Cette rentrée 2020/2021 marque la septième année du CSV sur les bancs de l’opposition. Malgré des moments de frustration, la cheffe de fraction, Martine Hansen, ne compte pas baisser les bras.
La rentrée parlementaire, fixée ce mardi, sera particulière à plus d’un titre. Alors que la crise sanitaire continue de sévir, comment abordez-vous ce rendez-vous?
Martine Hansen : Comme tous les ans, les membres de la fraction se sont retirés pendant trois jours pour discuter des principaux dossiers qu’on compte mettre en avant. En début de législature, le CSV s’était fixé comme priorités la famille, la santé, l’environnement, le logement, l’éducation et la mobilité. Après avoir bien avancé sur la famille et le logement, il est désormais prévu de continuer à travailler sur la santé. La crise sanitaire restera en toile de fond, mais on compte aussi avancer sur les réformes qui doivent être menées dans le secteur.
La relance de l’économie, plombée par le Covid-19, sera, par la force des choses, une autre priorité. Il faudra définir quelles aides doivent au-delà du 31 décembre être accordées aux entreprises, qui ont besoin de prévisibilité. L’impact financier de la crise se fait désormais ressentir auprès des classes moyennes. Il est donc nécessaire de voir comment amortir et accompagner au mieux la crise sociale qui se profile à l’horizon.
N’existe-t-il pas le risque qu’une certaine lassitude s’installe en raison du blocage systématique de vos propositions par la majorité ?
Il est de mon devoir de garder la motivation intacte. En tant que parti d’opposition, on ne doit jamais lâcher le morceau. Dans le cas contraire, on n’aurait presque plus de raisons d’être. Il nous revient non seulement de contrôler le gouvernement, mais aussi de soumettre des propositions concrètes. Chacun est conscient que dans l’opposition ce travail n’est pas toujours honoré à sa juste valeur. Cela n’est toutefois pas une raison de baisser les bras. Notre rôle est de mettre la pression pour encourager le bien-être des gens.
Les attaques frontales menées contre la majorité et la théâtralité de certains de vos députés ne risquent-elles pas de décrédibiliser les propositions constructives que vous soumettez au Parlement ?
Sur ces deux dernières années, nous avons soumis un nombre record de propositions. En tant que parti d’opposition, il est difficile d’attirer l’attention du grand public. Notre communication vers l’extérieur est à perfectionner. Quoi qu’il en soit, le contrôle de l’action du gouvernement reste important. Dans un cas comme l’affaire de la cabane de jardin, les gens s’attendent à ce qu’on s’engage pour que toute la lumière soit faite. Il y a eu d’autres affaires comme celle du « casier bis ». Sans l’insistance des députés Roth et Mosar, les améliorations apportées au cadre légal sur la gestion des bases de données ne se seraient pas concrétisées. Parfois on nous reproche d’être trop agressifs, d’autres estiment qu’on est trop sages. Se contenter de crier pour crier ne sert à rien, mais chacun a son caractère et ce travail de forçat doit être accompli.
Cette semaine de rentrée parlementaire s’annonce particulièrement chargée avec la déclaration sur l’état de la Nation, suivie du dépôt du budget. Vous avez déjà laissé transparaître que vous attendez le Premier ministre au tournant. Quelles sont vos attentes ?
Ces dernières années, mes attentes n’ont que rarement été remplies. Mon souhait, mon espoir, est que le Premier ministre dresse sans détour un état des lieux de la situation financière du pays. Il doit également tracer des perspectives d’avenir claires pour accompagner les gens et préparer la sortie de crise. L’année dernière, Xavier Bettel s’était limité à dresser un état des lieux sans présenter de pistes concrètes.
Il est indéniable que les mesures de relance post-Covid présenteront un coût important. Votre parti n’a jamais cessé de critiquer l’absence de création d’un trésor de guerre. En amont de la présentation du budget, quelle est la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement ?
