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[Réfugiés du Luxembourg] Une vie loin de l’Iran


Farideh Ab Salan n'a pas pu assister à l'enterrement de son père en Iran, il y a quelques semaines. (Photo : Alain Rischard)

Au Luxembourg depuis maintenant huit ans avec sa famille, Farideh Ab Salan continue de militer contre le régime des mollahs, en Iran.

Farideh Ab Salan a fui l’Iran dont le régime réprime toute forme d’opposition politique. Elle a suivi son mari, Reza, qui ne pouvait plus supporter la chape de plomb imposée par le gouvernement et ses puissantes milices.

Le drapeau iranien flotte sur la cheminée, la télévision débite une chaîne d’information de l’opposition iranienne, le thé et les dattes viennent aussi de là-bas. Pourtant, nous sommes au Luxembourg, dans la maison de Farideh Ab Salan, arrivée il y a huit ans. Vêtue de noir, elle raconte son histoire, avec en toile de fond les photos de ses proches. Son père est décédé il y a moins d’un mois, et elle n’a pas pu se rendre à l’enterrement, ni voir le reste de la famille : Farideh n’est pas retournée en Iran et ne le fera pas tant que le régime actuel des mollahs sera en place.

Elle a grandi dans un Iran où la République islamique est instaurée en 1979, le début du cauchemar pour la famille. Alors seulement adolescente, Farideh perd deux de ses frères. Ils se sont engagés politiquement dans l’opposition et militent pour plus de démocratie en Iran. L’un est arrêté alors qu’il vend des journaux de l’opposition, il est fait prisonnier à l’âge de seulement 16 ans. Pour Farideh, il est mort «en martyr».

«Il m’était interdit d’étudier»

L’autre frère s’est tout simplement évaporé dans la nature. À ce jour, la famille de Farideh ne sait toujours pas ce qu’il lui est advenu. C’est dans cette ambiance lourde, pesante, que Farideh continue néanmoins d’aller au lycée.

Elle obtient son diplôme de fin d’études secondaires en sciences naturelles, mais quand elle veut s’inscrire à l’université pour étudier, elle trouve porte close. «À cause de l’engagement politique de mes frères, j’étais fichée, il m’était interdit d’étudier,explique-t-elle. En Iran, les opposants politiques sont traités comme les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. On vous colle des étoiles à chaque infraction. Une, deux, et à la troisième on vous renvoie tout simplement de l’université. Toute opposition au régime est interdite»

Parallèlement, la condition des femmes se dégrade considérablement : «Le port du foulard a été inscrit dans la loi. La tenue des femmes est codifiée, scrutée. Il est dangereux de sortir de ce cadre inscrit dans la loi. Auprès d’un tribunal, la parole d’un homme vaut celle de deux femmes, c’est dire que devant la loi, les femmes valent donc la moitié d’un homme!»

Farideh, son mari Reza et leurs deux enfants, en Iran.

Farideh, son mari Reza et leurs deux enfants, en Iran.

Elle rencontre son futur mari… en prison! Reza partage la cellule de son frère, c’est ainsi que la famille fait sa connaissance. Ils se marient alors que Farideh a 21 ans. Son mari monte une fabrique d’accessoires de chaussures, avec près de 40employés. Mais avec ses activités politique et son passé carcéral, il doit trouver un prête-nom pour lancer son entreprise. Ils ont deux enfants, un garçon et une fille, mais la situation ne s’améliore pas pour la famille. «Nous étions harcelés par les milices qui nous posaient sans cesse des questions sur les activités de mon mari, sur chacun de ses déplacements. Nous avions créé entre-temps un réseau d’entraide pour les anciens prisonniers, la situation est donc devenue dangereuse pour lui. J’étais sans arrêt inquiète pour mon mari.»

Puis, un jour, son mari quitte précipitamment le pays, sans donner de nouvelles pour que sa femme soit en sécurité. Cela prendra deux semaines pour qu’il arrive au Luxembourg. Nous sommes en décembre 2004. Deux longues semaines sans aucune nouvelle. C’est complètement par hasard que Reza atterrit au Luxembourg. Il ne connaît pas le pays, ni les langues, mais entreprend les démarches pour être reconnu comme réfugié. Ce sera chose faite 18 mois plus tard. Une période d’autant plus difficile pour Farideh restée en Iran avec leurs deux enfants : «Pendant cette période, ma fille était mutique. Elle avait 7 ans, mais cette situation l’a beaucoup marquée. Alors, j’ai ralenti mes activités politiques pour me concentrer sur mes enfants.»

Sa famille en Iran sur écoute

C’est en 2007 que le reste de la famille rejoint Reza au Grand-Duché, avec le statut de réfugié en poche pour tout le monde. Si l’intégration s’opère relativement facilement pour les enfants qui apprennent les langues du pays à l’école et avec leurs camarades, pour les parents, c’est beaucoup plus difficile. Reza apprend immédiatement le français, Farideh fera de même, même s’il faut composer avec le cadre rigide de l’Institut national des langues qui expulse les élèves après deux absences, même justifiées. Pour ce qui est du luxembourgeois, pour lequel ils ont suivi des cours, le couple regrette – comme de nombreux étrangers au pays – de ne pas trouver d’interlocuteurs pour le pratiquer.

Aujourd’hui, Farideh et Reza complètent leur RMG par les petits boulots qu’ils enchaînent, car, même avec un titre de séjour, un passeport iranien ouvre peu de portes. «Si l’on pouvait retourner en Iran, nous n’aurions pas besoin d’être au Luxembourg. Nous sommes isolés, car nous continuons de nous opposer au régime. Je suis la voix des Iraniens de l’extérieur : chaque nuit, je diffuse des nouvelles venant d’Iran. Je me demande jusqu’à quand je vais encore donner le nombre de personnes exécutées chaque jour par le régime.» La lutte continue donc, avec en filigrane une certaine pression qui continue d’être exercée sur la famille restée au pays, nous apprend Farideh : «J’entends de l’écho quand j’appelle la famille au téléphone, c’est clair qu’ils sont sur écoute. Les milices n’arrêtent pas de dire à mes deux frères restés au pays qu’il n’y a plus aucun danger pour nous, que nous sommes les bienvenus en Iran. Mais je n’ai pas envie d’aller voir par moi-même ce qui nous attend réellement une fois sur place. Avec le traité signé récemment avec les États-Unis et l’Europe, tout le monde a oublié les droits de l’homme…»

Audrey Somnard

L’Iran, un pays souvent rappelé à l’ordre

Ces dernières années, les critiques internationales à l’égard de l’Iran n’ont pas manqué. Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale et de la Commission des droits de l’homme de l’ONU ont porté sur le non-respect par l’Iran de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des conventions afférentes. L’Union européenne est plusieurs fois intervenue pour condamner les violations par le régime iranien des droits de l’homme. Mais rien n’y a fait : le gouvernement de la République islamique d’Iran continue de restreindre la liberté d’expression, de réprimer ses opposants politiques, d’avoir recours à la torture, aux punitions telles que la lapidation et les amputations, et à la peine capitale, y compris pour les mineurs, de pratiquer la discrimination envers les femmes et des minorités.