier et qu’à l’avenir, il y aurait autre chose. Pour le moment, je ne connais pas la forme que cela prendra. C’est entre les mains de mes anciens collègues qui planchent actuellement dessus.
Avez-vous organisé quelque chose pour votre départ ?
Justement, j’ai renoncé à une fête. D’abord pour des raisons sanitaires, mais pas seulement. Je souhaitais investir avec mon patron et mes collègues dans un projet de Caritas Luxembourg.
Nous avons choisi un projet qui concerne les jeunes femmes au Soudan du Sud afin de les accompagner au niveau de leur santé. Nous avons renoncé à toutes fêtes et tous cadeaux pour soutenir ce projet.
Entretien réalisé par Guillaume Oblet
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