Les investissements doivent être maintenus à un niveau élevé avec, si besoin, l’établissement d’une priorisation des projets. Mais avant toute chose, il nous faut un état des lieux détaillé des finances publiques. Il n’est pas normal que nous ayons dû autant insister pour que le ministre des Finances s’exécute en amont de l’état de la Nation (NDLR : Pierre Gramegna va échanger ce lundi avec les députés). Le fait est toutefois que la dette publique a continué d’augmenter dans une période où le pays se portait bien. Distribuer l’argent à tout va alors qu’il aurait fallu constituer un trésor de guerre pour des temps plus difficiles était déraisonnable. Continuer à emprunter est aujourd’hui devenu incontournable, mais il faut en même temps établir des perspectives pour le remboursement. Il est inconcevable que le contribuable doive une nouvelle fois régler la note.
Le ministre des Finances a appelé à plusieurs reprises le CSV à révéler où il comptait dépenser moins de deniers publics. Quels sont donc les domaines que le CSV aurait gérés différemment ?
On ne dispose pas des données pour estimer quelles dépenses de l’État central (NDLR : ou administration publique) auraient pu être revues à la baisse. Une analyse détaillée du gouvernement fait défaut. L’absence de toute sélectivité sociale pèse bien plus lourdement. Chacun a droit à la même gratuité de certaines prestations, indépendamment de son revenu. Si l’on plaide pour plus d’équité sociale, il faut pouvoir discuter sur plus de sélectivité sociale en relation avec ces prestations. Du côté des recettes, il est incompréhensible à mes yeux que la majorité refuse de s’engager formellement pour abolir les échappatoires fiscaux que sont les Fonds d’investissement spécialisés (FIS) et le régime des stock-options.
Vous avez lancé une offensive dans le domaine du logement sans pouvoir convaincre le gouvernement de vous suivre. Comment sortir de ce dialogue de sourds ?
En tout état de cause, le logement devra être thématisé lors de l’état de la Nation. Il s’agit d’une des plus graves crises sociales auxquelles le pays doit faire face. Nous avons soumis un paquet de solutions potentielles. Le gouvernement a livré le Pacte logement 2.0, qui, en raison de sa lourdeur administrative, ne va en rien accélérer la construction de logements. On est toujours en attente d’une position claire concernant l’introduction d’une taxe sur la spéculation foncière. On veut enfin avoir du concret. Il est trop réducteur de toujours renvoyer vers les 30 ans où le CSV était à la manœuvre. La coalition au pouvoir a eu assez de temps pour inverser la tendance, or les prix de l’immobilier continuent d’exploser. Cette évolution est dramatique.
Vous avez toutefois été obligé d’admettre lors d’une récente conférence de presse que votre concept pour taxer la spéculation restait à clarifier en interne. Ne s’agissait-il pas d’un simple effet d’annonce ?
Il faudrait d’urgence procéder à une évaluation de l’ensemble des procédures. En tant que parti, nous ne sommes pas en mesure de faire cet exercice. Malgré nos multiples demandes, rien ne bouge. On a toujours reproché le fait que nos ministères concernés par le logement avaient une vision trop bornée. Je pense que cela a encore empiré sous cette majorité. Il est vrai que notre réflexion, notamment pour exempter les parents gardant un terrain pour leurs enfants ou les agriculteurs, n’est pas encore achevée, mais au moins on est formel sur cette revendication.
Fage n’était pas compatible avec la stratégie de développement durable du pays
Le problème du logement reste étroitement lié à la question de la croissance. Le débat sur la politique industrielle fait rage depuis l’annonce de Fage de tourner le dos au pays. Comment comptez-vous résoudre la difficile équation liant diversification et investissements ?
Une fois sorti de la crise sanitaire, il sera nécessaire de relancer la discussion sur le modèle de croissance du pays. Nous maintenons que Fage n’était pas compatible avec la stratégie de développement durable du pays. La polémique a certainement eu une influence négative sur l’image du Luxembourg comme pôle économique attractif. Il faut au plus vite rectifier le tir pour continuer à attirer les entreprises compatibles avec le cluster durable que nous souhaitons promouvoir.
En insistant autant sur le caractère durable des investissements potentiels, le Luxembourg ne risque-t-il pas de se transformer en une économie qui mise exclusivement sur les services ?
Les biotechnologies ou technologies de la santé sont des secteurs auxquels on doit s’ouvrir. Pour rester attractif et encourager l’innovation, les procédures doivent être allégées. Les critères pour pouvoir entrer dans le schéma des entreprises durables, qui créent une véritable plus-value sur les plans écologique, économique et social, doivent enfin être clairement définis, en concertation avec les acteurs du terrain. Aujourd’hui, le gouvernement nous ressort son concept de « test de durabilité », mais rien de concret n’a encore filtré. Il en va de même de la stratégie pour l’aménagement du territoire qui a complètement disparu des radars.
Un autre chantier majeur est la modernisation de la Constitution. Depuis la volte-face du CSV, la réforme se fait par étapes. Le chapitre sur la justice est fortement contesté. Pensez-vous tenir compte des critiques concernant la séparation des pouvoirs qui serait mise en danger ?
Nous allons bien entendu considérer l’avis qu’émettra le Conseil d’État. Les récentes tentatives d’immixtion de la justice dans le travail parlementaire dans l’affaire dit du casier bis nous ont amenés à revoir la formulation du texte (NDLR : le passage qui stipule que le « ministère public (…) est indépendant dans l’exercice de ses fonctions » a été biffé). Dans la foulée de la levée de boucliers des autorités judiciaires, la fraction a longuement discuté de leur avis. Il a été retenu que nous ne partageons pas les réserves émises par les magistrats.
Vendredi, le gouvernement a adopté l’arrêté grand-ducal créant la Maison du Grand-Duc, élément phare de la modernisation de la Cour. Votre président Frank Engel, s’est offusqué de la manière d’agir du Premier ministre. Pour quelles raisons ?
D’un point de vue juridique, nous sommes d’avis que l’arrêté n’est pas le bon moyen pour acter une décision d’une telle ampleur. Le Premier ministre passe outre le Conseil d’État et la Chambre des députés pour créer une nouvelle administration, dotée de nombreux collaborateurs. Selon nous, la mise en place de la Maison du Grand-Duc doit se faire sur la base d’une loi. La moindre des choses aurait été que le Premier ministre demande au Conseil d’État si le recours à un arrêté est le moyen adapté. Or il le refuse catégoriquement.
La semaine de rentrée parlementaire va se clôturer par le congrès du CSV. Les tensions qui sont apparues en fin d’été entre la fraction et le président du parti, Frank Engel, sont-elles évacuées pour de bon ?
Je ne pense pas que je me sois retrouvée dans une confrontation ouverte avec Frank Engel. Le conseil national s’est accordé à encourager davantage la participation des membres du parti. En même temps, il ne faut pas oublier que le CSV est un parti populaire qui regroupe sous son toit des avis qui peuvent fortement diverger. Notre devoir en tant que dirigeants du parti est de dégager une position commune et de la défendre vers l’extérieur.
Frank Engel semble toutefois affaibli en raison de sa sortie médiatique sur l’imposition de la fortune. En tant que cheffe de fraction, quelles ambitions nourrissez-vous à l’égard de la tête du parti, voire à propos de la tête de liste pour les législatives de 2023 ?
Il importe en premier lieu de faire son travail dans le cadre de la fonction que l’on occupe. La discussion sur la tête de liste doit être découplée du poste qui est occupé par les candidats potentiels. Comme en 2016, il sera possible de se présenter sans être obligatoirement le président du parti ou le président de la fraction (NDLR : le chef de fraction Claude Wiseler s’était alors largement imposé contre l’eurodéputée Viviane Reding et l’ancien ministre Luc Frieden). Pour l’instant, la discussion n’a cependant pas lieu d’être. Elle doit être mise entre parenthèses pour éviter les tensions. En dépit du fait que les statuts du parti permettent d’assumer à la fois la présidence du parti et de la fraction, je reste d’avis qu’un seul de ces mandats est déjà suffisamment prenant.
Entretien avec David Marques